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dimanche 25 septembre 2016

Mission de 1750 à Guémené


Fin février 1750, à Guémené, la nature se mit à frémir comme ailleurs, annonçant à certains indices le printemps, ainsi qu'il en allait année après année, et qu'il devait en aller encore pendant pas mal de temps.

Où qu'ils fussent en la paroisse, mes ancêtres, qui ignoraient l'effort commun auquel ils concourraient en procréant obscurément dans leur coin - je veux parler de ma venue sur Terre, deux siècles plus tard -, songeaient, sans penser plus loin, aux moissons de l'année dont il faudrait s'occuper.

Mathurin Simon, de la Bottais, Jeanne Houguet ; Mathurin Parageaud et Anne Leglet, de Lépinay ; Guillaume Lethu et Angélique Houguet, de la Nouasse ; René Guenet, du Luc, ou Julien Amossé, du Bas-Luc ; Julien Heurtel, Julienne Durand, de la Mignonnais, Vincent Guérin, du Calvaire, Jeanne Bréger ou Julien Perrigot, des Drieux ; Julien Dubourg et Jane Clavier, de Tréguely ; Julien Janvresse, des Mérions, Michelle Hervé, René Leglet ; Pierre Lagrée, de la Mignonnais ; Jean Orain et Julienne Sassier, du Bourg ; François Plantard, des Porteaux ; Françoise Simon : tous, de tous ces lieux épars de Guémené où le destin les avait posé,  n'avaient en réalité qu'une même préoccupation, à savoir manger en 1750.

Ainsi, ces paysans mes aïeux (il y avait un notaire, toutefois) commençaient-ils prosaïquement de s'ébrouer afin de secouer la torpeur du long hiver à peine ponctué de la tuerie du cochon ou de quelque mariage alentour.

Heureusement, il était un être en ces contrées dont les aspirations, pour lui-même et sa communauté paroissiale, étaient plus élevées : je veux parler de Julien Brohan, recteur de Guémené depuis 1744, après y avoir rempli la fonction de vicaire de son prédécesseur pendant onze ans (il restera en poste jusqu’en 1756).

C'est que ce brave homme veut le bien de son troupeau d'âmes, et pour ce faire, il a l'idée de commander une "Mission". 

Une Mission, c'est bien, ça amène un peu d'animation. Ça change, ça permet de laver la crasse d'impiété, fruit de la négligence des devoirs religieux, ça redonne un peu de tenue morale et catholique à ces brutes de paysans que les grandeurs des règnes de Louis XIV et de Louis XV ont hélas épargné.

A cette époque justement, il existe une société de nettoyage des âmes qui s'est montée depuis peu et qui s'est spécialisée dans l'action de terrain dans la région. Il s'agit de la Communauté de Saint-Laurent sur Sèvre (son siège en Vendée, alors en Poitou), fondée par le Bienheureux Louis Marie Grignon de Montfort, qui ne tarde pas à devenir la Compagnie de Marie.

Et c'est ainsi que le dimanche 1er mars 1750 débarque à Guémené une escouade de six Pères Maristes venus pour le mois. On connaît leurs noms : Audubon (c'est le Supérieur de la Compagnie), Hacquet, Javeleau, Albert, Besnard et frère Mathurin.

Deux des participants énoncés ci-dessus ne sont d'ailleurs pas des seconds couteaux

Audubon, né aux Sables-d'Olonne en 1710, se joint aux missionnaires de Saint-Laurent en 1742. Il est supérieur de la compagnie à partir de 1749 et donc au moment de son raid sur Guémené.


Audibon





















Besnard quant à lui naît à Rennes en 1717. Il se joint aux missionnaires en 1743. Il a 38 ans lorsque, sur indication du P. Audubon ratifiée par les confrères, il devient à son tour supérieur.


Besnard





















Selon toute vraisemblance, des "exercices" et des messes étaient proposées aux populations chaque jour. Ces "exercices" pouvaient consister en prêches, catéchisme, chants du chapelet, confessions, etc.... 

Ils pouvaient être complétés d'une grosse gâterie, genre : une petite Amende Honorable ; ou encore : une mignonne Rénovation des vœux de Baptême ; ou bien, pourquoi pas : une bonne grosse Consécration à la Sainte Vierge. 

Le tout avec beaucoup d'éclat et de chantilly, si possible.

Il paraît que la mission à Guémené fut très fervente. C'est toujours ça, car il semble que ça n'est pas toujours été le cas, et que le "peuple" pouvait se montrer "indifférent, peu dévot et [ça c'est le plus dur] encore moins généreux"... Ainsi, les bons Pères n'hésitaient apparemment pas à taper à la caisse du "peuple".

Le pic de la fête se tint le Vendredi Saint 27 mars. Les missionnaires s'en allèrent en effet, avec grand renfort de peuple et de chants, planter une croix sur la Grée (Bréhaud, sans doute) à la place d'une croix qui s'y trouvait déjà.

Enfin, le 30 mars, après avoir ensemencé les esprits de Guémené des bons principes de la sainte religion, les bons Pères remballèrent leur marchandise et décampèrent. 

C'est le brave recteur Brohan qui a le dernier mot : "Cette mission était d’autant plus nécessaire et a plus profité qu’il y avait treize ans qu’il n’y en avait eu une par des capucins."

Treize ans, c'est long.

dimanche 11 septembre 2016

Le lutin d'Arondel


Guémené était dans mon enfance un pays de cocagne.

Non pas qu'on y était riche, loin de là, mais, venant de la ville où tout se paye, les fruits ou le poisson que l'on mange, les passe-temps,...et où tout est limité, par l'appartement exigü, les convenances, le chacun-chez-soi,..., le fait de pouvoir manger des fruits, des baies ou d'autres végétaux "gratuits", cueillis dans les haies, les arbres ou les prairies ; le fait de pêcher sa friture, ou le fait encore de pouvoir faire bien des choses en toute liberté dans les champs alentour en n'ayant d'autres bornes que notre fatigue d'enfants, conférait à cet endroit une aura d'abondance et de bonheur inégalables.

Le Pont de la Rondelle est un haut lieu de cette mémoire, en tout cas un "haut toponyme", jalon mémoriel inaltérable, avec "la Hyonnais", "le Bourg", "Beslé" et quelques autres.

J'ai toujours pensé que telle était son orthographe et non "Pont de l'Arondel", comme on voit quelques fois dans de vieux textes. Le dilemme est simple : la première est absurde et donc cocasse, triviale presque, faisant référence à rien d'imaginable ou de sérieux, tandis que la seconde est poésie, évoquant irrésistiblement l'aronde, l'antique hirondelle, l'arondelle et donc les beaux jours.

C'est un haut lieux car c'est ici que nous venions pêcher avec mon père, ce qui en soi n'est pas très original. Mais ce pont, et au-delà de l'objet qui enjambe le cours d'eau, le site, sont exactement synonymes de ces parties oiseuses où quelques rares habitants du Don complaisaient à mordre à nos hameçons.





















De manière hypnotique, des souvenirs envahissent ma pensée à l'instant où j'évoque ces moments, et un flotteur en forme de gros radis, blanc strié de rose, danse sur l'onde molle et sombre, captant toutes mes espérances d'alors.

C'est peu dire que je conserve une grande nostalgie de cette époque et de ce lieu ; c'est peu dire que le moindre élément le concernant mobilise mon énergie.















Ainsi l'autre jour, effectuant négligemment mes recherches sur Internet comme on lancerait sans trop y croire sa cuillère à la pêche au lancer, c'est-à-dire lançant trois mots dans le moteur Google sans penser à rien, me remonte une référence mentionnant ce fameux pont.

Il s'agit d'une petite légende que je ne connais pas, recueillie par Paul Sébillot et publiée en 1894. Elle fait partie d'un recueil intitulé extraordinairement : "Les travaux publics et les mines dans les traditions et les superstitions de tous les pays : Les Routes - Les Ponts - Les Chemins de Fer - Les Digues - Les Canaux - L'Hydraulique - Les Ports - Les Phares - Les Mines et les Mineurs".





















C'est qu'en 1889, cet ethnologue, écrivain et peintre français, originaire de Bretagne (1843 - 1918) - et qui consacra à sa province natale nombre de ses travaux -, est nommé chef de cabinet au ministère des Travaux publics, dont son beau-frère, Yves Guyot, est titulaire. Il reste à ce poste jusqu’en 1892, observatoire idéal qui lui permet de recueillir de nombreuses informations qui feront l’objet du volume mentionné ci-dessus.

Ce petit conte à pour épicentre un "pont de l'Arondel" qui n'a rien à voir avec le bel ouvrage que l'on peut encore observer et qui fut construit au milieu du XIXème siècle. Cet antique dispositif n'était probablement pas localisé à l'endroit exact où se trouve ce dernier, mais dans les parages, là où l'on devait pouvoir passer le Don plus ou moins à gué.

Dans cette histoire il est question de "frairies", une de Guémené et l'autre d'Avessac, commune limitrophe de Guémené dans cette partie ouest de la commune. Et d'autres lieux ou personnages sont évoqués, sur lesquels quelques éclaircissements pourraient être utiles.

Les frairies étaient une organisation sociale et religieuse des pays ayant parlé breton, héritée des vieilles institutions celtiques ("clans"), datant du VIème siècle, laquelle perdura jusqu'à l'époque moderne.

Dotées d'un chef, d'un saint patron, d'une chapelle et parfois d'un cimetière, ces entités géraient en particulier les terres communes et aidaient leurs pauvres.

La frairie de Sarran  à Guémené-Penfao occupait un espace géographique assez restreint (une quinzaine de kilomètres carrés), complètement à l'ouest de la paroisse, au sud du Don.

Sarran viendrait du breton et signifierait "ruisseau des grenouilles" peut-être en référence au proche ruisseau qui marque la séparation avec Avessac et qui va se jeter dans le Don.

Cette frairie était placée sous le patronage de Saint-Cloud (deux lieux-dits en témoigneraient encore) et regroupait les villages de La Jaunais, l'Epinais, Sarran, la Bottais, la Glaudais, le Pas-Heurtel, la Moussaudais, le Calvaire, le Plessis, Bolbrun, la Gautrais, le Perron, les Merions, les Mortiers, Vieux Champ, Orvault, la Nouasse, Port Jarnier (et surement la Rue Hamon, aujourd'hui disparu).

La frairie de Linsac, sur Avessac, occupait l'aire mitoyenne de la précédente, également au sud du Don. Dédiée à Saint Germain, elle comprenait les hameaux de la Boëssière, la Marotais, Linsac, le Pont, les Patys, Rohouan (Rohan), la Rochelle, la Houssais, le Chien-Hanné, la Triardais, la Sencerie, la Bodinière, Kermagouër, le Moulin-Neuf.

Le gué de Montnoël dont il est fait état également se situait probablement au bas de la métairie du même nom située sur le territoire de Guémené, en surplomb de la vallée du Don, au Nord de la frairie de Linsac, quatre kilomètres environ en aval de l'actuel pont de la Rondelle.

Kermagouër s'appelle aujourd'hui Camargois. C'est une éminence qui se trouve à la sortie de Guémené, à gauche sur la route de Redon. Une carrière de pierres en marque de nos jours l'emplacement. 

Cette colline regroupe encore trois moulins à vent. L'un a été transformé assez laidement (la tour crénelée et cimentée qu'on aperçoit depuis la route), un autre plus discret est en cours de restauration et un troisième, endormi dans un sous-bois est resté dans son jus antique.






















Derrière cette colline, au début de sa pente sud, des fouilles ont révélé les restes d'une villa gallo-romaine avec four et thermes. Kermagouer (ou Kermagoër) veut dire "village des murailles", faisant certainement référence aux ruines romaines toutes proches.





















Enfin l'histoire que vous languissez de lire comporte une allusion au "seigneur de Treguel et de la Rivière-Lanvaux". Treguel est une terre située à Guémené-Penfao, qui possède un magnifique château du XIXème siècle, à deux kilomètres au nord du pont de la Rondelle actuel. La Rivière-Lanvaux était une possession située sur Avessac.














Le premier seigneur de ce nom identifié est Pierre Rouaud, écuyer qui vivait à la fin du XVIème siècle. Ses descendants occuperont la position jusqu'à la Révolution.

Voici maintenant enfin le petit conte transcrit par Paul Sébillot :

Dans le temps que les gens de la frairie de Sarran, en Guémené-Penfao, étaient obligés de payer dîmes et redevances au seigneur de Treguel et de la Rivière-Lanvaux, c'était pour eux, comme pour les gens de la frairie de Linsac, en Avessac, grande peine et sujet de crainte lorsqu'il leur fallait franchir le pont d'Arondel pour se rendre au Manoir. 

Il n'y avait, en effet, dans ce temps, aucun pont sur la rivière du Don. souvent débordée et fort large, et au gué d'Arondel seulement se trouvait une large planche appuyée sur les deux rives. Or c'était à dessein, disait-on, que les seigneurs de Treguel maintenaient cet état de choses. 

En souvenir de services rendus jadis par un des leurs, un lutin s'était constitué le gardien de ce pas- sage et ne laissait point les mécréants le traverser indemnes. Mais ses châtiments ou ses malices atteignaient surtout ceux qui, d'une façon quelconque, cherchaient à nuire à son seigneur.

C'est ainsi que chaque tenancier qui mettait dans ses pochées une mesure de grain ou de farine inexacte était sûr de piquer une tête dans la rivière du Don, dont il ne se tirait jamais alors sans grands dommages, grâce au lutin d'Arondel, qui, infailliblement, tournait la planche sens dessus dessous dès que le manant s'y était engagé.

Un jour, un meunier de Kermagoër en la frairie de Linsac, se croyant plus fort que les autres, voulut tromper le lutin. N'ayant rempli sa pochée qu'aux trois quarts, il mit des pierres sur le dessus pour compléter le poids, se promettant de les sortir du sac après avoir franchi le pontet avant d'arriver à Treguel.

Mais le lutin devina le subterfuge, et le meunier, précipité dans la rivière, fut entraîné par les eaux jusqu'au delà du gué de Montnoël où, pour sa punition et volerie, il fut changé en une grosse pierre, qui se voit encore sur le bord du Don et s'appelle de son nom, la roche Mengraal."














Je n'ai pas trouvé de trace de la roche Mengraal. Avis aux amateurs : je suis preneur d'une photo...