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dimanche 10 avril 2016

Petit Joseph inédit


Il n'était pas né à Guémené et n'y est pas mort non plus. Non, c'est à Nort-sur-Erdre, quarante kilomètres plus au Sud du département, que vit le jour et disparut Joseph Herbert. 

Guémené ne fut qu'une parenthèse assez courte dans sa vie, au demeurant assez brève, mais cet épisode guémenois qui dura peut-être une dizaine d'années au début du siècle passé, a laissé une trace indélébile dans le légendaire local.

Joseph Herbert naît le 8 mars 1873. Son père est Jean Marie Herbert, commerçant âgé de 41 ans à la naissance du bébé. Il est marié à Marie Augustine Alexandrine Lemaire (34 ans en 1873) et ils habitent Basse-Grande-Rue, à Nort-sur-Erdre.

En 1896, il est toujours à Nort et vit avec son frère et une domestique. Il est dans les vins.

En 1897, le 26 octobre, il épouse Marguerite Bourdon, fille de Nort d'un an sa cadette.

Il n'a pas laissé de trace dans les archives militaires, ce qui aurait pu nous donner son aspect quand il avait vingt ans. On peut présumer que son physique lui permit de se dispenser de service militaire.

C'est probable car au début du siècle, alors qu'il approche de la trentaine, ce qui fit sa gloire est déjà avéré : Premier Prix au concours international de grosseur organisé par le Chasseur Français (plus gros poids d'Europe). Il ne dut pas prendre ce poids exceptionnel en dix ans.

Que gagnait-on ? Espérons que cela se mesurait au poids du vainqueur. Car Joseph Herbert pesait 204 kg pour 1,65 m de hauteur et un tour de ceinture de 1,78 m...

Et même 212 kg pour un tour de taille de 1, 88 m, si l'on en croit un article du 8 août 1906 paru dans l'Est Républicain. Cet organe vénérable y présente notre ami comme le plus gros pêcheur de France et lui attribue la fondation de la société de pêche guémenoise, la "Gaule du Don".

C'est par ironie affectueuse, peut-on imaginer, qu'il gagna le surnom de "Petit Joseph". Il dut à son art de cornettiste celui de "Cornet à pistons".

On disait de lui beaucoup de choses. Qu'il était professeur de danse et que sa table de cuisine avait été creusée pour qu'il puisse y mettre son ventre. On disait aussi que sa braguette comptait dix-huit boutons...

Il tenait bien sûr à Guémené "l'Hôtel des voyageurs", place Simon, renommé depuis "l'Hôtel du Petit Joseph".

Joseph Herbert quitta son hôtel et Guémené en septembre 1909. Il mourra six ans plus tard à peine, le 9 mai 1915, dans sa ville natale.

Gloire locale de Nort-sur-Erdre et de Guémené-Penfao, il a été représenté sur des centaines de cartes postales.

En voici justement six, ci-après, qui sont autant de portraits de notre héros.

Elles sont connues. 

Il y a d'abord une première paire où notre héros pose devant son hôtel à Guémené, en sabots, en pantalon blanc et avec son cornet à pistons. Sans doute au retour d'un défilé de la clique de Guémené.






















La seconde paire de cartes postales révèle un Petit Joseph bourgeois. Il est affublé d'un grand chapeau noir, il porte un gilet sous son veston et une chaîne lui barre la poitrine. 

Pourtant, comme dans les deux photos précédentes, et celles qui suivent, il est chaussé de sabots. Il est indiqué qu'il est professeur de danse à Nort où ces deux clichés ont dû est pris. 

On notera que son visage n'arbore pas la même barbe que dans les deux cartes précédentes.




La première des deux cartes suivantes est probablement de sa dernière période niortaise et la pilosité faciale est proche de celle des deux photos précédentes. Le bâtiment devant lequel il se trouve pourrait être le même que la maison qui fait décor ci-dessus si l'on en croit les petites briques que l'on distingue autour du portail.

Mais la tenue est moins solennelle, la casquette remplace le chapeau et le gilet a disparu. On pourrait compter les boutons de la braguettes. Croyons sans façon qu'il y en a bien dix-huit...(en fait j'en ai compté une dizaine...). 

Une montre est dans une poche de la chemise dont on voit la chaîne accrochée à une boutonnière. Un petit nœud de cravate lui serre le col.

La dernière carte appartient sans doute à la même époque et le visage et la pilosité sont comparables. Il en va de même pour la tenue qui est exactement celle du Petit Joseph "bourgeois" évoquée ci-avant. Nous sommes chez un photographe, devant une toile de fond classique pour l'époque : arc de triomphe, draperie, bouquets de fleurs...






















Mais si vers la fin de sa vie, le Petit Joseph tend à poser et à n'être plus que le professeur de danse vainqueur du concours de grosseur, on se souvient à Guémené du Maître d'hôtel bon vivant et joueur de cornet dans la fanfare.

Alors pour finir, une photo inédite (en tout cas je le crois), que je dois à l'amitié d'un homme qui est tout dévoué à l'histoire de Guémené et à son patrimoine.

Elle représente Joseph Herbert dans la cour de son hôtel, côté coulisses donc, faisant le facétieux.

Il est penché en avant, de profil, un visage souriant face à l'objectif, ses deux poings serrés, dans une sorte de pose de boxeur.

Il porte un chapeau blanc sur sa bonne bouille hilare. Il a la barbe et la moustache de sa dernière période. Il est boudiné dans une veste sombre et porte un pantalon clair. Il a délaissé les sabots pour des chaussures.

Un baquet et une échelle servent de décor.


dimanche 3 avril 2016

Pierre Usé


Tous les jeux de mots ne sont pas drôles. Mais, pour autant, celui que je fais dans le titre de cet article semble cependant particulièrement adapté au cas qui va nous occuper aujourd'hui.

Ce cas nous montrera aussi que l'humour noir se loge parfois ailleurs qu'on ne croit.

Voici encore l'histoire (résumée) d'un de ces héros oubliés de Guémené qui s'est illustré pendant la dernière guerre mondiale (et même lors de la précédente).

Pierre Heuzé est né le 10 septembre 1893 au bourg de Guémené-Penfao.

Il est le fils d'Amaury Marie Heuzé, médecin à Guémené, et de Virginie Chapron. Que du beau monde, notable, et propre et tout et tout : madame a une bonne et va à la messe, comme il se doit.

Pierre est même le petit-fils de Jean-Baptiste Heuzé, officier de santé à Guémené vers le milieu du XIXè siècle et qui n'avait pas trop brillé par ses talents lors de la terrible épidémie de dysenterie de 1856.

Voilà donc trois générations de carabins couvrant un siècle de progrès médical et social.

Quand on naît en 1893, on a bien entendu vingt-ans en 1913, juste à temps pour aller exercer ses talents patriotiques et médicaux sur les champs de l'Argonne ou d'ailleurs.

Ce bonheur cueille notre héros alors qu'il étudie la médecine à Brest.

Son conseil de révision nous le décrit ainsi : plutôt grand pour l'époque (1 mètre 74 : donc bien nourri), il a le poil châtain et les yeux bleus.

Il fera la guerre de 14 comme médecin auxiliaire à partir du 11 juin 1915. Il passe ensuite à la 11ème Section d'infirmiers militaires, puis au 2ème Régiment d'Infanterie Coloniale, le 9 février 1916. 

Il disparaît des radars le 18 avril 1917 au combat d'Ailles (dans l'Aisne).

Prisonnier de guerre des Allemands, il est dirigé sur Karlsruhe, Mannheim et finalement Giessen, dans la Hesse, où il arrive fin mai 1917. Le camp est à quatre kilomètres de la ville. 

Il s'agit d'un camp d'immatriculation et de transit doté d'un lazarett (hôpital militaire). La Croix-Rouge enverra un communiqué à la famille le 5 juin suivant (la famille est désormais, apparemment, au 86 quai de la Fosse, à Nantes).

La captivité du jeune Pierre ne dure que moins d'un an : il sera rapatrié sanitaire d'Allemagne le 11 mars 1918. 





















Aussitôt l'Armée française se ressaisit de lui et le verse au 23ème Régiment d'Infanterie Coloniale, le 13 mars 1918. On en profite bientôt, le 21 août 1918, pour le promouvoir médecin aide major. Une semaine après, le voilà passé au 1er Régiment d'Infanterie Coloniale. 

Il est mis en congé le 3 septembre 1918. Mais une semaine plus tard, le voici en Russie du Nord où il restera jusqu'au 1er juin 1919.

Il fait alors partie du corps expéditionnaire français (composé du 21ème bataillon de marche, du 1er régiment d’infanterie coloniale, de deux batteries du 2ème régiment d’artillerie coloniale, d’une compagnie de skieur des Vosges, de trois compagnies de la légion étrangère ainsi que des éléments du 101 éme et 112 éme régiment d’artillerie lourde appuyé par trois croiseurs cuirassés...).

Ce Corps est parti, on l'ignore trop, combattre les Bolchéviks et ramener la civilisation en Russie (sans grand succès).

Au total, Pierre Heuzé fit une belle guerre. Il fut cité à l'ordre n° 51 de la 20ème Brigade d'infanterie coloniale le 2 novembre 1916 et à l'ordre du 2ème Corps d'armée coloniale n° 124/R du 3 juin 1917. Avec ça, une Croix de guerre avec étoiles de bronze et vermeil. Pas mal...

De retour à la vie civile, il va exercer son métier de médecin d'abord en région parisienne (à Paris dans le 10ème, puis le 16ème arrondissement ; à Levallois-Perret) pendant près de dix ans.

Pierre Heuzé se marie en juin 1932 à la mairie du 10ème à Paris (avec Valentine Marie Letard), avant de filer près de Beauvais en octobre 1933 et, en janvier 1939, à Saint-Maurice-lès-Chalencey, petit village du Canton de Tourouvre, entre Dreux et Alençon.

C'est là que l'ordre de mobilisation le rattrape le 2 septembre 1939. Il est dirigé le 12 janvier 1940 vers le dépôt de convalescence du château de Vaux (Eure-et-Loir) et promu au grade de médecin sous-lieutenant de réserve à compter du 25 mars 1940.

On sait comment tout cela a tourné. Les Allemands encore, l'Occupation, beaucoup d'attentisme, quelques résistants...

En octobre 1943, les résistants du groupe « Vengeance » du canton de Tourouvre  sont traqués. Les policiers cherchent à mettre fin à une filière d’évasion et de rapatriement d’aviateurs alliés. Plusieurs sont arrêtés. 

Pierre Heuzé fait partie des interpellés.

Les interrogatoires ont lieu à Alençon où il reste détenu quelques mois. Puis, il est déporté vers Compiègne et, le 12 mai 1944, vers Buchenwald (Matricule: 50996). Il connaîtra dans les mois qui suivent d'autres lieux de déportation : Dora, Wieda. 

Par chance Pierre Heuzé va survivre au régime infernal de ces camps. Quand les Américains arrivèrent à Dora, le 11 avril 1945, ils trouvèrent quelques survivants au Revier et de rares autres, au milieu des cadavres, dans la Boelcke Kaserne. Pierre Heuzé dut être de ceux-ci ou de ceux-là.

De retour en France, Pierre Heuzé n'est guère en forme. Mais vers la fin de 1946 son état empire.

Différentes commissions de réformes se pencheront, dans les années 50, sur son état physique et diagnostiqueront tout une série de troubles :

"Hémiparésie (paralysie partielle) intéressant face et membre, préhension nulle ; peut marcher ; contracture du membre supérieur. Etat spasmodique ; exagération des réflexes ; trépidations épileptoïdes (sic) ; céphalées ; vertiges ; inaptitude au travail intellectuel ; état général satisfaisant (sic), urines normales, urée sanguine : 0,36 ; Wassermann négatif (test de la syphilis) 

2/ Hypertension artérielle 20 x 11"


Il a dû être ravi de savoir que, en dépit de tout, un quarteron de médecins militaires en bonne santé trouvait qu'il disposait d'un "état général satisfaisant"...De vrais comiques troupiers...

En 1957, la commission des réformes raye des cadres Pierre Heuzé et constate que sa santé ne s'est pas améliorée : 

"Paralysie complète du membre supérieur droit ; paralysie incomplète du membre inférieur droit ; parésie (paralysie partielle) faciale droite ; gêne de la mastication de l'élocution ; troubles trophiques de la main droite ; hypertension artérielle ; édentation (sic) complète ; asthénie des déportés"


Usé, Pierre décède le 8 juin 1959, à Paris 14ème arrondissement, à l'âge de 66 ans à peine.