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samedi 29 octobre 2016

Le désespoir de Perrine Porcher


Voici une histoire triste. On la trouve dans un registre d'état-civil des décès de Guémené du début du XIXè siècle. Je vais en donner bientôt le texte, mais avant quelques remarques.

D'habitude, les "articles" de ce genre de registres s'y succèdent, monotones, empreints d'un style administratif routinier dont en principe rien ne permet de dévier.

Soudain, un fait différent, une mort "extraordinaire" oblige à déroger. Ce qui est intéressant c'est que les faits, tout ce que du coup il faut prendre en compte et coucher sur le papier, doivent néanmoins être relatés sur le ton d'un procès-verbal. 

Or dans ce cas, le style vient lutter avec le contenu. Ce qui fait que l'on arrive à percevoir, malgré la froideur apparente des lignes qui se succèdent, les sentiments, la parole même parfois, des acteurs - vivants ou non - de ce drame.

De surcroît, le texte n'a d'autre objet que d'enregistrer le dénouement de cette histoire, c'est-à-dire un décès, et de s'assurer qu'il n'est en rien criminel. Mais au-delà des besoins de la cause administrative, on  arrive à entendre l'écho inouï d'une souffrance de plusieurs années, celle de la victime, celle de son compagnon d'infortune.

Et puis l'on voit surgir par ailleurs deux personnage aux noms d'un autre monde que celui des victimes, qui forment comme un lapsus social dans cette histoire.

Il s'agit d'un suicide. Mais encore le cadavre retrouvé qui a séjourné cinq mois dans l'eau (!) doit-il bien être identifié, et il faut de plus s'inquiéter de savoir si la cause n'est pas louche : reconnaissance visuelle, autopsie,...On imagine les scènes...

Guémené ne devait a priori rien avoir à connaître de cette affaire. Mais voilà, les caprices des courants d'un fleuve qui baignent l'ensemble des lieux de la tragédie, la Vilaine, ont amené à ce que l'acte final s'achève (in extremis) sur le territoire de cette commune. 

Et qu'on en parle aujourd'hui.


"L'an 1817, le dix avril deux heures après-midi, par devant nous François Simon, maire et officier de l'état-civil de la commune de Guémené, chef lieu de canton, département de la Loire-Inférieure, est comparu Jean Roux, couvreur âgé de trente-six ans demeurant à la Hordrais, commune de Fougeray, 

lequel, assisté de messieurs Pierre Michel Frèrejouan du Saint, premier suppléant du juge de paix du canton de Guémené, et d'Hilarion Sauveur Radigouais, chirurgien, le premier âgé de quarante-deux ans et le second de vingt-six ans, demeurant séparément au bourg de Guémené, nous a déclaré :

- que Perrine Porcher sa femme, fille de Joseph Porcher et de Geneviève Delanoë, native de Langon, avait disparu de chez lui dès le quatre novembre dernier,

- ce qu'ayant, par suite de couches, l'esprit aliéné, elle disait publiquement que la vie lui était à charge et qu'elle se noierait,

- que sept mois avant ledit jour quatre novembre, il l'avait saisie lorsqu'elle voulait se précipiter dans la Vilaine,

- que malgré sa surveillance elle s'échappa et n'étant pas revenue le quatre novembre à la maison, il fit les recherches les plus exactes et parvint le lendemain à trouver au Bout du Grain, au bord de la Vilaine, son tablier et sa jupe de dessous.

- soupçonnant qu'elle s'était noyée, il a fait inutilement pêcher son cadavre dans la rivière, lequel n'a été aperçu que le sept février dernier surnageant au bord de la Vilaine vis-à-vis le Champ du Pressoir près la Trouanière en Guémené

- que ledit Jean Roux a reconnu le cadavre de Perrine Porcher sa femme tant par la physionomie que par ses vêtements.

L'identité de la personne étant reconnue, mon dit sieur du Saint, juge suppléant, a fait constater la cause de la mort le lendemain huit février par ledit sieur Radigouais, officier de santé, lequel après visite extérieure et ouverture du cadavre a affirmé que la personne tirée de l'eau était décédée par submersion et qu'il n'existait aucun signe de mort violente par meurtre ou assassinat.

D'après quoi Monsieur le juge a ordonné l'inhumation du corps au cimetière de Beslé.

Constaté par nous maire susdit sous les seings de Messieurs Frèrejouan du Saint et Sauveur Radigouais et le notre, Jean Roux ayant déclaré ne savoir signer.

De ce nommés lesdits jours et an après lecture."


Quelques compléments :

En réalité, la Hordrais est un village au bord de la Vilaine, en amont de Guémené, aujourd'hui sur le territoire de la commune de Saint-Anne-sur-Vilaine. A l'époque des faits, cette dernière n'existait pas : elle fut crée en 1880 par partition avec Fougeray, (le Grand-Fougeray).

Perrine Porcher était née le 19 mars 1779 au village des Quenairons, à Langon (35), à quelques centaines de mètres de la Hordrais, sur la rive opposée de la Vilaine. Elle s'était mariée le 21 avril 1806 au Grand-Fougeray. Elle était donc mariée depuis plus de onze ans au moment des faits. Onze années de galère morale.

Jean Roux était né pour sa part le 3 octobre 1780 au Grand-Fougeray. Il se remariera en 1819 au Grand-Fougeray avec Jeanne Gicquel  dont il aura l'année suivante un fils qui sera couvreur comme son père. Il décédera le 25 janvier 1830 à la Hordrais.

En fait, Perrine Porcher et Jean Roux avaient eu un fils, Joseph, qui était né le 27 septembre 1808 mais qui mourut âgé de cinq jours. Sans doute est-ce l'événement présenté par son mari comme déclencheur de la dépression de Perrine Porcher.

Hilarion Sauveur Radigouais, est probablement Pierre Hilarion Radigois, officier de santé, né à Couëron le 25 juillet 1790, fils de Sauveur Radigois notaire, et décédé en septembre 1835 à Nozay.

Pierre Michel Frèrejouan du Saint fut notaire impérial puis juge de paix. Il était né vers 1774.

La Trouanière, où fut trouvé le corps de la pauvre femme, est un ensemble de bâtiments à usage d'habitation et d'exploitation agricole, situé en bordure de Vilaine à l'extrémité occidentale de Beslé (fraction de Guémené), tout près de Massérac.

Enfin, un clin d’œil : Marcel Leclerc, commissaire de police,  chef de la brigade Antigang et préfet de police, est né à Sainte-Anne-sur-Vilaine en 1935. Il est issu d'une famille d'agriculteurs du village de la Hordrais...

***

Je profite de cet article pour parler de tout autre chose.

J'ai publié précédemment deux sujets concernant des vieilles photos de vaches et de cochons à Guémené.

Je suis retourné sur les lieux identifiés où furent prises ses images, il y a plus de cent ans, et j'en ai rapporté d'autres clichés, des mêmes lieux. Voici donc ci-après la photo ancienne et des photos modernes. Les angles de prise de vue ne sont pas identiques, mais c'est mieux que rien.

J'ai aussi photographié l'endroit où se tenait le photographe inconnu. Cela peut paraître idiot, mais de me remettre à l'endroit où il était et de matérialiser cet endroit par une image, me le rend proche, abolit vertigineusement le temps...


Place Simon :






Route de Chateaubriand :









Le photographe se tenait devant ce bâtiment



Le Pont de la Rondelle :














Place de la Mairie :



















Affaire à suivre.

jeudi 27 octobre 2016

Adieu vieux, vaches, cochons...(2)


Il est toujours bon de repartir de là où l'on s'est arrêté.

Notre ami photographe (mais on ne peut exclure cependant l'hypothèse d'une femme : Mademoiselle Pinczon, la mystérieuse, opéra à titre privé à Guémené, en ces mêmes années), notre ami, disais-je, coincé à l'ombre dans son encoignure de la route de Chateaubriand, a, en plus de la photo de la procession de vaches descendant vers le bourg commentée la dernière fois, pris le cliché de la remontée des cochons.

Une observation attentive de cette seconde photo à cet emplacement montre qu'elle a été prise à peu près à la même heure du même jour (milieu d'après-midi vraisemblablement). 

Quatre "preuves" viennent à l'appui de cette assertion : l'identité de l'angle de prise de vue ; l'égalité météorologique ; la proximité des orientations des ombres au sol ; et, surtout, la similarité du linge mis à sécher dans le jardin du débit de Madame Olivon, au fond.

Ce point étant établi, on note donc que le photographe a choisi de faire une photo de cochons. Je dis cela parce qu'aussi bien la photo de l'article précédent ne mettait en scène que des vaches (et leurs accompagnateurs, bien sûr), aussi bien celle-ci ne révèle que des cochons (hormis leurs maîtres et quelques enfants, cela va sans dire également).

Et de beaux cochons, bien gras. Un brave homme en blouse et canotier armé d'un bâton ouvre le chemin et les guide, tandis que deux autres, chapeautés de melons sombres, les poussent au cul. 

Ceux-ci, dont le visage ombré paraît recouvert d'un bas sombre, ont un air de voleurs patibulaires. Les braves bêtes, qui ne font pas le même compas que les hommes avec leur pattes, gravissent tête basse la pente asphaltée en enchaînant des petits pas rapides qui font trembler leur chair (j'imagine).

On se demande à voir la scène si, tels des chiens renifleurs, les cochons ne sont pas à la trace des petites filles qui posent devant l'objectif. 

Elles sont mignonnes avec leurs robes claires, leurs grands chapeaux de paille et leurs bottines. La plus jeune, qui tient son doudou, suce son pouce un peu inquiète, tandis que sa sœur (?), derrière, regarde gentiment vers l'opérateur en inclinant son visage.

L'aînée, scrute vers l'arrière, offrant au regard son profil juvénile, comme préoccupée des poursuivants qui se rapprochent ! 

Comme dans un western au moment critique, la scène est par ailleurs désertée. La porte du jardin Olivon est cette fois-ci fermée et on distingue vaguement la silhouette d'un chien en alerte derrière le mur, près de la première fenêtre du café.

Que va-t-il se passer ? J'aime la tension énigmatique que dégage ce cliché.



















La deuxième photo est statique. Elle permets de faire une pause avant la suivante, plus riche et agitée.

Elle représente six porcelets dans une soue dont la porte est ouverte. Ils se tiennent compagnie, les uns contre les autres. Leur masse blanche reluit sous le soleil et se détache du reste du décor sombre de leur habitation de cochons.

De l'agglomérat de ces petites bêtes appétissantes, on n'aperçoit que trois têtes. C'est une Chimère, un monstre, que le photographe a capté sur sa plaque.

Pendant que le photographe ajuste sa photo, la propriétaire des animaux est tapie dans un recoin de la soue. Mais on la débusque, légèrement à droite derrière ses animaux : elle n'a pas réussi à complètement cacher son ventre couvert d'un tablier clair serré par un cordon noir.

On se demande pourquoi elle n'aurait pas pu figurer fièrement à côté de ses juvéniles petits cochons. Mais les paysans sont modestes et les photographes s'intéressent aux vrais sujets, bien sûr.
























La troisième photo nous ramène à la foire et prouve que foire et forum entretiennent bien un fort lien de parenté. Elle montre en effet un espace où des gens tout à la fois marchandent, discutent, prennent l'air et regardent.

La scène se situe derrière la mairie à la double racine de la rue de Beslé, là où à l'époque de mon enfance encore se négociaient lapins et poules. Le photographe est installé à l'étage, dans le bâtiment municipal, et son œil plonge sur les producteurs, les clients, la "marchandise".

La photo est séparée en deux parties : la partie basse saisit le marché des cochons, dans la pénombre bienfaisante de la mairie (il a l'air de faire chaud). La partie supérieure montre les badauds qui déambulent, papotent, scrutent des étalages qu'on devine plus qu'on ne les distingue vraiment, etc...

La scène de marché proprement dite permet d'apercevoir de belles figures d'hommes en grande blouse et toujours chapeautés. Il y a plus de variété dans les couvre-chefs que dans les habits : admirons par exemple ce canotier ceint d'un ruban tricolore, ce beau melon noir ou ces chapeaux à rebords plats.

Les femmes, quoique de noir vêtues, ont aussi belle prestance. Cela tient à la coiffe blanche de Guémené qui fait une petite calotte de fraîcheur sur leurs silhouettes emmitouflées, mais aussi à ces petits châles triangulaires qu'elles arborent avec nonchalance sur leurs épaules. Et que dire du parapluie qu'au moins deux d'entre elles portent sous leur bras avec une désinvolture née de l'habitude.














Mais l'arrière-plan n'est pas moins intéressant et animé.

On y observe d'abord la devanture (unique) d'une habitation, avec ses montants en bois. C'était peu-être aussi un commerce. La porte en est ouverte et à y regarder de plus près, une petite vieille assise sur une chaise s'y encadre. Elle prend le frais, elle attend le chaland ou de la compagnie, elle vaque à quelque ouvrage de couture, elle baille aux corneilles, jouissant du spectacle de la rue...

Un peu plus haut, le long du trottoir (un haut trottoir à caniveau profond : on appréciera le confort urbain de cette époque), un petit groupe de femmes discutent tandis que deux messieurs, un tout noir et un tout gris un peu voûté et marchand avec un bâton, les dépassent en remontant vers le nord de la place.

A peine plus loin, trois femmes en costume traditionnel discutent assises sur un banc (un banc ondulé à dossier : on appréciera à nouveau le confort urbain de cette époque). Deux d'entre elles ont déposé leur panier à terre ; celle du milieu le tient sur ses genoux.

Enfin, tout au fond de la place, on devine des passantes arrêtées devant des étals tandis que deux femmes portant panier traversent la place par son milieu inondé de soleil.

















Ces lieux sont sans voitures, hippomobiles ou automobiles. La vitesse qu'imprime le mouvement saisi par l'opérateur est celui des passants. 

Tout est calme et bienfaisant.

mercredi 26 octobre 2016

Adieu vieux, vaches, cochons...(1)


Toujours les plaques de verre photographiques : parmi celles-ci, quatre sont consacrées à un jour de foire, dans le bourg de Guémené et deux autres mettent en image ces compagnons de tourments qu'on y acquiert. 

Le photographe anonyme qui nous enchante de ces souvenirs d'il y a plus un siècle maintenant, a conservé la trace à la fois vivante et immuable de l'événement : il faisait beau, chacun avait revêtu les habits de son état, les maquignons en biaudes et canotiers, les paysannes en coiffes et longues robes noires, les "bourgeois" en costumes et melons...

Trace vivante : l'incroyable netteté de ces clichés, leur réalisme, mais aussi leur voyeurisme (ces images sont clairement dérobées à ceux qu'elles représentent) frappent le regard moderne, comme si la photographie réussissait enfin à abolir le plafond de verre séculaire du souvenir humain au-delà duquel meurent une dernière fois les amis, les parents...


Trace immuable : ces instants volés se sont figés dans l'éternité, révélant et fixant des vérités oubliées d'une époque. Leur insignifiance quotidienne même, ces scènes cent fois répétées de vies que guidait une routine sans lendemain, donnent à ces figures à peine esquissées une dimension universelle, une valeur héroïque.

Peut-on être aussi acteur de l'universel que ce photographe inconnu et laisser aussi indifférents les hommes et les femmes qu'on immortalise ? Faut-il, d'un autre côté, que le souci de laisser sa trace soit estompé par le sac et le ressac de la résignation mille fois prêchées, mille fois rabâchées par les prêtres et l'idéologie ordinaire, pour que ces êtres humains, non moins que leurs compagnons animaux, vaquent, imperturbables, sous l’œil obscène de l'objectif qui les guette...


La première photo représente un groupe de personnes et de vaches sur une portion de la place Simon, à l'entrée de la rue qui mène à la mairie, autour de l'Hôtel du Petit Joseph. Le photographe est installé à l'étage d'une maison, probablement dans le renfoncement à l'angle de la rue de l'Eglise : j'opinerais pour ce qu'on nomme aujourd'hui la maison du sabotier. On distingue d'ailleurs, en regardant bien, une enseigne en forme de sabot qui se détache du mur, en hauteur.

Au fond de la scène, une grande maison en bordure de place dans le jardin de laquelle trois personnages de dos s'apprêtent à pénétrer, et la route qui descend vers le Grand Moulin et le pont sur le Don : des carrioles désœuvrées attendent leurs maîtres.


C'est la fin d'après-midi et les ombres s'allongent vers la gauche. Sans doute les derniers prix sont-ils négociés : espoir d'une bon achat ; espoir d'une vente...


La masse noire des acheteurs, des vendeurs et des bêtes est moins indistincte qu'il n'y paraît à première vue. Des petits groupes humains discutent en regardant la "marchandise". La "marchandise" semble curieusement parfois prendre le spectateur à témoin...































La deuxième photo ressemble à une allégorie. Elle a pour décor le pont de la Rondelle et le Don. Sur la "scène" on observe quelques palis plantés, une barque. Une fois de plus, nous sommes par une belle journée ensoleillée, à la vesprée : une douce lumière dorée d'Ouest inonde les placides acteurs de cette composition.


Il y a quelque chose de l'Angelus de Millet : peut-être ce moment où le pauvre asservi à la glèbe sort un instant de sa fatale condition pour s'élever vers la spiritualité. 

Toutefois, je ne crois pas beaucoup à la spiritualité des paysans mes ancêtres, en tout cas celle qui aurait pu procéder de la religion, de ses rites et de ses pompes socialement enlaçants. Pour autant, je les crois capables de s'arrêter le soir au soleil couchant, de contempler, le regard perdu vers l'Occident, le cycle journalier qui s'achève à nouveau, le miracle éternel du jour et de la nuit, la fuite du temps, la mort.

Nous faisons tous cela, après une journée âpre où le corps et l'esprit se sont asservis à des buts utilitaires, laissant vagabonder nos pensées dans la douceur d'un moment, le regard fixe qui ne fixe rien, seul avec soi-même, effleurant en pensées des concepts audacieux sur l'existence et le destin.

On pense aussi à quelque chose d'antique, de grec. Ces bœufs, ces vaches, qui se désaltèrent sont-ils promis à quelque hécatombe ? Ces femmes à la taille haute offrent leur profil hiératique et font penser à ces déesses en péplos de nos livres d'histoire.

Cette photographie où le sujet ignore superbement le photographe, saisit donc un moment de sérénité et de paix.

C'est un songe, peut-être aussi : comme dans les rêves, les rencontres sont impossibles, les personnages sont à la fois proches et incompréhensiblement inaccessibles. Des objets étranges viennent tout à coup rendre inintelligible le commun : telle cette ombrelle au très long manche posées sur le sol à droite de la scène qui semble signaler la présence d'un équilibriste non loin caché. Pourquoi ?



































La troisième photo nous ramène à la foire.

Nous sommes à l'entrée orientale du bourg de Guémené, dans le dernier virage sur la route de Chateaubriand, au bas de la descente de la Butte. En toile de fond, on a l'église et un premier groupe d'habitations. Les ombres portées sur la chaussées indiquent le début d'après-midi.

Une sorte de procession descend la route : hommes, femmes, enfants, vaches.

Au plus près du photographe apparemment caché sous un porche, on distingue un groupe de trois personnes qui semblent ensemble : père, mère, fille ? La fille se retourne vers l'opérateur comme pour affirmer une connivence. Les autres poursuivent leur chemin, comme si de rien n'était. Il ne fait pas de doute qu'un instant après les trois personnages ont dû se retourner, alertés par la jeune fille.

Devant, un homme en canotier et biaude, brandissant un bâton, conduit une vache. La paire croise une femme qui remonte la rue. Plus bas, près d'un lampadaire qui semble se reculer d'effroi, un petit bonhomme en chapeau melon emmène deux bovidés presque aussi grands que lui.

Plus loin encore, des hommes qui se suivent et me font irrésistiblement penser par leur accoutrement à la publicité Ripolin d'antan, entrent dans un jardin où pend du linge. Que vont-ils faire ? Prennent-ils un raccourci ? Vont-ils plutôt pisser ou boire un coup ? J'opinerais personnellement pour cette dernière éventualité, bien dans le genre du pays.


On remarque qu'à l'entrée du bourg de Guémené se trouvait un débit de boisson, à la façon des barrières d'octroi : sans doute pouvait-on (devait-on) commencer la journée en ville par payer son écot à Bacchus...

Cette honorable maison était tenue par madame Olivon, "débitante", offrant le gîte à chevaux et carrioles, aïeule du donateur de ces photographies.



















A suivre.

samedi 15 octobre 2016

Fête nautique 1900


Quatre photos issues du lot de quarante-trois plaques de verre anciennes que je mentionnais dans le dernier article témoignent d'une fête qui a dû se tenir un dimanche de fin d'été entre 1900 et 1910.

On y voit une foule amassée au bord du Don, dans la partie plus ou moins encaissée de cette rivière qui se trouve en amont du bourg, entre Juzet et le Grand Moulin, mais à un endroit où la vallée n'est pas trop étroite pour qu'une prairie puisse s'étaler sur la rive gauche.

Trois des quatre clichés sont pris de la rive droite, alors que la foule des badauds est agglutinée sur l'autre bord du cours d'eau. Le quatrième est pris de la prairie opposée, à la fin de la fête. On verra qu'outre les photos originales, je fournis à chaque fois des zooms de ma façon.

Le soleil inonde la scène par l'ouest et il fait probablement chaud. Mais hommes et femmes sont en habits sombres. Seules les ombrelles et les canotiers sont à l'unisson de la saison.

Mais de quoi s'agit-il au juste ?

En réalité, ces photos immortalisent le souvenir de jeux qui se sont déroulés sur le Don. Au moins trois types d'épreuve se voient ou se devinent.

D'abord, une course en baquets consistant à traverser la rivière de la rive gauche à la rive droite, dans de grands baquets de bois pour la lessive, en s'aidant de ses bras et mains en guise de rames.

On a une première photo qui semble marquer le début de la course : certains participants ont visiblement du mal à décoller de la rive de départ, tandis que d'autres sont déjà bien avancés.

On aperçoit au bord de la rivière trois embarcations : l'une au premier plan et les deux autres au bord de l'autre rive, prêtes à récupérer d'éventuels concurrents en perdition.

















La seconde photo semble saisir le moment où la course est terminée. Les compétiteurs rentrent "à quai". Certains sont toujours dans leur baquet, d'autres nagent au milieu de la rivière.














Voici maintenant tout autre chose. Nous sommes bien sûr toujours sur la rivière, mais cette fois-ci pour une joute nautique. 

Deux barques s'affrontent : chacune comprend un champion muni d'une perche servant à désarçonner et mettre à l'eau l'adversaire, ainsi qu'un "conducteur" qui manœuvre l'embarcation en s'aidant d'une autre grande perche.

Le cliché saisit l'instant où l'un des concurrents bascule son adversaire dans la rivière. On appréciera les merveilleuses petites tenues de bain rayées de l'époque.





















Il est un détail sur lequel je ne me suis pas appesanti, c'est l'espèce de poutre qu'on distingue clairement.

Quand on la scrute de près, on voit qu'elle jaillit de la rive droite d'où elle surplombe le Don, appuyée sur une sorte de tréteau plongé dans la rivière près du bord, et, qu'au bout, une sorte de plumet semble y avoir été fixé.














N'ayant pas d'autres éléments, pour cette journée, que les photos que je montre, je suis allé regarder dans la presse de l'époque.

Voici par exemple un extrait du compte-rendu de la fête du Pont Saint-Martin qui s'est déroulée à Rennes le dimanche 25 août 1901 et où il est fait mention de différents jeux sur l'eau. 

On y signale, non sans réalisme et humour, un "mât horizontal sur la rivière servant aux concurrents à prendre un bain de pieds dont quelques-uns avaient besoin, avant d'aller gagner une chemise, un pantalon ou une ceinture accrochés à un cercle fixé à l'extrémité de ce mât trop consciencieusement graissé".

Au passage, cette épreuve du mât fut suivie par "par des courses en baquets, des régates".

D'autres échos de fêtes estivales dans la région de Nantes confirment la fréquence de ce genre d'amusements à cette époque. 

Par exemple à Nort-sur-Erdre, le dimanche 18 août 1901 : " A 2 h 1/2 grande fête locale ; jeux divers : lâcher de 500 pigeons voyageurs ; mât horizontal sur l'eau ; courses en baquets ; courses aux canards ; jeux nautiques ; etc..."

Ou à la Haie-Fouassière, près de Vertou, le dimanche 4 septembre 1904 : " Fête annuelle des fouaces : à 1 h1/2 courses en baquets sur la Sèvre".

Et à Vertou même, tout près de Nantes, pour la fête de Beautour, le dimanche 2 septembre 1905 d'abord : " A 3 h jeux divers sur la Sèvre : mât horizontal, courses en baquets" ou bien encore le dimanche 3 septembre 1911 : " De 2 h à 4 h les jeux auront lieu sur la Sèvre : courses en baquets, courses aux canards ".

On observera au passage que d'autres jeux que ceux photographiés à Guémené sont évoqués dont, à plusieurs reprises, une course aux canards qui laisse songeur.

On peut même penser que d'autres événements festifs prenaient place ce jour-même, notamment des courses "terrestres", hippiques ou cyclistes. Des forains venaient probablement proposer leurs services.

La fête de Rennes déjà évoquée ci-dessus donne une idée : " A l'entrée de l'avenue, près de l'usine Lemoine, les baraques faisaient fureur. A côté des chevaux de bois, les pommes de terre frites, les saucisses, les gâteaux, les loteries, et ce qui valait mieux des fabriques de laitage, cailles, maingots (?), etc... qui formaient un merveilleux désaltérant au milieu de cette journée d'une chaleur accablante ".

En attendant, la foule a quitté la rive gauche du Don. Quelques notables traînent encore et se font la parlote. Au fond à droite, on distingue une toile blanche dressée autour de piquets : peut-être le "vestiaire" des athlètes qui se sont affrontés sur l'eau. Une voiture à cheval s'éloigne avec un couple, tandis que d'autres "bourgeois" et "bourgeoises" s'ébrouent. Un gros chien baguenaude.

Au premier plan, deux jeunes paysannes en tenue du pays, accompagnées d'un enfant, jouissent de la gratuité du sol pour s'y reposer encore un peu. Demain il faudra retourner trimer aux champs.






















Entendez-vous l'écho fantomatique de ces joies simples sur les collines de la vallée du Don ?