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dimanche 24 janvier 2016

Léon Trivière, sa vie son oeuvre


Pour moi, le nom de Trivière est d'abord synonyme de peintre et de cimetière.

Je me rappelle les visites à la petite boutique de la rue des Porteaux qui se trouvait entre le Boulevard et l'avenue Jean-Friot, en face le cinéma Saint-Michel, tout près du calvaire qu'on voit toujours au coin de la place qui se trouve derrière l'église.

On n'y venait guère que pour acheter des fleurs artificielles pour la tombe de la grand-mère (mon arrière-grand-mère). Il ne me semble pas, cinquante années plus tard, qu'il y ait eu grand choix.

Le Trivière de mes lointains souvenirs qui y avait élu domicile, était un homme assez aimable, à casquette, et je crois bien, quand j'y pense, que c'est sa femme que je revois dans la boutique. C'était il y a plus de cinquante ans et on ne parlait pas de son frère missionnaire.

Ce n'est que bien plus tard, récemment, que j'ai entendu parler du Père Léon Trivière, grâce aux feuillets dactylographiés que ce dernier avait commis à propos de Guémené et son histoire : Souvenirs du vieux Guémené.

Léon Trivière a eu une vie voyageuse, orientale et religieuse à la fois. Auteur encore lu d'articles sur la Chine, il est donc également l'auteur de quatre fascicules issus d'archives diverses, narrant des faits plus ou moins historiques concernant Guémené.


Léon est né le 3 février 1915 à Guémené-Penfao, dernier des quatre enfants de Pierre Trivière, peintre, et de Marie  Joséphine Bernard, née à Nantes où le couple s'est d'ailleurs marié. La famille s'installa à Guémené après 1904.

Le fils aîné Pierre, né en 1900, mourut à 37 ans après avoir pris froid au travail en peignant un pont. Il avait également une sœur, Maria née en 1904 et un frère, Henri, né en 1911 qui est celui que j'ai connu.

Le jeune Léon est élève à l’école primaire St Michel à Guémené avant de poursuivre ses études secondaires au petit séminaire de Guérande (5ème et 4ème), puis à l’Institut Notre-Dame des Couëts à Bouguenais (de la 3ème à la classe de philosophie). Ayant passé ses deux bacs, il obtient aussi deux mentions au concours de l’université catholique d’Angers

Il entre alors au grand séminaire de Nantes et y fait deux années de philosophie scolastique de 1934 à 1936.

Son service militaire de septembre 1936 à novembre 1938 le met au contact des malades en hôpital. En 1938, il est amené à aider l’aumônier de l’hôpital du Val de Grâce. Etant à Paris, il a pris contact avec le Séminaire des Missions Etrangères.  Il y est admis quelques jours après sa demande, le 23 mai 1938, et y entre effectivement le 14 octobre de cette même année.

Il fait ensuite une première année de théologie au grand séminaire de Bièvres. Année réduite en fait à cinq mois, de novembre 38 à mars 1939, date où il est rappelé sous les drapeaux. En 1940, il participe à la campagne de France et est fait prisonnier sanitaire jusqu’en 1941. Il peut ensuite terminer ses études de théologie au Grand séminaire de Paris et est ordonné prêtre le 20 mars 1943.

Agrégé officiellement aux Missions Etrangères le 15 septembre 1943, il reçoit sa destination pour Moukden en Mandchourie. En pleine guerre, il n’est évidemment pas question de partir et le jeune prêtre fait ses premières armes comme vicaire à la paroisse St Pierre St Paul de Fontenay-aux-Roses. En 1944-45, il est vicaire à St François Xavier des Missions Etrangères et aumônier du lycée Duruy à Paris. C'est un peu moins exotique...

En juin 1945, la Chine étant toujours fermée, il prend du service comme volontaire dans l’armée de Lattre, ce qui l’engage pour trois ans jusqu’en juin 1948 et lui fait manquer les premiers départs en Chine en 1946. Il est d’abord aumônier régimentaire au 21è R.I.C. (Alsace, Allemagne), mais il suit bientôt le corps expéditionnaire en Indochine. En 1947 il est aumônier divisionnaire à la 9ème D.I.C. et des Forces françaises d’Extrême-Orient, et aumônier de garnison à Hanoï.

Ces postes lui valent le grade de capitaine et des décorations : Croix de guerre 1939-45 (3 citations au régiment, à la Brigade, à la Division), Médaille coloniale avec agrafe d'Extrême-Orient.

Après la capitulation du Japon en août 1945, la Chine a de nouveau ouvert ses portes. Libéré de ses obligations militaires, Léon Trivière peut se rendre à Shanghai dès janvier 1948. Il s’y met à l’étude du chinois jusqu’en octobre. Il poursuit ensuite son apprentissage de la langue à Pékin pendant deux mois pour revenir sur Shanghai à la fin de l’année.

Les missionnaires étudiants en langue sont alors évacués de la capitale qui passe sous contrôle communiste. Léon Trivière assure la direction du groupe des Missions Etrangères dont la petite équipe se réfugie à Macao jusqu’en mai 1949 après un bref passage à Hongkong fin janvier. 

En juin, leurs supérieurs décident d’envoyer ces étudiants en langue sur le continent malgré les incertitudes de la situation. La Mandchourie étant déjà sous contrôle communiste et donc exclue, Léon Trivière et un collègue sont dirigés sur Chengdu au Sichuan.

Le 19 juin, les jeunes missionnaires arrivent à Chungking par avion. Ils s’y attardent quelques semaines. Dès leur arrivée à Chengdu, le père Trivière reprend son étude du chinois avec un professeur civil. Il est placé à Yitongqiao (I T’ong K’iao) paroisse où un curé zélé développe la Légion de Marie, un mouvement très structuré de participation des laïcs à la mission de l’Eglise.

Mais Léon Trivière est nommé en second à Guiwangqiao (Kwei Wang K iao) où le curé se ressent des fatigues de presque 50 ans de mission.

Les nouvelles autorités communistes sont déjà en place. L’arrivée des "rouges" est fêtée par la population comme une libération. Dans l’euphorie de l’indépendance et de la lutte contre toute oppression, la présence des étrangers commence à être mise en cause. 

Le 14 octobre, les étrangers de la ville doivent retirer un nouveau permis de séjour valable 6 mois. Les bénédictins qui viennent d’ouvrir une nouvelle école à Chengdu doivent fermer leur Institut et quitter le pays. Les établissements scolaires sont entièrement pris en charge par l’Etat.

Malgré la menace qui pèse, la vie paroissiale est aussi active que possible. L’atmosphère change rapidement l’année suivante. Les églises sont frappées de lourds impôts au profit des plus défavorisés. Tout le monde doit travailler pour assurer sa subsistance et servir le peuple.

En 1951, Léon Trivière se consacre au travaux publics. Il fait une semaine comme terrassier dans les rues de la ville. La presse locale évoque cette expérience : " Il a éprouvé beaucoup de joie à partager par expérience l’existence du peuple et a obtenu en fin de stage une mention d’honneur pour son ardeur au travail ". Cela va de soi.

Le 9 novembre 1951, Trivière est interné en même temps que d'autres prêtres. Toute cette équipe de missionnaires prisonniers est finalement expulsée en fin d’année et parvient à Hongkong le 12 janvier 1952.

Après quelques jours de repos, Léon Trivière est affecté à la rédaction du Bulletin de la Société des Missions Etrangères à Hongkong.

Léon Trivière acquiert alors ses titres de noblesse comme journaliste. Il recueille ainsi une information très précieuse sur l’évolution de la situation religieuse en Chine en une époque de grands bouleversements. D’autres confrères expulsés comme lui de Chine publient d’ailleurs le récit de leurs épreuves.

En 1956, alors que Mao lance la Chine dans la campagne éphémère des Cent fleurs, il se rend en Europe où il est invité à témoigner de son expérience chinoise.

En France du 19 mars au 23 mai, il a bien sûr la joie de retrouver sa famille à Guémené Penfao. Mais en avril, il est à Bruxelles où il prend part à une réunion de la Commission internationale contre le régime concentrationnaire.

S’étant fait davantage connaître en France et à l’échelon international, il reprend son travail à Hongkong. Les documents qu’il fournit en 1957 sont particulièrement utiles car ils permettent de préciser comment s’est formée l’Association Patriotique des Catholiques de Chine en juillet 1957, sous l’impulsion du Premier ministre Zhou Enlai. De 1957 à 1961, Léon Trivière publie 38 articles sous la rubrique "Eglise catholique en Chine continentale".

Pendant ce temps, la situation se tend en Chine. Une violente campagne anti-droitière a succédé aux Cent Fleurs. Le contrôle politique sur l’Eglise se fait plus direct. En avril 1958, deux premiers évêques sont consacrés à Wuhan sans l’accord de Rome.

Le père Trivière n’est pas à Hongkong à ce moment là car il vient d’entreprendre un grand voyage autour du monde.

Il se rend d’abord à Taiwan . Cette République de Chine se présente au monde comme «la Chine libre». Le représentant du Saint Siège s’y est réfugié après avoir été expulsé du Continent. La vie de l’Eglise dans ‘l’Ile-trésor’ est alors en plein essor.

De nombreux réfugiés du continent reçoivent le baptême et le gros de la population aborigène devient catholique ou protestante. A Hualien sur la côte est de l’île, le père Trivière rencontre les confrères venus de Mandchourie, de Shnatou, du Guizhou et même des confins du Tibet.

De Taiwan il passe au Japon. De là, il rejoint l’Europe.

Au retour de ce long périple, il se remet à la rédaction du Bulletin à Hongkong où il reste jusqu’en septembre 1960. C’est alors que le nouveau supérieur des Missions, ancien de l’Inde, le rappelle à Paris.

Le père Trivière prend en charge la Revue des Missions Etrangères de Paris le 4 octobre. Il écrit beaucoup. Il s’insère dans les milieux d’études de l’actualité, entre autres comme membre correspondant de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer.

Ses études portent sur de nombreux pays d’Asie - Thailande, Malaise, Inde, Corée, Japon - et même sur Madagascar où plusieurs anciens de Chine ont pris du service. Sa passion pour le monde chinois ne faiblit d’ailleurs pas. Dès 1961, Missions Etrangères de Paris publie ses articles sur «L’Eglise et les Chinois du monde libre en 1960». A l’heure où De Gaulle est le premier des chefs d’Etat à reconnaître le gouvernement de Pékin en 1964, il écrit l’article intitulé «Le poids de la Chine dans le monde».

En janvier 1966, il tombe gravement malade. La revue Missions Etrangères de Paris disparaît d’ailleurs en avril 1967.

À peine remis de sa maladie en mai 1966, Léon Trivière est invité à coopérer à une troisième publication des Missions : Les Echos de la Rue du Bac. Il y reprend ses enquêtes sur l’actualité dans les divers pays d’Asie. A partir du N°18 de ces nouveaux Echos, l’apport de Léon Trivière devient une rubrique régulière intitulée "le mois en Asie".

A partir de 1967, il collabore en outre à "Epiphanie", une autre publication lancée en 1962. Léon Trivière accepte d’alimenter la rubrique "L’actualité en Asie". Il y publie des études d’une approche générale géopolitique telles que «La Seconde Révolution chinoise» (N°32, octobre 1967), «le Mouvement étudiant en Asie»( N°37, 1969) «La rivalité des trois géants en Asie (Etats-Unis, Union soviétique, Chine)» (N° 40, septembre 1969), « A propos du Saint-Siège et de la Chine ( 1971).

Le 4 novembre 1973, le père Trivière est frappé d’une hémiparésie droite. Le 30 du même mois, il demande à être déchargé d’une partie de ses responsabilités de publication.

De nouveaux développements dans la vie de l’Eglise contribuent d’ailleurs à faire revivre cette passion et à lui ouvrir de vastes horizons.

Léon Trivière saisit au vol ce nouveau courant d’intérêt pour la Chine. Inquiet peut-être des aléas de sa santé physique, il met dans le coup un confrère tout disposé à sympathiser avec ses objectifs. Tous deux coopèrent à un dossier commun qu’ils intitulent «Le défi de Mao aux Chrétiens».

En 1976, il entreprend un voyage dans cette Chine qu’il avait dû quitter un quart de siècle auparavant. La Chine qu’il découvre est encore bien marquée par l’esprit de la grande Révolution culturelle prolétarienne mais c’est une Chine qui a été admise aux Nations Unies en octobre 1971 et qui cherche à s’ouvrir au monde depuis la visite de Nixon en 1972.

Le voyage a lieu du 29 septembre au 18 octobre, à peine un mois après la mort de Mao Zedong. Léon Trivière fournit une information détaillée. Le groupe visite les monuments les plus célèbres, mais aussi des usines, des communes populaires, des instituts d’éducation et un hôpital. Les aspects sociaux et idéologiques du régime sont présentés aux visiteurs.

Le père Trivière note avec soin toutes les informations qu’il peut recueillir concernant les conditions de travail et le niveau de vie. Le dimanche à Pékin, il assiste à la messe au Nantang, seule église alors ouverte au culte dans toute la Chine, à l’usage des étrangers - messe en latin, le dos tourné aux quelque 35 fidèles étrangers. «Les Catholiques chinois , lui dit-on, ont développé leur conscience politique et s’abstiennent, d’eux-mêmes de participer au culte public».

Sans trop de commentaires sur cette misère de la religion, Léon Trivière note soigneusement quelques signes de l’évolution politique. A Suzhou le 10 octobre, il apprend la nouvelle du projet de construction d’un mausolée en l’honneur de Mao Zedong et la confirmation du pouvoir de Hua Guofeng. 

A Shanghai, le 14 octobre, alors qu’il se rend avec son groupe au Palais de l’exposition industrielle, il repère un attroupement autour de deux affiches murales et apprend plus tard qu’il s’agit d’une première attaque contre la fameuse «Bande des quatre» dirigée par Jiang Qing, la veuve de Mao Zedong.

Depuis septembre 1974 et encore plus à la suite de son voyage, la grande majorité des articles de Léon Trivière dans les Echos sont consacrés à la Chine. Ses dernières contributions aux Echos en 1982 et 1983 portent pratiquement toutes sur les religions en Chine

Attentif à l’évolution de la Chine, le père Trivière multipliait conférences, dossiers et articles. Les médecins l’avertissaient pourtant qu’il n’en avait plus pour longtemps à vivre s’il continuait à ce régime. Il décida alors de renoncer à toutes ses activités concernant la Chine et de se mettre au service des vieillards et des malades dans une maison de convalescence.

Il avait de la famille à Fontainebleau. C’est ainsi qu’il s’installe alors à la maison Saint Joseph de Fontainebleau comme aumônier. Outre son ministère à la Maison St Joseph, il se rend tous les samedis à Avon, pour y célébrer la messe dans une autre maison de convalescence. Il fait aussi beaucoup de visites.

Fin 1992, il est hospitalisé pour un problème de hanche. Mais son problème de hanche n’était pas le plus grave. A la Maison Saint Joseph, on reconnaît qu’il a beaucoup baissé. Il a des absences, des réactions inattendues. Il lui arrive de dire la messe à une allure folle. Ses homélies, par contre, sont de plus en plus interminables. C’est qu’il est déjà atteint par la maladie de Alzheimer. Bref, il lui faut penser à une retraite définitive.

Il se retire à Montbeton le 3 février 1993. Condamné pratiquement à l’inaction après tant d’années d’activité intense, il entre peu à peu dans un état d’apathie, ne parle plus et reconnaît à peine les amis qui viennent le voir. Il s’éteint complètement le 21 novembre 1998. Il repose dans ce cimetière de Montbeton.


C'est à la fin de la guerre, à partir de 1944, que Léon Trivière rédige ses notes historiques concernant Guémené. Celles-ci se présentent sous la forme de quatre fascicules dactylographiés représentant environ 90 pages de notes.

Il s'agit d'un rassemblement de données éparses plus qu'un ouvrage construit. Certains thèmes sont d'ailleurs évoqués à plusieurs reprises (la Révolution). On ne peut parler non plus d'un travail d'historien car les sources ne sont pas critiquées et bien des choses méritent d'être revues.

Mais bon, ces quatre fascicules restent intéressants et je n'ai pas encore exploité leur contenu.

En voici les sommaires :

Fascicule n°1 :





















1- Guémené ; 2 - Le nom de Guémené ; 3 - Le nom de Penfao ; 4 - Place Simon ; 5 - Rue de Chateaubriant ; 6 - Castres ; 7 - Rue du Grand-Moulin ; 8 - Rue Garde-Dieu ; 9 - Bruc ; 10 - La Fée Carabosse ; 11 - Rue Garde-Dieu ; 13 - Grand-Luc.


Fascicule n°2 :





















1 - La Révolution ; 2 - Rue des Ponts ; 3 - La Bataille de Conquereuil ; 4 - La rue de la Chevauchardais ; 5 - La chasse de Saint Hubert ; 6 - La Révolution ; 7 - Les Frairies


Fascicule n°3 :





















1 - La Vieillecour ; 2 - Place Simon (suite) ; 3 - Rue du Lavoir ; 4 - Rue Saint-Clément ; 5 - Juzet ; 6 - La Révolution ; 7 - Le Boisfleury ; 8 - Rue de l'Hôtel de Ville


Fascicule n°4 :





















1 - Trémelan ; 2 - La Révolution ; 3 - Friguel ; 4 - Les armoiries de Guémené ; 5 - Le Brossay ; 6 - "..plus de voleurs que de chevaux" ; 7 - Tréguel ; 8 - Callac ; 9 - Saint-Benoît de Massérac


Faudra qu'on en reparle.

dimanche 17 janvier 2016

Mercoeur à Guémené


L'histoire que l'on va raconter est ténue. Mais c'est un écho de l'Histoire avec un grand "H", celle qui paraît épargner le tout venant des hommes, mais qui vient - surtout en temps de malheurs - frapper à la porte de chez soi, en l'occurrence le Pays de Guémené.

Nous sommes en cette extrémité du XVIè siècle, pendant la guerre civile qui ravage la France et oppose catholiques et protestants, troupes fidèles au roi Henri III et partisans ultra catholiques regroupés dans la "Ligue".

En décembre 1588, Henri III, dont le pouvoir vacille, tente de reprendre la main face à la Ligue et fait exécuter les chefs de cette organisation séditieuse. Un soulèvement s'ensuit dans plusieurs provinces, dont la Bretagne avec à sa tête le duc de Mercoeur, son gouverneur.

Le Duc de Mercoeur























Vers la mi mars 1589, une partie de la foule s'enflamme et des barricades sont hérissées dans Rennes, ville partagées entre le Roi et la Ligue. Mercoeur quitte Nantes et vient investir Rennes. Le sénéchal du Roi, sorte de préfet avant l'heure, Guy Meneust de Bréquigny, est destitué. 

Fin mars, Mercoeur quitte la ville pour Vitré. En son absence, les royalistes retournent la situation sous l'impulsion du sénéchal destitué. Rennes étant remise sous sa pleine autorité le 5 avril, Henri III, dès le 12 du même mois, donne commission à Guy Le Meneust d'informer des causes et de rechercher les fauteurs de la rébellion.

L'enquêteur d'office, Guy Le Meneust, sieur de Bréquigny, commence ses investigations le 24 avril 1589 et poursuivit régulièrement jusqu'au 12 août, c'est-à- dire quelques jours après la mort de Henri III, assassiné le 1er août.























En pratique, cette enquête consiste à recueillir des témoignages de toute sorte concernant des faits délictueux commis par la soldatesque de Mercoeur, dont certains ont pour cadre la région de Guémené.

Alors, soudain, un lieu globalement insignifiant, mais connu encore aujourd'hui, ou le nom d'un homme de peu d'importance sociale, normalement voué à l'oubli, jaillissent du néant.

L'audition des témoins qui suit s'est effectuée le dimanche 9 juillet 1589.

Le sénéchal va interroger deux témoins habitant Guémené à propos d'un brigandage effectué par des soldats de Mercoeur dans une métairie située au Nord-Ouest du bourg, à Feuildel, près du gros village de Feuilly. A noter que cet endroit constitue une éminence sur laquelle on imagine bien, jadis des moulins. 


















La ferme de Feuildel

Paysage depuis Feuildel


















Cette métairie appartient à un propriétaire de Bourg-des-Comptes, à quelques lieues au Nord de Guémené en Ille-et-Vilaine : Jean Chalot, sieur de la Chalousaie.

Voici d'abord le témoignage de Jean Robert, meunier, demeurant au village de Feuildel en la paroisse de Guémené, âgé de trente cinq ans ou environ, selon ses dires, qui raconte les faits avec grande circonspection...:

Celui-ci déclare que lundi dernier (le 3 juillet 1589 par conséquent), il s’en fut à Redon en compagnie de Yves Cancoret, meunier des moulins de Beslé [paroisse fille de Guémené, toute proche], et que faisant chemin pour s'en retourner, sur les quatre heures du soir, il rencontra une troupe de soldats et gens de guerre à lui inconnus, qui coururent après lui et lui demandèrent où il allait. 

A quoi il leur dit qu'il venait de Guémené, et vit que lesdits soldats emmenaient du bétail en grand nombre et avec eux les serviteurs des métayers de Feuildel. Il ne sait d'où ils venaient sinon qu'il vit en leur compagnie les serviteurs des métayers de Feuildel, et que depuis il a entendu qu'ils y avaient été et l'a oui dire à plusieurs.

Visiblement le sénéchal le soupçonne d'être complice des soldats brigands, ce dont Jan Robert se défend :

Questionné, il dit avoir été meunier du sieur de la Chalousaie en l'un des moulins dudit lieu et avoir fait défection audit sieur de la Chalousaie. Il nie avoir fait des menaces audit sieur de la Chalousaie, ni à aucun des siens de le faire se repentir, ni être allé à Redon pour amener lesdits soldats.

Pourtant le sénéchal semble insinuer que Jean Robert aurait pu avoir un motif de léser son maître : 

Il (Jean Robert) admet qu'il y a sept jour, Jean Lefèvre, procureur de Juzet, le frappa d'un grand coup de bâton sans lui dire pourquoi. Mais il dit toutefois que malgré cela, il n'a pas procuré la perte des biens dudit sieur de la Chalousaie. Il dit n'avoir jamais été soldat et ne connait aucun des soldats et capitaines qui sont dans Redon sous la charge dudit sieur duc de Mercoeur.

Il a dit ne savoir signer.

C'est au tour de Jean Daval, fils d'Antoine Daval demeurant à présent à la métairie de Feuildel, appartenant donc au sieur de la Chalousaie, âgé de seize ans ou environ, de témoigner.

Celui-ci déclare que lundi dernier les soldats qui sont à Redon vinrent à la maison de Feuildel quérir le bétail et y faire plusieurs insolences. Mais il n'y fut pas présent et n'en saurait parler sinon par l'avoir oui dire. 

Ce n'est encore pas un témoin direct des faits. Jean Daval ajoute cependant :

Mais dit que le lendemain mardi, environ midi, il se trouva au moulin de Feuildel où pareillement était Jean Robert. Celui-ci confessa audit témoin que le jour d'avant il avait été audit Redon et avait vu les soldats qui étaient venus audit lieu de Feuildel et en avoir reconnu une partie, même qu'il avait parlé avec eux et qu'ils lui avaient dit qu'ils allaient à Fégréac ; toutefois qu'ils avaient tourné leur chanson parce qu'ils étaient venus à ladite maison de Feuildel appartenant au sieur de la Chalousaie. 

Voilà ce qu'il déclare du vol dont on s'est amplement enquis, et ne savoir signer.

Apparemment donc, Jean Robert, selon Jean Daval, connaissait les soldats qui avaient volé le bétail de Feuildel alors qu'auparavant il déclarait dans sa déposition le contraire.


L'affaire sans doute en resta là car après la mort d'Henri III, le sénéchal dut calmer son ardeur procédurière. Les choses se stabilisèrent et Mercoeur continua de tenir cour à Nantes pendant une dizaine d'année encore.

Le dossier du sénéchal livre par ailleurs une petite surprise (pour moi en tout cas) car s'y trouve le nom de la "Hygnonnaie", c'est-à-dire ma Hyonnais actuelle où je réside à Guémené.

La mention en est fournie au détour d'une autre affaire qui se déroule à Guichen au sud de Rennes. A l'évidence, la place est tenue par les troupes du roi Henri III quand une escouade de gens de Mercoeur fait irruption. S'ensuit, dans le témoignage recueilli, la liste des gens de Mercoeur parmi lesquels : [le sieur de la] Hygnonnaie et son frère, de Guémené.




















Quelques décennies plus tard, le sieur de la Hygnonnaie sera Etienne Rochedreux. Difficile de savoir, toutefois, si les frères Ligueurs de 1589 dont il est fait état, étaient des parents de cet Etienne qui mourut à Balleron, près du bourg de Guémené.

dimanche 3 janvier 2016

Hélène Martin, du réseau "Turquoise"


Le nom de Martin n'est pas inconnu de ce blog, en particulier quand il s'agit d'y accoler le prénom Hippolyte, personnage évoqué dans deux articles de mars et décembre 2013, que je résume ci-après.

C'était un fameux instituteur de Guémené qui enseigna de 1890 à 1913, maître puis directeur de l'école publique.

Sa précédente renommée avait conduit le maire de l'époque à aller le chercher à Fay, c'est du moins ce qui se disait. Sa fille aînée, Emilie, née de son mariage avec une dame Mercier, devint elle-même institutrice et enseigna au côté de son père.

Son épouse décéda assez jeune, en 1902, laissant au pauvre Hippolyte, en plus d'Emilie, six petits Martin supplémentaires, nés en rafale à Guémené et d'un âge compris entre trois et dix ans.

Sans doute habitué à manœuvrer des grandes plantées d'enfants (on prétend qu'il enseignait à sept classes), il réussit probablement à élever cette maisonnée comme il se doit.

Médaillé d'argent pour son action pédagogique, il se retire dans la région et termine ses vieux jours en compagnie de sa fille aînée l'institutrice, à Pornichet où il décède en 1939 ayant atteint l'âge respectable de 87 ans.

Il ne vit donc pas l'effondrement de la République dont il était un des hussards, ni les horreurs qui s'ensuivirent. Heureusement.


Hélène Martin était la plus jeune des filles de l'instituteur de Guémené. Elle était née le 18 mars 1898 au bourg de Guémené, peut-être à l'école de garçons où résidaient les instituteurs d'alors.

On ne sait pas grand-chose de sa vie, sinon qu'elle épousa un clerc d'huissier, peut-être déjà huissier d'ailleurs, ou bien militaire, Albert Forget, grand gaillard brun d'un mètre soixante-quatorze natif de Saint-Etienne-de-Montluc, entre Savenay et Nantes. Cette union se déroula à Clisson, le 21 mai 1919, Clisson où en 1909 déjà, Albert exerçait la profession de clerc d'huissier.

Le couple eut plusieurs enfants dont une fille prénommée Emilie également, née à Varsovie en 1920. Que faisaient donc ces gens en Pologne, à cette époque en pleine guerre avec l'URSS naissante ?

Albert Forget avait dix ans de plus que son épouse et, préférant sans doute l'uniforme à la défroque d'huissier, il ne cessa de rempiler, une fois son service militaire achevé.

Sa carrière militaire active s'étend ainsi de la fin 1909 à 1923. Il y poursuit une filière d'artilleur dans différents régiments, finissant sous-lieutenant avant de se retirer à Nantes, au 8 rue Anizon, dans le centre ville.

La Guerre de 14 est au coeur de son engagement militaire. Il y fait bonne figure, en tout cas selon les critères de l'Armée : il décroche citations et médailles. Il est ainsi titulaire de la Croix de guerre étoile d'argent et deux de bronze ainsi que de la Médaille militaire. La Légion d'honneur viendra en 1932 compléter ce tableau.

Il est probable qu'Albert Forget ait fait partie des quatre cents conseillers de la Mission militaire française pour la Pologne, venus encadrer l'armée de ce pays en guerre contre l'URSS. D'où l'accouchement à Varsovie.

Il reprend à un moment donné son métier d'huissier. On retrouve la trace de la famille Forget à Quimper pendant la seconde guerre mondiale où ils demeurent rue Valentin depuis quelques temps (après 1936), à moins que ce ne soit à Plonévez-Porzay. 

Ils ont une autre fille en plus d'Emilie : Jeanne née le 1er décembre 1926 à Quimper, ce qui accréditerait l'idée que la famille demeurait déjà dans cette ville dès cette époque. Et peut-être quatre autres enfants : Albert, Madeleine, Françoise, Hélène.


Peut-être faut-il penser que l'éducation du Père Martin, le vieil instituteur de Guémené, avait donné des principes à ses enfants et notamment à sa fille Hélène. Peut-être que cela n'a rien à voir.

Toujours est-il que les parents Forget et leur fille aînée Émilie s'engagent dans la Résistance, au sein d'un réseau appelé "Turquoise".

Ce qui suit vient de forums ou de sites spécialisés.

Le réseau "Turquoise" - ou "Blavet" - comptera trente-trois membres (connus) : quatorze seront déportés dont six en mourront ; deux seront fusillés, deux seront grièvement blessés. Le réseau couvrira toute la Bretagne, associé à d’autres réseaux.

La double appellation de se réseau provient de ce que, dans les messages, le nom de code "Turquoise" désignait les affaires de renseignements ; celui de "Blavet", les opérations maritimes.

Rapidement le réseau se mit en place à Rennes, St-Brieuc, Guingamp, Morlaix, Laval, Paris, Lyon, Macon, avec les radios, les boites aux lettres, les agents de renseignements et de liaison, les asiles, 

Le secteur particulièrement surveillé par le réseau est la zone côtière d'Avranches à Saint-Malo.

Les renseignements recueillis par ce réseau étaient abondants et précis :

- Les effectifs et armements des troupes allemandes par arme, corps et lieux d'implantation,
- Les mouvements de trains d'intérêts stratégiques,
- Les résultats des sabotages effectués ; le bilan des bombardiers alliés,
- Les faits de résistance, les actes d'héroïsme, les répressions allemandes.

Toutes ces informations sont transmises lors des vacations radios ou acheminées à Londres par des liaisons maritimes. Celles-ci sont faites à l'Ile d'Er par une vedette anglaise, en principe tous les quinze jours.

Fin 1943 et début 1944, ce réseau de Résistance fonctionne apparemment bien. Or à ce moment la Gestapo commence à recueillir les fruits de son travail, suppléée de certains français notamment d'indépendantistes bretons. Le service de renseignement allemand arrive ainsi à établir presque entièrement les organigrammes des organisations de Résistance.

A la mi-avril 1944 le drame se précipite. A Paris, la centrale Phidias, qui coiffait plusieurs réseaux dont "Turquoise" est anéantie, A Rennes, un dénonciateur qui sera condamné à mort et fusillé en 1945, vend à la Gestapo pour 80 000 Francs l'adresse du 11 rue Gutenberg comme lieu d'allées et venues suspectes. C'en est fini du réseau "Turquoise".

Voici, ci-dessous, le témoignage de Jeanne Forget, autre fille du couple, née en 1926 à Quimper et alors étudiante à Nantes, sur l'arrestation de sa famille :

" J’ai vu Zeller pour la première fois le 22 avril 1944 au soir. Il s’est présenté chez mes parents comme membre de la Résistance. Il était seul. Il a dit qu’il était « Fernand » que nous attendions et a demandé ma sœur Emilie. Celle-ci n’était pas rentrée et ma mère à qui j’ai parlé de cette visite m’a dit de me méfier et de répondre que ma sœur n’était pas là, ce que j’ai fait. Zeller est parti.

Cinq minutes après son départ, la police allemande a sonné chez nous et deux membres de la Gestapo ont perquisitionné. Après cette perquisition qui n’a rien donné, les Allemands sont restés chez nous pour nous surveiller. Dans la soirée, Zeller est revenu. Il était environ 20h30. Il a demandé mon père et il l’a interrogé en compagnie des allemands. Il a recommencé la perquisition.

Pendant ce temps, je suis parvenue à monter dans le grenier où étaient les papiers de mon père et à brûler ceux-ci. En même temps que Zeller, était rentrée chez nous une jeune fille Le Corre, agent de liaison du groupe « Turquoise ». Elle n'a pu ressortir et elle a été interrogée par Zeller et maltraitée car elle n’a pas voulu parler. Elle a été giflée. 

A la suite de cela mon père et cette jeune fille ont été emmenés. Zeller et la Gestapo sont restés chez nous. Ils se sont mis à interroger ma mère, je crois qu’ils l’ont giflée, puis ils l’ont emmenée à son tour. 

Après ils s’en sont pris à moi. Zeller m’a interrogée et a recommencé à fouiller avec moi les pièces de la maison. Comme je lui posais une question, il m’a répondu : « Depuis quatre ans que je fais ce métier, ce n’est pas toi qui va m’apprendre ! » Et il me dit aussi : « Ce n’est pas parce que tu n’as pas 18 ans que tu ne seras pas emprisonnée ! » Là encore, ils n’ont rien trouvé et ils m’ont emmenée à la Gestapo, laissant ma petite sœur âgée de 11 ans seule à la maison.

A la Gestapo, mon interrogatoire a recommencé, dirigé par Zeller qui m’a menacé d’une tournée comme je n’en avais jamais reçue. Il m’a giflée. Ils ont fini par croire ce que je leur racontais et ils m’ont relâchée en me faisant jurer de leur rapporter les papiers. J’ai juré, mais bien entendu je n’ai jamais rien rapporté. J’ai été surveillée pendant plusieurs jours à la suite de cela. Je ne suis pas restée longtemps à Quimper où ces faits se passaient, je suis venue à Nantes.

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Ma sœur Emilie a été arrêtée par surprise par Zeller. Il l’a rencontrée dans la rue et il l’a invitée à se rendre dans une maison amie pour qu’elle échappe à la Gestapo. Elle l’a suivi et il l’a conduite dans la maison même où était celle-ci, et il l’a arrêtée."


Sur les huit membres du réseau « Turquoise » arrêtés le 22 avril 1944, six sont morts en déportation.

Hélène Forget, née Martin, arrêtée  pour son appartenance au réseau avec son mari et sa fille, est d'abord internée à la prison Saint-Charles de Quimper, puis sera transférée à la prison Jacques Cartier de Rennes. Elle est déportée le 2 août 1944 vers Belfort puis vers Ravensbrück, le 1er septembre 1944 (Matricule 62824). Autre lieu de déportation: Genshagen.

De son convoi de cent quatre-vingt-dix femmes, dont sa fille Emilie, près des deux tiers revinrent. 

Pas elle : elle décède le 21 juin 1945, en Belgique, à l'hôpital d'Etterbeek près de Bruxelles lors de son rapatriement. Sa fille mourut le 28 janvier 1945 à Ravensbrück et son mari Albert, le 7 février 1945 à Dachau.

Une plaque, à Clisson, commémore ces trois martyrs de la Résistance.

Photo François VERMAUT