Rechercher dans ce blog

dimanche 19 février 2017

Beaulieu : le mini-stre (2ème Partie)


Il suffit d'aller au cimetière de Beslé et de jeter un œil aux tombes de la famille Hervé de Beaulieu. On ne peut pas les manquer : un cyprès à la forme étrange, et qui n'est pas sans évoquer une statue de l'île de Pâques, les domine ; une grille peinte en blanc délimite un vaste quadrilatère où dorment de leur dernier sommeil les ancêtres et leurs serviteurs.

Au dos de l'une des stèles, et sur la pierre tombale avoisinante, il est clairement mentionné que l'un des locataires fut ministre, ministre de Louis XVI.

Bien sûr me direz-vous, il est difficile, même à un personnage potentiellement important, d'être enterrer dans deux tombes, sauf à - si j'ose dire - s'y répartir en divers morceaux. Il est en réalité probable que la stèle ogivale au dos de laquelle est signalé le ministre, ait appartenu à une première tombe du politique et de membres de la famille, vidée puis réemployé pour d'autres occupants.

Il est possible aussi qu'il s'agisse d'un réemploi suite à une erreur : car en effet, le dos de la stèle ogivale évoque "Joseph Louis" H de B alors que le financier de Louis XVI était "Joseph Emile François" H de B, comme gravé sur la pierre tombale située tout à côté.

































Mais ministre, je ne sais pas trop après tout s'il y a de quoi se vanter. Evidemment, tout le monde n'est pas ministre et c'est plutôt la preuve - pourrait-on dire - d'une certaine qualité. Mais "de Louis XVI", vraiment, est-ce que ça vaut ?
 
Depuis le début des temps modernes, il y a un demi millénaire, la France a connu bien des ministres des finances : environ deux cent cinquante individus se sont succédés à ce poste, soit un tous les deux ans. La durée moyenne d'exercice de cette charge est donc assez courte et se compte en quelques centaines de jours, sept plus exactement.
 
On ne peut pas dire que notre héros, Joseph Emile François Hervé de Beaulieu, ministre des Contributions au début de la Révolution quand Louis XVI avait encore toute sa tête, ait fait remonter la moyenne : il est en effet resté quelques petites dizaines de jours au gouvernement de la royauté finissante.
 
Certes, comme dit l'autre, la gloire n'attend pas le nombre des années. Aussi est-ce sans préjugé qu'il faut apprécier cet épisode ministériel, et le meilleur moyen pour ce faire reste d'en examiner l'œuvre.
 
Il faut se rappeler que Jo Emile traînait ses guêtres dans les parages du gouvernement en 1792, étant membre, puis président du Bureau des quinze commissaires de la Comptabilité nationale, depuis la fin de l'année précédente.
 
 
Quand arrive juin 1792, les choses vont mal et la France est en pleine crise politique, militaire et ministérielle : les girondins, faction politique alors dominante, veulent la guerre contre les rois d'Europe et souhaitent imposer certaines mesures auxquelles Louis XVI s'oppose : les ministres girondins sont ainsi renvoyés par le roi le 13 juin 1792.
 
Du coup on cherche un gouvernement et donc un ministre des finances. On ne peut pas dire que ça se bousculait au portillon. Trois pressentis refusèrent avant que Louis XVI, conseillé par Louis Hardouin Tarbé (un modéré ancien collègue de Jo Emile), ne s'adresse à Beaulieu. Bref ce n'était pas vraiment un premier choix.
 
En indiquant le nom de celui-ci au roi, Tarbé précisait que "c'était un homme très instruit et capable, dont les principes étaient excellents". Autrement dit, il était compétent en matière financière et royaliste en matière politique.
 
Et voilà-t-il pas que Jo Emile se met à faire sa mijaurée.
 
Ne valait-il pas mieux pour lui de garder son emploi tranquille au Bureau de la Comptabilité nationale que de courir les risques et les dangers d'un emploi politique aussi aléatoire en juin 1792 ?
 
Tarbé s'activa pour obtenir l'accord de Jo Emile écrivant au roi le 18 juin : "Sire, je m'empresse d'annoncer à Votre Majesté que M. Beaulieu accepte avec respect le Ministère des Contributions publiques. Il désirerait seulement que Votre Majesté voulût bien lui faire une lettre dont j'ai l'honneur de soumettre le projet à Votre Majesté" .
 
Ce dont le Capétien s'acquitta. Beaulieu se couvrait donc en obtenant la preuve qu'en acceptant le ministère, il n'avait fait que céder à la sollicitation du roi.
 
Les temps étaient troublés et à peine nommé, une insurrection secoua Paris le 20 juin. Lors de ce coup de force antimonarchique, Beaulieu donna la preuve de son attachement au roi, en figurant parmi les rares fidèles qui restèrent auprès de lui au cours de l’interminable séance d'insultes qu'il dut subir.
 
Le bref passage estival de Beaulieu au ministère fut toutefois marqué par quatre initiatives.
 
Le 23 juin, il notifia à l'Assemblée la nomination des trois commissaires administrateurs de la fabrication des assignats.
 
Le 29 juin, Beaulieu adressa un mémoire à l'Assemblée pour lui donner un état du recouvrement des trois nouvelles contributions : contribution foncière, contribution mobilière et la patente. C'était pas le pied. Il soulignait les difficultés de la mise en application des lois instaurant les nouvelles contributions publiques et demandait des mesures déjà réclamées en vain par son prédécesseur.

 
Le 5 juillet fut lue à l'Assemblée législative la lettre par laquelle Beaulieu demandait à être autorisé de faire construire au meilleur marché qu'il pourrait, les machines à décapiter qui avaient été adoptées le 20 mars précédent comme mode d'exécution capitale. L'Assemblée l'envoya promener, se retranchant (c'est le mot !) derrière le principe de la séparation des pouvoirs pour éluder la demande.
 
Le 9 juillet, Beaulieu écrivit à l'Assemblée pour lui demander de voter une loi qui fixerait l'ordre des poursuites et les peines à infliger en cas de contravention à la loi qui prohibait l'exportation de numéraire hors du royaume, afin de combattre une hémorragie que la situation politique et militaire aggravait dangereusement. Ce fut le dernier acte personnel de la gestion ministérielle de Beaulieu.


En effet, effrayés par les Brissotins (une faction assez peu modérée) qui menacent les ministres d'un décret d'accusation les déférant en Haute Cour constitutionnelle, ceux-ci remettent collectivement leur démission à Louis XVI le 10 juillet, tout en restant à leur poste.
 
Louis XVI se heurta à la même difficulté qu'en juin : personne ne voulait plus accepter de monter à bord. Comme ses collègues, Beaulieu se borna donc à expédier les affaires courantes, en attendant la relève, qui se fit attendre...
 
Le 21 juillet, on croyait avoir trouvé la perle en la personne de Bon-Joseph Dacier, un savant célèbre pour sa traduction de la Cyropédie de Xénophon, secrétaire perpétuel de l'Académie royale des Belles Lettres... Bref, n'importe quoi.


Mais voilà que ce poussiéreux se débine à son tour, et il faut attendre le 29 juillet pour que Beaulieu soit enfin déchargé de ses fonctions ministérielles par la nomination de Leroux-Delaville.

Ministre de plein gré un peu plus de trois semaines, du 18 juin au 10 juillet, il fut obligé de le rester malgré lui faute de combattants, une vingtaine de jours du 10 juillet au 29 juillet, soit presque autant... 

D'après l'article sur Jo Emile H de B dans :



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire