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dimanche 28 février 2016

Coins et recoins d'église (2)


Quand on entre dans une église, il faudrait pouvoir prendre un peu de hauteur...

Quand on pénètre dans celle, énorme, de Guémené, on ne peut qu'y aspirer.

Quand je regarde un édifice, un immeuble, une église, tout autre, je suis toujours fasciné par les endroits inaccessibles pour lesquels on aperçoit pourtant, de l'extérieur, des échelles, des passages,etc...

Je me figure dans ma tête des cheminements acrobatiques vers des lieux improbables, délivrant des points de vue inédits et remarquables. Un frisson et un sentiment de bien-être par anticipation à se trouver seul, blotti, là où personne ou presque ne va, m'étreignent alors.

J'envie les architectes qui, dans la quiétude rassurante de leur cabinet, se sont ingéniés à concevoir ces espaces vertigineux, qui nécessairement ont dû se plonger en imagination dans ces chemins étonnants où seuls quelques initiés, bravant les périls, probablement d'ailleurs par nécessité, pourront ou devront se rendre.

Bref, j'avais très envie depuis longtemps de monter dans les combles de l'église de Guémené, et ce n'est que la semaine passée que cette opportunité m'a été offerte par ceux qui, dans cette commune, prêtent attention à cet édifice (je les remercie vivement, en passant).

Bien sûr, il s'agit d'un privilège considérable, car en temps normaux, ces endroits sont logiquement fermés au public. Je dois dire que cette incursion dans des lieux interdits m'a beaucoup fait plaisir, une sorte de plaisir enfantin.

Il ne faut pas être grand clerc pour savoir qu'on commence par monter dans la tourelle qui flanque la façade de l'église, à gauche en la regardant, en empruntant le passage qui se trouve juste derrière le portail gauche de l'édifice.

Un escalier de pierre poussiéreux, en colimaçon, permet d'abord d'accéder à la tribune. Il est probable qu'on aurait pu y installer un grand orgue, et un choeur pourrait y stationner.

C'est aujourd'hui le refuge d'une pauvre statue de Saint-Pierre, et les vitraux qui dominent cet espace sont recouverts de toiles d'araignée, constellées des mouches immémoriales qui sont venues s'y suicider.

Il reste le point de vue sur la nef, que rien ne peut remplacer.






















Poursuivons l'ascension.

L'escalier amène finalement au plan des combles de l'église. L'endroit est vaste et sombre. On distingue dans la pénombre, rompue ici et là par la lumière pénétrant par de petites ouvertures grillagées, un capharnaüm de poutres de bois enchevêtrées : à première vue une sorte de mikado pour géant.

Une forêt a certainement été engloutie pour la charpente de cet édifice !

Le sol est formé de mamelon blanchâtres qui rappellent des édifices orientaux : voilà donc l'envers de ces voûtes néogothiques qui dominent les fidèles. Cet envers du décor à un côté inachevé qui rompt avec la précision des lignes qu'on observe de l'intérieur du bâtiment.

Il est évidemment difficile de se déplacer sur ce charivari de bosses : aussi, des planches posées sur des poutres, des rampes de bois et des échelles permettent de progresser dans l'espace, en long, en large et en hauteur.

Ces planches ne sont pas sans procurer quelques émotions car elles dansent sous le poids des piétons ! A cela s'ajoute l'effroi que suscite la pensée du vide sous nos pieds : ces mamelons plâtreux, ces seins obscènes et maladifs n'ont par l'air bien solides... 

Et puis on pense à ceux qui se sont aventurés ici, au vent, pour construire tout cela. On a le vertige pour eux.




























Puis, ici et là une potence émerge de la pénombre. De petites poulies y sont accrochées : c'est donc ici qu'on pendait les grands lustres du choeur...































La visite se termine et, sur le retour vers le point de départ, on s'arrête au pied d'un appareillage de bois qui paraît plus ancien que le reste. Il est situé juste derrière la façade affreuse de l'église. 

Là se cache l'ancienne cloche de l'ancienne église (celle qui siégeait jadis sur l'actuelle Place Simon), assurant par sa présence la continuité paroissiale.

Le temps l'a une peu ébréchée et sa petite taille lui donne un air égaré dans le gigantisme ambiant. 

Elle sonne...
























vendredi 26 février 2016

Coins et recoins d'église


Si vous êtes nés avant 1960 et que vous avez fréquenté l'église de Guémené dans votre enfance, vous devez vous rappeler l'ancien choeur, celui qui, en gros, ressemblait au choeur originel de cet édifice.

C'est en 1970 que ce choeur est adapté aux exigences de la messe post-Vatican II, quand les prêtres doivent désormais regarder la foule des fidèles et non plus leur tourner le dos.

Une photo permet de se figurer à quoi cela ressemblait.











Au centre domine l'autel. Mais il est séparé de la nef par une clôture, une petite barrière basse qui court sur plusieurs mètres au-dessus des marches qui mènent à l'autel, dont on imagine le dessus revêtu de velours rouge. Les enfants s'agenouillaient sur les marches, les coudes sur la barrière et recevaient l'hostie avec piété.

Cette barrière a été enlevée et clôt désormais la chapelle de la Vierge dans le transepts est.

Descendant de la voûte deux lustres imposants venaient éclairer l'endroit.

L'autel était surmonté d'un Christ en croix (en bois) et flanqué de deux anges.

Ici et là, des saints de plâtre coloriés, une croix offerte lors d'une Mission.

L'orgue, alors actionné par une soufflerie manuelle, invisible sur le cliché, se tenait au fond du choeur où les murs de ce dernier était couverts d'une boiserie sombre.

Tous les trésors ont disparu de la vue au détour des aménagements de 1970.

Mais dans les resserres du bâtiment où furent bannis ces objets d'une autre époque, d'une autre Eglise, la poussière et les araignées tiennent encore compagnie à ces vestiges que les hommes et les femmes, et les enfants aussi de Guémené, ne saluent plus.

Le monde paroissial ancien, celui des frairies et des bannières, des Rogations et des Fêtes-Dieu, s'est effondré, une civilisation a quasiment été rayée de la carte, faite alors d'une foi et d'une unanimité inimaginables aujourd'hui, dont il ne reste plus, épars, que quelques signes humains ou matériels.

***

Dans leur abris d'oubliés, au Purgatoire, les saints de plâtres semblent invoquer le ciel non plus comme intercesseurs de pauvres pêcheurs implorants une grâce, mais pour eux-même, pauvres isolés descendus de leur piédestal, relégués, ignorés, effacés.

Un Jésus enrobé de pourpre miteuse prend à témoin les mouches de l'ingratitude du monde. Il n'y a pas de signe sur son visage à la barbe bien rasée, d'animosité ou de souffrance. Une fièvre toutefois empourpre ses joues.

Pour paraphraser Don Diègue : a-t-il donc tant souffert que pour cette infamie ? Déchu, il indique, d'une main rose marquée d'une petite tache de sang, son sacré coeur, à l'instar d'un mendiant exhibant une plaie pour attendrir l'improbable passant, et tend l'autre main, sale, dans l'espoir éternellement déçu de quelque aumône nécessaire à sa survie.

Son voisin de gauche adresse au ciel un regard excédé. Ce Saint Jacques porte une sorte de capuce constellé de coquilles. Il tient son bâton de pèlerin de la main droite et un pauvre mouton (est-ce un chien ?) au poil sombre est accolé à sa jambe droite qui, assez incompréhensiblement, a pris la même couleur que l'animal.

Il semble invoquer le ciel pour se plaindre d'une morsure d'araignée à la cuisse gauche, juste au dessus du genou, relevant légèrement sa robe pour révéler l'outrage arachnéen. Mais bon, personne ne s'intéresse plus guère à son cas.






















A ses pieds à gauche, les deux angelots qui jadis ornaient l'autel, vêtus d'un robe serrée à la taille par un nœud, croupissent dans la pénombre poussiéreuse. Leurs pieds sont perdus dans un nuage et ils reposent sur des débris de pierre tombés du bâtiment. 

Leur beauté impassible, cueillie dans ce qui ressemble à un sommeil serein, leur donne un air de Belles au Bois Dormant attendant certains princes charmants pour les sortir de leur torpeur et de leur relégation. Hélas, leur sommeil est éternel, et la crasse s'accumule sur leurs boucles noires...






















Saint Cornelys également attend patiemment des jours meilleurs. Le bovidé à ses pieds a la taille d'un petit chien et, comme tous les bovidés, regarde les trains passer. Le saint homme porte la tiare papale et tient un livre dans la main droite. Eh oui, après avoir été persécuté par l'empereur romain Trébonien Galle, il faut encore subir l'outrage des merdes de mouches en ce réduit !






















Et voilà-t-il pas un reste d'enfant Jésus dans une boite en carton remplie de sable ! On pense au massacre des Innocents, à la Saint-Barthélémy, à tous ces dépeçages d'enfants dont l'Histoire est friande. Le tronc de Saint Roch lui fait comme une tête détachée : combien d'espoirs paysans n'ont-ils pas passé par la fente de cette boite sous forme de gros sous ? Et d'ailleurs, où est-il passé, le bonhomme Saint Roch ?





















On monte quelques marches de bois. Voici la croix qui dominait l'autel ancien que les outrages du temps ont peu marquée. Le Christ paraît bien un peu perdu sur cette grande croix grise...





















A droite, dans la pénombre gît une autre croix. Elle a perdu son Christ et semble à jamais reléguée. Et pourtant, en 1901, vingt-huit anciens marguilliers de la paroisse s'étaient présentés pour porter le brancard sur lequel elle reposait. Offerte M. le comte du Halgouët, c'était un souvenir de la Mission de cette année-là, qui fut placé dans l'église, sur le pilier en face de la chaire.





















Et la lumière fut...Dans un autre recoin trop étroit pour leur majesté, les deux lustres monumentaux qui naguère éclairaient les dévotions du bourg et des camapgnes, vers qui tant d'encens est monté en volutes âcres, végètent ad aeternam. Un travail important serait nécessaire à leur remise en état, mais la force, pas plus que la lumière, n'y est plus...





















(à suivre...)

dimanche 21 février 2016

C'est nous, les gars de la Marine.


Des neuf châteaux de Guémené, deux ont marqué mon esprit depuis mon enfance, les deux qui dominent à l'évidence la chatelainie en cette contrée. 

Il y a d'abord le Brossay, au nord de la commune, dont la route qui dessert ma Hyonnais favorite porte le nom ("la route du Brossay") et vers où, tous jeunes, nous pédalions parfois l'été, pour voir le mystérieux château blanc, de loin, ou - souvenir inoubliable - regarder, immobiles, les jambes écartées au-dessus du cadre de nos vélos à l'arrêt, la châtelaine du Brossay (celle que ma mère devait vouvoyer à l'école) conter son blé à ses métayers. 

Et il semblait étrange et fascinant, dans nos esprits enfantins, qu'une personne au nom si surprenant et empli de mystère historique - "la Marquise de Becdelièvre" - puisse ainsi si trivialement plonger ses mains dans le blé, au beau milieu d'une ferme...

L'autre est évidemment Juzet, perché sur son éminence, dominant la vallée encaissée du Don. Son aspect et sa situation improbable impressionnaient les enfants que nous étions et encore l'adulte que je suis. Paradoxalement, c'est le plus accessible des châteaux de Guémené et on peut arriver jusqu’à ses pieds sans crainte d'intrusion dans le domaine privé, sans crainte de voir quelque régisseur botté et armé d'un fusil venir vous chasser.

Paradoxalement, car un assez long cheminement initiatique est nécessaire à son accès : la plongée à travers bois de la route étroite qui serpente à partir du village de Mézillac ; l'étroit passage entre le moulin en ruine et l'étang à nénuphars qu'alimente le ruisselet de Mézillac ; les ruines d'antiques maisons de pierres bleues mangées de végétation ; la ligne droite dans la vallée du Don vers le Thenou, entre champs et flanc abrupte de la colline... 

Bref, j'ai toujours trouvé l'endroit magique et rassérénant, un endroit où l'on se sent en sécurité, protégé des outrages du monde, où l'on peut venir oublier que le temps a passé, et passera encore hélas.

Les hôtes immémoriaux de ce château et des terres alentour n'en portaient pas moins un nom qui ajoutait de la singularité à l'endroit : de Poulpiquet du Halgouët que ma grand-mère Gustine comme les autres gens du pays appelait simplement "les du Halgouët", sans prononcer le "g". Et si une partie de leur nom sonne comme "alouette", les oiseaux illustrant leurs armes sont en réalité de bretonnes "poullpiked", des pies huîtrières...


C'est un homme ancien, né à Guémené qui m'a conduit à cette digression.

Sans doute son père, Georges Dubreuil était-il lié aux deux familles que je viens d'évoquer, peut-être comme procureur ou notaire. Car lorsque le fils qu'il eut avec Jeanne Debray naquit, le 5 décembre 1759, il convoqua du monde de qualité à son baptême.

L'ondoiement du petit Luc Auguste Dubreuil fut en effet rehaussé par la qualité exceptionnelle de ses parrain et marraine : Luc Sévère de Poulpiquet du Halgouët et autres lieux, abbé, clerc du diocèse de Rennes, prieur de Tremblay, diacre et bachelier en théologie, accompagné de sa commère, demoiselle Lucrèce Augustine de Becdelièvre, dame du Brossay et autres lieux...

Ajouterai-je qu'un chevalier du Halgouët, capitaine de Dragons, assistait également à l'événement ? Non seulement le goupillon, mais donc aussi le sabre...

J'imagine le plaisir, la délectation éthérée née d'un furtif sentiment d'égalité sociale, que le nouveau papa éprouva à apposer sa belle signature sous celles des éminences précitées...

S'il y avait une justice immanente, cela se saurait, et porté par ces seules auspices, le jeune Luc Auguste n'aurait eu qu'une vie forcément exemplaire, toute tournée à l'édification de ses contemporains. Hélas, il n'en est rien et le Malin parfois s'en mêle.

Luc Auguste Dubreuil, avait épousé la profession de Saint-Joseph et œuvrait donc aux toits des maisons du pays. Il faut croire que l'on n'en vivait point trop bien à l'époque, car aux premiers temps de la Révolution, le jeune charpentier alors âgé de trente-trois ans se laissa entraîner sur une pente qui à l'évidence n'avait rien à voir avec celles d'une toiture.

C'est ainsi que le Tribunal de Blain condamna le 6 juillet 1792 le jeune homme à dix ans de "Fers" pour vol.

Était-ce même un gros larcin ? C'est peu probable, vu de nos yeux d'aujourd'hui en tout cas, mais à l'époque on ne rigolait pas. Bref dix ans de bagne et de travaux forcés, sans trop d'espoir de remise de peine...

Pour commencer, il fut exposé au pilori pendant quelques heures (à Blain probablement, plutôt qu'à Guémené), un écriteau au-dessus de sa tête exposant les motifs de sa condamnation et sa nature. Pour bien marqué le coup, une marque au fer rouge lui fut gravée sur l'épaule, un "T" signifiant une peine de travaux forcés non perpétuelle.

Puis un peu de prison, avant d'arriver au bagne de Brest, le 12 novembre 1792. Le voyage jusqu'à Brest se faisait en charrette ou à pied, en raccrochant un groupe de bagnards venus d'ailleurs et allant au même endroit, tous enchaînés les uns aux autres, un triangle de fer au cou et des entraves aux pieds. C'était ce qu'on appelait la "chaîne".

Parmi d'autres formalités, les nouveaux arrivants troquaient leurs habits pour d'autres, fournis par l’Administration, dont un bonnet rouge.























Il faut croire que la soupe n'était pas trop bonne : Luc Auguste faussa compagnie à son monde le 4 février 1793. Cette évasion laisse à penser : attifé comme un bagnard, le crâne rasé, il ne devait pas passer inaperçu. De plus, aux trois coups de canon signalant qu'un détenu avait pris la poudre d'escampette, la population se lançait dans la chasse à l'homme, motivée par la forte prime associée à l'arrestation du fuyard.

Et pourtant, Luc Auguste ne fut repris qu'après plus de six années de cavale et ne réintégra l'établissement pénitentiaire que le 7 germinal an VII (27 mars 1799).

Quand il fut ramené à Brest, il fut dûment bastonné pour lui apprendre les manières (il avait oublié de dire au revoir), tenu à quatre par des codétenus et frappé au nerf de bœuf ou d'une corde goudronnée par un cinquième. Et il repiqua au bagne pour un bail.

Enfin, le 17 août 1810, il fut libéré et s'évanouit dans la nature. 

Cette partie de son existence est consignée au Service historique de la Marine, à Brest, dans le registre 2 O 20, matricule 272.























***

Il aurait pu être le fils de Luc Auguste Dubreuil, car il naquit le 7 mai 1781, quand ce dernier avait vingt-deux ans. Mais son père s'appelait Louis Bréger et avait épousé une dame Claudine Orain, de Lusanger, bourg qui n'est distant de Guémené que de quatre lieues. Sans doute le premier enfant mâle du couple, il fut prénommé comme papa. 

L'histoire connue du jeune Louis saute quelques années.

Il a trente-six ans quand il épouse une certaine Mathurine Billard, le 20 mai 1817. C'est une jeune fille de Rénac, bourg situé de l'autre côté de la Vilaine, à quelque distance du fleuve. 

Mathurine est une jeune lingère de vingt-trois ans, vivant avec ses parents au village de la Guillardais et son tout nouveau mari vit à l'époque au bourg de Guémené, faisant profession de laboureur journalier. Il ne sont donc pas bien riches et ne savent ni lire ni écrire. Des pauvres, donc, comme alors il y en a partout en ces contrées.

Il n'est pas inimaginable que ce couple ait vécu gentiment en Ille-et-Vilaine, loin des lieux que Louis Bréger avait pu connaître, en tout cas.

Car vers le début de l'année 1823, le passé de Louis le rattrape. On ne sait trop comment, mais il appert que préalablement à ce qu'il convole avec sa dulcinée rénacoise, le jeune Louis avait déjà eut l'occasion d'épouser une femme, à l'identité demeurée mystérieuse.

On peut philosopher sur ce double mariage (le divorce, introduit par le Législateur en 1792, a été abrogé en 1816, et ne sera rétabli qu'en 1884). Peut-être le souci de troquer une vieille pour une jeunette a-t-il été le plus fort ; ou bien de changer de belle-mère, la première s'avérant trop coriace à l'usage...

En tout cas, l'affaire n'eut guère l'heur de plaire à la Justice de Rennes. Le tribunal de cette honorable ville infligea à Louis Bréger une peine de cinq années de travaux forcés, arguant du fait que l'inculpé avait "contracté un second mariage avant la dissolution du précédent"

La sentence fut prononcée le 12 mai 1823 et, comme de juste, ce gaillard d'un mètre et soixante-dix centimètres fut exposé au pilori le 17 mai suivant, probablement en quelque lieu de la capitale bretonne.

A l'instar de son prédécesseur, un "T" lui fut élégamment dessiné sur l'épaule au doux moyen d'un fer rouge.

Il fit son arrivée au bagne de Brest le 29 juillet 1823. Lavé, rasé, dépouillé de ses vêtements (ils sont brûlés), il revêtit l'habit d'usage et fut apparié à un détenu plus ancien par une chaîne, avec qui il allait faire ménage pendant trois ans, selon l'habitude du lieu. 

C'était son troisième mariage, en somme, qui certes présentait des inconvénients (je vous laisse imaginer), mais à tout le moins présentait l'avantage de n'impliquer aucune belle-mère.

A peine un an après cette incorporation, le 7 juillet 1824, le tribunal civil de Redon réduisait d'une unité le nombre de liens matrimoniaux qui pesaient sur les épaules du condamné, annulant le mariage avec la pauvre Mathurine Billard qui, si on me le permet, dut quand même avoir les boules...

Louis Bréger tira son temps. Il fut libéré le 17 juillet 1828. Ce fils de Guémené avait dû apprécier l'air marin de ces confins finistériens, car il décida (ou l'Administration décida) alors de s'installer à Quimper où son souvenir s'est finalement dissout.

La postérité a gardé son histoire également au Service historique de la Marine, à Brest, dans le registre 2 O 26, matricule 15235.















***

Il est amusant comme le hasard fait parfois les choses. Je tiens les informations que j'utilise pour cet article d'éléments que j'ai demandés il y a plusieurs semaines à une petite association qui oeuvre au recensement des forçats bretons et que j'ai reçus cette semaine. 

Par ailleurs, les deux derniers articles publiés portaient sur le magasin de chaussure de Massérac de François Cuisinier.

Or quelle ne fut pas ma surprise de constater que le troisième larron bagnard né à Guémené n'était autre que Cuisinier Denis, dit Bersan, fils de Claude Cuisinier - marchand - et de Jeanne Ribot, déclaré en mairie le 10 thermidor an VII (juillet 1799) mais né en réalité le 15 pluviôse an VII (3 février 1799) au bourg de la section communale de Beslé, le propre futur grand-père du chausseur masséracéen héros de ma récente littérature.

C'était sans doute un personnage qu'on remarquait quand on le croisait. Il était certes plutôt d'une taille normale pour son époque (un mètre cinquante-neuf), mais il avait le visage tout grêlé par la petite vérole qu'il avait dû avoir sévère. Enfin, il arborait un tatouage sur l'avant-bras gauche qui ne devait rien toutefois à un accident professionnel, sachant qu'il était teinturier de son métier.

Il faut croire que la teinture ne nourrissait pas son homme vers 1830 car Denis Cuisinier se livrait à la rapine. Héla pour lui, il se fait prendre pour "vol nocturne d'argent commis à l'aide d'escalade et d'effraction".

Le monte-en-l'air guémenois fut pour ce chef condamné le 16 mars 1830 par le tribunal de Nantes à six années de travaux forcés qu'on l'envoya passer à Toulon, histoire de changer d'air. Au préalable, naturellement, on l'exposa au pilori : c'était au printemps, le 28 avril suivant sa condamnation. On ajouta bien sûr à son tatouage une seconde marque, le fameux "T" d'infamie.

Il faut croire qu'il se comporta de manière exemplaire. Car le teinturier déchu fut gracié le 4 novembre 1834. Ce genre de circonstance arrivait quand le condamné avait rendu un service signalé (par exemple libérer un navire de sa cale, lors de sa mise à l'eau, sans se faire écraser...). Celui rendu par Denis Cuisinier m'est inconnu. Il quitta le bagne le 14 novembre.

Pour lui la vie reprit dans sa région natale. Ainsi le retrouve-t-on en 1835, le 16 juin, à la mairie de Massérac, commune satellite de Guémené, où il épouse une certaine Gabrielle Launay. Il avait donc en sept mois de temps trouvé le moyen de retourner au pays, séduire par ses charmes physiques et moraux une beauté du coin et la conduire à l'autel. On comprend que le besoin était pressant...

C'est enfin en ce bourg que le vieux teinturier bagnard rendit l'âme le 20 octobre 1871, entouré des siens.

Comme pour les deux autres forçats, son histoire de bagnard est consignée au Service Historique de la Marine (mais à Toulon), registre 1 O 155, matricule 24187.


samedi 13 février 2016

Au Pied Mignon (2)


Quelques compléments par rapport à l'article précédent.

Le grand père de Cuisinier Aîné, marchand de chaussures à Massérac dont il a été question dans le dernier post, était teinturier à Beslé quand il s'est marié à Massérac, en juin 1835 (la période de l'année où se tient le mariage confirme que nous ne sommes pas dans le monde paysan). Il eut un fils, François, né en 1838, père de notre héros.

Je ne sais si c'est l'effet lointain des teintures du papy, mais notre héros était blond, de sourcil et de cheveu, et ses yeux avaient une teinte gris-bleu.

Il n'avait plus l'âge de mourir pour la Patrie en 1914 et put donc défendre en toute quiétude les orteils et les plantes de pieds du bocage masséracéen.

Hélas, tel n'était pas le cas de son jeune frère, prénommé François comme lui. Peut-être l'épithète Aîné accolée à Cuisinier vient-elle de cet étrange doublon de prénom dans la même fratrie.

Ce jeune homme, né en juillet 1892, termina son existence à 25 ans, fin avril 1918, à l'hôpital mixte d'Amiens, succombant à ses blessures. C'était un artilleur, canonnier servant au 276ème Régiment d'artillerie. Il était brun et on ne sait trop où il est enterré.

Toujours est-il que le vieux François Cuisinier pouvait contempler son nom, celui du jeune François Cuisinier aussi, sur le monument aux morts de Massérac, à l'entrée de la rue principale du village quand on vient de Guémené.

Mais malgré les sacrifices à Dieu, la France et la République, la vie continue, comme les affaires.

Quelle meilleure preuve en apporter que ces effets de commerces, ces billets à ordre soit d'avant la guerre (1894, 1899), soit d'après (1928).

Avant comme après, on commande à Nantes, Fougère ou Amiens, car à Massérac, tout près de Guémené, les pieds sont insatiables et tels des enfants, se moquent du temps qui passe, de la guerre qui tue, des pieds qui ne reviendront pas...

A quelle était belle l'industrie française de la chaussure en ce temps-là !

Voici la maison Lahausse & Belmont qui dispose d'une "usine à vapeur" au 228 rue de Vaugirard à Paris et de deux autres fabriques en province. 


Ou encore, à Fougère, Ange Morel la marque "Au Coq", primée aux expositions ou Rollin & Morel...



On trouve aussi Gustave Lemoine, manufacture sise à Nantes, 16 rue Saint Similien.





















Sans compter Prévôt - Blondel & Lévêque, manufacture de chaussures & galoches à Amiens.


Voire Peyronnet Fils (Perrouin Frères Successeurs) à Nantes, cordonnerie modèle primée à l'Expo Universelle de 1889, où les produits sont cousus main...





















Mais le monde de la chaussure s'est englouti, comme les frères Cuisinier. 

Restent juste les bouts de papier que produisent les hommes et leur activité.