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lundi 28 novembre 2016

Le bourg s'éveille


Je suppose que vers 1905 ou 1910, quand on se lançait dans la photographie, même dans le cas où l'on appartenait plutôt à un milieu aisé, on y regardait à deux fois avant de faire un cliché. Un peu comme pour le coût des tirages, à l'époque de nos photos argentiques, ce que la photographie numérique tend à nous faire désormais oublier.

Aussi, faut-il se demander pourquoi, dans le lot des quarante-trois plaques argentiques du début du siècle dernier dont j'ai entrepris la publication et le commentaire depuis quelques temps, trouve-t-on deux épreuves figurant le même endroit, pris sous un angle quasiment identique.

Apporter une réponse, c'est entrer un peu pour la première fois dans la tête de l'illustre inconnu qui les a prises, ce qui nous rapprochent de lui, mine de rien. Deux réponses peuvent être avancées : un oubli, une erreur ou une répétition née de l'oubli ; ou bien une intention réelle, le souhait de montrer quelque chose.

Il se trouve que certains détails permettent de penser que les deux photos ont été prises le même jour, comme par exemple l'identité du profil d'arbustes en pots ou la présence au même endroit d'une brouette. 

Je considère donc que l'idée qui a présidé à ce doublon a été intentionnelle, participant du souci de montrer la vie, du centre du bourg en l'occurrence, à deux périodes de la journées différentes.

Car nous sommes en effet dans le bourg de Guémené, à l'entrée de la Place Simon, plus ou moins à l'angle de la rue Garde-Dieu et de la route de Chateaubriant, au milieu de la rue, entre les actuelles crêperie et boulangerie.

Je serais tenté de dire qu'une des photos à été prise tôt le matin, avant que le bourg ne s'anime, et donc plutôt l'été quand il fait jour de bonne heure, et l'autre dans la matinée quand la population s'est déjà quelque peu ébrouée.


Le matin tôt :

















Plus tard :















Ensuite, c'est en quelque sorte le "jeux des sept-z erreurs" et pour cela il suffit de reprendre chaque détail du décor pour s'apercevoir comment les choses ont évolué, comment le bourg s'est éveillé.


L'hôtel du Petit Joseph :
























On remarque d'abord l'absolue conformité des quatre plantes en pots au niveau des deux images, élément sur lequel je fonde donc l'idée que les deux photos sont bien du même jour. 

On remarque également que l'enseigne plaquée sur la façade (qui comprend trois mentions dont "Au Petit Joseph" et "Hôtel des voyageurs") fait référence à J(oseph) Herbert, qui tint l'établissement vers 1900 - 1910.

Sinon, l'ouverture de l'hôtel se caractérise simplement par l'ouverture de la porte au rez-de-chaussée à gauche et celle d'un des deux volets de la fenêtre derrière les pots d'arbustes.


La rue de l'Hôtel de Ville :
























La différence entre les deux détails centrés sur la rue de l'Hôtel de Ville concerne la couleur et l'animation.

La première n'est peut-être qu'un problème d’exposition car on voit guère d'écart dans les ombres portées.

En revanche, de déserte dans le premier cas, la rue est devenue active dans le second. Il y a bien sûr ce "bourgeois" en costume sombre et "melon" qui avance vers le photographe, un pied en l'air, peut-être un pipe en bouche, et qui tient un journal. Mais plus au fond, une carriole remonte la rue et s'apprête à croiser deux personnages, un homme en chapeau et une petite femme en coiffe, qui descendent vers la Mairie.


Le "Bon Marché" :
























Je ne sais pas, à vrai dire, quel lien entretenait l'enseigne du "Bon Marché" de Guémené avec le grand magasin parisien du même nom. Je crois qu'il y avait d'ailleurs un magasin de ce même type au Grand-Fougeray à la même époque.

Toujours est-il que la boutique qui faisait l'angle de la rue de l'Eglise et de la rue de l'Hôtel de Ville, tenue un temps, vers cette époque, par la famille Leroux et à un autre par la "Veuve Jarnot-David", proposait ses tissus et ses vêtements à la population guémenoise. Une observation attentive de la vitrine qui fait l'angle révèle la présence d'un mannequin.

Quatre détails marquent le réveil de la boutique de mode et de ses parages immédiats.

D'abord la fenêtre de la lucarne sous les combles a été ouverte. Et puis surtout, l'auvent de la vitrine a été déployé, sans doute pour protéger les objets d'exposition de la vitrine des effets délétères des rayons du soleil. 

On en déduit qu'il faisait beau ce jour-là et que probablement nous sommes toujours dans la matinée : la boutique étant exposée au sud-est, le soleil ne l'éclaire que dans la première partie de la journée.

Par ailleurs, la charrette que traînait en face de la boutique a disparu. En fait, elle était devant le café-atelier de mécanique de la famille Cormorais qui formait un recoin à cet endroit de la place et de la rue de l'Hôtel de Ville.

A la place, un chien bas sur pattes à fait son apparition et trottine vers le photographe. Il a tout l'air d'un petit corniaud noir et blanc dont la petite queue claire pointe vers le ciel.


Les bâtiments du nord de la place :






















Quatre entrées se présentent sur le devant des bâtiments situés au nord de la place Simon. On ne distingue clairement que la présence d'une boulangerie dont l'enseigne se lit assez bien au dessus de la troisième porte en partant de la gauche.

La marque du temps qui a passé a laissé deux indices de ce côté-là.

D'une part, du linge a été étendu, serviettes ou couvertures, on ne sait pas trop : une petite silhouette confuse et sombre semble s'incruster sous ce linge, est-ce un chien assis ?

D'autre part, la brouette, très légèrement déplacée, s'est vidée du gros chat blanc qui y reposait encore au matin et la poule noire qui rôdait dans le coin s'est volatilisée depuis.


La rue :




Le temps qui s'écoule, les activités humaines et les passages qui l'accompagnent, laissent des traces dans la rue, liées au mode de locomotion dominant de l'époque : la voiture hippomobile. Et si aujourd'hui nous subissons les gaz d'échappement de nos automobiles, la pollution de l'époque se mesurait au crottin qui jonchait les chaussées.

Visiblement les rues étaient nettoyées car rien de tel ne semble parsemer la rue dans le premier cliché, tandis qu'une grosse tache noire s'étale en plein milieu du passage, dans le second.


L'angle ouest de la rue Garde- Dieu et de la place :


La vie s'éveille de ce côté-ci également. En témoigne un habit (?) mis à prendre l'air sur le rebord de la fenêtre au premier étage.

Tout près, plaquée sur la façade près de la grille de la fenêtre d'angle, un panneau, qui épouse l'angle d'une courbe légère, signale une "imprimerie", un nom - Julien Beaudu - et mentionne un "représentant".  Une main blanche avec un index tendu paraît indiquer que tout cela se trouve non loin, dans la rue Garde-Dieu peut-être.


Autres détails :



















D'autres détails sont encore intéressants à noter, sans forcément qu'ils permettent de mesurer le temps qui passe dans cette belle matinée de la Belle Epoque, au bourg de Guémené.

J'ai mis un focus sur la carriole au loin dans la rue de l'Hôtel de Ville, avec le "Bon Marché", le bonhomme au journal et le cabot. On croit distinguer au fond, avant la mairie, une enseigne de café qui barre sur fond noir la façade d'un bâtiment.

On remarque enfin que les devantures des maisons possédaient des anneaux où l'on pouvait attacher les animaux.


Voilà c'est fini. Moi en tout cas, ça m'a amusé.

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