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dimanche 24 juillet 2016

Photos à Ker-Aline


J'ai déjà raconté (billet du 2 décembre 2012) l'histoire de l'ancienne ligne de chemin de fer qui partait de Beslé et rejoignait Blain, en traversant toute la commune de Guémené du Nord au Sud.

J'ai également rapporté (billet du 2 mars 2014) la grande célébration républicaine à laquelle l'inauguration de cette ligne (et de la gare nouvelle, "la halte", qui allait avec) a donné lieu, le dimanche 3 juillet 1910. 

En résumé, en 1879 le Ministère des Travaux Publics sélectionne 181 projets ferroviaires dont la liaison en question. S'en suit des discussions sur le tracé, la municipalité de Guémené souhaitant dès 1880 que cette nouvelle ligne desserve la section communale de Guénouvry, à l'est du territoire municipal.

Histoire sans doute d'emporter la décision, les élus de la Commune votent un "concours" de 10.000 francs pour favoriser le tracé.

Hélas les choses traînent en longueur, le tracé souhaité n'est pas accordé, mais les autorités préfectorales réclament les 10.000 francs. Le Conseil municipal se récrie, proteste que cette somme était subordonnée à un certain tracé qui ne verra pas le jour.

En 1907, soit vingt-sept ans d'attente après, l'affaire revient sur le tapis car le préfet ne lâche pas le morceau et veut ses 10.000 francs. 

Le maire de Guémené (Adolphe Simon, ultime de la lignée fameuse) obtient que son Conseil refuse cette exigence, mais lui fait revoter la même subvention au profit d'une gare de marchandises ou, à tout le moins, d'un quai d'embarquement pour les marchandises.

Là encore, l'Administration rejette la demande et maintient son exigence de recouvrement des 10.000 francs communaux. 

Début 1910, à quelques mois de l'inauguration, la commune cède, souhaitant simplement un étalement de paiement et que tous les trains qui passent par Guémené y fassent au moins halte et qu'ils puissent également embarquer les colis postaux.

Cet historique qui dépiterait de plus tendres, n'empêchera pas que l'inauguration ne soit une grande fête consensuelle. Elle se tient le dimanche 3 juillet 1910. 

Le ban et l'arrière-ban des autorités sont présentes. On couple cette affaire avec un concours de pêche, des fanfares déploient leur talent, les discours officiels n'en finissent plus. 

Après avoir quitté Beslé pour Massérac, la ligne se poursuivait au nord de la route Guémené-Massérac, derrière la chapelle St-Yves et le château de Friguel ; elle frôlait le hameau de Feuilly et plongeait plein Sud-Est vers la nouvelle gare de Guémené, sur la route de Redon.

A partir de là, la direction vers le Sud s’accentuait. Le Don était passé non loin du château de Boisfleury, puis la ligne arrivait à l’intersection des routes de Plessé et de Fégréac, près de Trémelan.

Passant auprès du hameau de la Bourdinais, elle s’approchait ensuite de ceux de la Martelais et de Tréfoux où se situait une autre halte. La voie continuait enfin plein Sud vers Plessé et Blain.


Ce projet avait donc donné lieu à la création d'une seconde gare, "la halte" que l'on voit encore au sortir du bourg de Guémené, en allant sur la route de Redon.

Mais il avait surtout fallu construire un pont de chemin de fer pour enjamber la rivière, le Don, peu après la nouvelle gare, vers le lieu-dit "Ker-Aline".

Ce pont existe toujours, et désormais une petite route discrète a remplacé la voie ferrée. Discrète car c'est par là que passent, dit-on, les conducteurs qui ont trop bu afin d'éviter les contrôles de gendarmerie : "la route à quatre grammes".

Il est curieux que cet ouvrage soit peu mentionné dans les documents, car il représente probablement le plus gros effort de génie civil concernant la nouvelle ligne.

Il s'agit d'un ouvrage de pierres, composé de trois arches. Il est assez étroit puisque prévu pour une seule voie ferrée.

Toujours grâce au "fonds photographique Jacky Michel", j'ai pu récupérer des photos prises autour du chantier du pont et de la voie qui devait y passer.

Ces photos sont extraites d'un album familial, comprenant à la fois des images des travaux mais aussi des portraits de personnes, qui a pu appartenir à celui qui dirigeait le chantier, peut-être Henri Machenaud, ingénieur de la Compagnie des Chemin de Fer de l'Ouest.

Les clichés sont au nombre de quatre et montre un pont pour l'essentiel achevé. On y voit des hommes s'affairer soit à la pose des rails, soit à d'autres travaux dans le lit du fleuve ou à côté.


La plus émouvante est sans conteste celle où l'on voit des hommes porter un morceau de rail qu'ils vont poser sur les traverses de bois. 

On n'est pas sur le pont, mais au milieu des champs, non loin probablement. Ils sont bien treize ou quatorze gars, mains nues, en chemise et pantalon à cotes, une casquette pour se protéger du soleil, à avoir sur l'épaule le morceau de fer de dix à douze mètres de long dont on imagine le poids !

Deux types en veste les regardent, peut-être des "chefs" guidant la périlleuse manœuvre.

















Une autre photo montre un plan du chantier sans doute légèrement en aval du pont, sur la rive sud du Don. A gauche de la photo au fond, on aperçoit comme une passerelle sur la rivière. 

Un wagonnet se tient au premier plan. On note un petit rail qui conduit vers la passerelle. Sur le chantiers, plusieurs hommes s'affairent tandis que vers la droite, près d'un bâtiment, d'autres en veste encore et chapeautés, les regardent travailler.

















Une troisième photo a été prise sur le Don, légèrement en aval face au nouveau pont qui d'ailleurs n'a pas de parapet. Le niveau de la rivière est particulièrement bas, comme en été.

Un ouvrier pousse un wagonnet sur la passerelle qui traverse la rivière et s'y reflète. A côté de l'homme, on dirait un enfant, peut-être dans une petite embarcation. Derrière, des hommes travaillent près de la pile nord du nouvel ouvrage.

















La quatrième et dernière photo offre une sorte de zoom sur la scène évoquée en dernier, au paragraphe précédent.

Il semble qu'on soit en train de déblayer la rivière dont le cours avait pu être partiellement coupé en cet endroit. De nombreux wagonnets sont prêts à recevoir la terre. Une seconde équipe apparaît au fond, de l'autre côté du pont.


















Bien de nos parents et ancêtres de Guémené ont dû patauger dans la boue et suer pour ce chantier, en cet été 1909 ou 1910.

Cette ligne, qui mit près de trente ans à voir le jour, fonctionna moins de trente ans pour les voyageurs de nos contrées...

Restent le pont et son paisible environnement.

dimanche 10 juillet 2016

Antique Guémené


La récupération de vieilles photos auprès de Jacky Michel et de la mairie de Guémené me permet de mettre à disposition de tous (ce "tous" est certes un peu présomptueux) des clichés inédits.

Ce matin il faisait beau - il paraît d'ailleurs que cela ne va pas durer - et je suis donc parti en repérage avec l'idée de confronter anciennes et actuelles vues de divers lieux du bourg représentés dans le fonds photographique dont je dispose.

Je suis d'ailleurs preneur de tous les fonds photographiques concernant la commune et son passé, à bon entendeur salut !...

Voici donc huit "avant - après" de Guémené :


- Guémené-Penfao 1899 :

Il s'agit de quatre photos prises en 1899, probablement au même moment. Elles portent pour deux d'entre elles sur les courses hippiques, pour une troisième sur un concours de chevaux et enfin, pour la dernière, il s'agit d'un taureau appartenant à la famille du photographe.

Il est possible que ces quatre clichés aient été pris lors du Comice agricole, car non seulement les Comices étaient l'occasion de divers concours, notamment d'animaux, mais ils étaient souvent accompagnés de courses hippiques.

Je n'ai pas été à Lizien car la prairie où se déroulait jadis les courses de chevaux ne peut plus être qualifiée aujourd'hui d'hippodrome. En revanche, j'ai retrouvé l'endroit où se tenait le concours de chevaux : il s'agit de la rue de Beslé, juste derrière la mairie. 

La photo du taureau est bien entendu prise place Simon : elle montre la rue de l'Hôtel de ville, avec à droite le "Bon Marché", aujourd'hui un café, et l'hôtel du Petit Joseph.

































Le Chalet :

C'est là que je vins quelques jours en septembre 1987 quand mon premier fils avait un mois. Il brailla une bonne partie de la nuit dans le silence de cet hôtel...

Voilà donc une photo montrant la bâtisse à la fin de sa construction, en 1904. Un bâtiment complémentaire existe aujourd'hui, accolé derrière.

Assis sur un banc, entre le "Chalet" et le moulin à droite, le propriétaire de l'époque, sans doute. A noter que c'était une demeure à usage privé, au départ, transformée en pension de famille, puis en hôtel, par la suite.



















- "Château-Gaillard" :

Je ne connais pas l'origine du nom de ce petit bâtiment qui faisait l'angle de la rue de l'Hôtel de ville et de la rue de Beslé, à côté de la mairie. J'ai connu une boulangerie à cet emplacement occupé aujourd'hui par une agence immobilière.





















- Petite place près de la mairie :

La photo ci-après a été prise vers 1900. On distingue, de gauche à droite : une pâtisserie, la quincaillerie Haméon, une pharmacie et l'Hôtel du commerce.




- Rue de l'Eglise :

Cette photo qui date probablement des années 60 - 70 est prise rue de l'Eglise, à l'angle où une ruelle rejoint la rue de Mirette. La grande maison accueillait au rez-de-chaussée le magasin de chaussures de madame Bréger. Le petit appentis sur le côté hébergeait un cordonnier.




- Épicerie Lepage :

Un autre cliché des années 70, peut-être : l'épicerie Lepage, à l'angle de la petite rue de Mirette et de la rue de l'Hôtel de ville. A côté, le salon de coiffure Rousseau.




















- Café charcuterie Jarnot :

Située place de l'Eglise, la façade de cet établissement a été grandement remaniée.

Les personnages sur le vieux cliché qui date du milieu ou de la fin des années 20, font partie de la famille de Jacky Michel : sa grand-mère, dans l'embrasure de la porte, et sa (future) mère récemment décédée, en robe à carreaux.

















- Le café Alex Rouaud :

Placé à l'angle des rue de l'Eglise et de l'Epée, c'est aujourd'hui le café "Tempo".























Voilà c'est fini pour aujourd'hui. Mais d'autres photos sont encore à venir. Patience.

dimanche 3 juillet 2016

La vie extraordinaire de Pierre Au(guste) le fou


"La route de l'excès mène au palais de la sagesse"
William Blake, Le mariage du Ciel et de l'Enfer


Pierre Auguste Leroy a vécu en de nombreux endroits. C'est toutefois sur la commune de Guémené qu'il a effectué la plus longue (et dernière) étape d'une vie aventureuse, marquée par une certaine exaltation. En voici l'histoire, sauvée du naufrage de l'oubli par des universitaires canadiens et une main anonyme de Guémené.

Le texte écrit par cette dernière, ainsi que la photographie qu'on trouvera plus loin dans cet article, proviennent d'un fonds photographique et documentaire récemment transmis à la Mairie de Guémené par Jacky Michel, dont l'existence est consacrée à la sauvegarde des belles choses, notamment celles qui concernent sa commune. Que lui-même et la Mairie de Guémené en soit remerciés.


Pierre Auguste Leroy est né le 20 février 1846 à Mauves près de Nantes. Il est le fils de Pierre Leroy, médecin, et de Marie-Anne-Rosalie Lebreton.

Depuis sa plus tendre enfance, il veut être missionnaire afin de pouvoir mourir martyr de la foi catholique. Bon, papa a d'autres vues en tête pour son fils, qu'il verrait bien médecin comme lui.

A l’âge de 14 ans, toujours travaillé par sa manie, il supplie en vain son père de le laisser joindre les rangs de l’armée du pape. C'est que sa Sainteté vient de se prendre une déculottée avec la défaite de Castelfidardo, le 18 septembre 1860 en Italie près d'Ancône, suite à laquelle toute l'Italie sauf Rome sera réunie en un seul royaume.

Cahin-caha, le jeune exalté poursuit ses études et devient bachelier ès lettres le 16 août 1864 à Rennes (puis ès sciences). Il est entré au collège de Couet, Loir-et-Cher pour y achever son cours classique et, en 1867, ayant atteint l’âge de la majorité, il abandonne ses études de médecine, auxquelles il avait été contraint par son père.

Du coup, il s'enrôle dès le lendemain de la bataille de Mentana (près de Rome, bataille qui s'est soldée cette fois par une victoire du pape auquel Garibaldi voulait enlevé Rome), dans le 3ème bataillon des zouaves pontificaux.

Au terme de son engagement de six mois, en mai 1868, il croit pouvoir réaliser sa vocation en entrant chez les cisterciens, à l’abbaye d’Aiguebelle, près de Donzère dans la Drôme. Moins d’un an plus tard, ses supérieurs le forcent à retourner au laïcat afin de refaire sa santé détériorée par les privations excessives qu’il s’est imposées...

On croit aussi l'avoir vu également à l'abbaye de Bonnecombe, dans l'Aveyron, et à celle de Meilleraye, en Loire-Inférieure, près de chez nous.

Viré des abbayes, Pierre Auguste commence à s’intéresser à l’éducation (et après la guerre de 1870, il touche une (mini) pension).

Il fut professeur probablement un certain temps. Au début de l’année 1874, il publie à Lyon un premier ouvrage pédagogique intitulé "Commentarii de bello Helvetio" ,  une nouvelle méthode pour apprendre le latin en peu de temps.

En effet, passée la manie de faire le zouave (pontifical), celle d'écourter l'apprentissage du latin va l'envahir.

Le 2 février 1874, il demande au ministre français de l’Instruction publique (un certain Oscar Bardi de Fourtou, tout un programme !) d’expérimenter ses méthodes pédagogiques qui, soutient-il, peuvent abréger les études secondaires de moitié, rien de moins. 

Son expérience le conduit à considérer que le système d’enseignement classique a été un obstacle dans la recherche de la voie que lui a tracée la Providence. Chaque homme a une mission particulière à remplir qui lui est indiquée dès l’enfance par "des signes à peu près certains". Or, le système d’enseignement classique, autoritaire et contraignant, ne tient pas compte de la vocation des enfants.

La mémorisation occupe une place excessive, et les pertes de temps à apprendre des matières inutiles grèvent une grande partie du temps que l’enfant devrait mettre à exercer sa créativité, à apprendre un métier et, ainsi, à réaliser ce pourquoi la Providence a permis qu’il vive. 

Oscar Bardi de Fourtou ne fut guère sensible à cette thèse : éconduit en France, Pierre Auguste cherche du côté du Canada, dont il a entendu parler à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris de 1867, dans l’espoir qu’on y accueillera son "invention".

Leroy arrive à Québec le 6 mars 1874 avec l’intention d’y introduire une nouvelle méthode visant à réformer complètement l’enseignement classique. Approchant la trentaine, il entreprend une réflexion sur son passé qu’il perçoit comme une suite d’échecs et de "souffrances".

Dès son arrivée à Québec, Leroy se présente à l’abbé Thomas-Étienne Hamel, supérieur du séminaire de Québec, et propose qu’on lui accorde une classe pour qu’il puisse mettre à l’essai sa méthode d’enseignement du latin. 

Le 8 avril de cette même année 1874, il est invité à prononcer une conférence sur le sujet devant les professeurs du séminaire. En dépit de l’intérêt que suscitent ses propos, on lui refuse ce qu’il demande. 

Il s’adresse alors à Gédéon Ouimet (un nom prédestiné en politique), premier ministre et titulaire du ministère de l’Instruction publique de la province de Québec qui accepte de présider la deuxième conférence que Leroy prononce, le 30 avril, à l’école normale Laval, à Québec, devant le maire, les notables et de nombreux journalistes. 

Le lendemain, bon nombre de journaux font l’éloge de sa méthode. Napoléon Legendre, rédacteur adjoint du Journal de l’Instruction publique, souhaite même que le gouvernement lui vienne en aide. 

Ouimet lui octroie la subvention et le local demandés, et Leroy annonce qu’il donnera, à compter de septembre 1874, un cours expérimental de trois ans qui comprendra toutes les matières – à l’exception de la philosophie – exigées en France pour l’examen de baccalauréat ès lettres qui sanctionne les études secondaires.

Cependant, certains professeurs considèrent cette nouvelle méthode trop exigeante car elle les oblige à fournir un enseignement quasi individualisé (sacrés feignants !). Leroy leur répond dans les journaux sur un ton agressif et polémique. 

Et pour prouver qu’il a raison, il propose de tenir, avec sa trentaine d’étudiants, des examens publics tous les trois mois afin d’exposer les progrès réalisés. Le succès de ces examens est tel que Leroy s’attire de nouveau des éloges pour sa méthode. 

En décembre 1874, Joseph-Édouard Cauchon, du Journal de Québec, vante les mérites de l’homme et de l’œuvre, et Napoléon Legendre conserve, pour sa part, le même enthousiasme. L’abbé Antonin Nantel, supérieur du séminaire de Sainte-Thérèse, prédit un triomphe prochain à Leroy et souhaite que la force de l’opinion publique réussisse à vaincre les résistances. 

L’abbé Dominique Racine, supérieur du séminaire de Chicoutimi (quartier de la ville de Saguenay à une centaine de kilomètres au nord de Québec), témoigne des résultats positifs de cette méthode, après en avoir fait l’essai dans son institution. 

Mais, en 1875, la subvention de Leroy n’est pas renouvelée, le gouvernement Ouimet ayant été défait dans le sillage d'un scandale politique. Cet événement et la surcharge de travail qu’il s’est imposée pour établir sa réputation à Québec affectent la santé mentale de Pierre Auguste. Retiré de l’enseignement, il commence une vie d’écriture, de polémique et d’errance.

Convaincu qu’il doit réformer l’enseignement pour accomplir sa mission providentielle, Leroy retourne en France à la fin de 1875, dans le but d’intéresser le supérieur de l’abbaye d’Aiguebelle à la fondation, dans la province de Québec, d’un collège qu’il dirigerait lui-même sur le modèle d’un monastère, où les étudiants vivraient, avec quelques adoucissements et adaptations, la règle de saint Benoît. 

Un tel milieu permettrait l’application de sa méthode et contribuerait à sa diffusion. Les étudiants, admis gratuitement dans cette institution, occuperaient une partie de leur temps à l’apprentissage d’un métier et en sortiraient préparés à occuper la place à laquelle ils sont prédestinés.

Ne pouvant trouver d’encouragement en France, Leroy revient, en 1876, à Québec, où il essuie le même refus de la part de l’archevêque Elzéar-AlexandreTaschereau. Il se rend alors à Chicoutimi où il rencontre le père Charles Arnaud, oblat de Marie-Immaculée, apparemment favorable à son projet. 

Au lendemain de cette rencontre, Leroy, enthousiaste, multiplie les démarches pour faire nommer Arnaud premier évêque du diocèse de Chicoutimi. Il écrit avoir des preuves miraculeuses que ce dernier est désigné par Dieu pour occuper ce poste et devenir l’agent providentiel de la réforme qu’il propose. 

Il harcèle en ce sens l’archevêque de Québec et le délégué apostolique Mgr George Conroy, tout en rédigeant des brochures et des articles de journaux à ce sujet. Mais, en dépit de ces initiatives, on nommera Dominique Racine à la tête du diocèse de Chicoutimi en 1878. Comme quoi y a pas d' bondieu...

Depuis 1876, la crédibilité de Leroy a beaucoup diminué à Québec. Les journaux refusent de le publier de telle sorte qu’il doit fonder sa propre feuille, la Volonté. Celle-ci, distribuée gratuitement, paraît irrégulièrement en 1876 et 1877. Rejeté, on le qualifie maintenant, écrit-il, de "brebis galeuse" que "les bonnes femmes de Québec regardent comme un vrai diable", à l’égal d’un "ministre protestant". C'est dégueulasse !

Cette réputation ne tient pas exclusivement à ses extravagances, elle repose aussi sur le fait que le clergé, depuis qu’il a refusé d’appuyer son projet, est devenu la cible de ses attaques...

Sans argent, Leroy quitte Québec à pied, en 1878, et échoue à Saint-François-du-Lac, dans le comté d’Yamaska. Il est alors hébergé par un habitant de la région moyennant l'engagement de prodiquer un enseignement à son fils. 

Au printemps de 1879, il se rend à Saint-Hugues et occupe un poste d’instituteur à l’école élémentaire où, pendant un peu plus d’un an, il éprouve beaucoup de satisfaction à mettre à l’essai sa méthode auprès de très jeunes élèves. 

Mais, encore là, ses obsessions le poursuivent et il abandonne ce poste pour se consacrer à sa vocation de réformer entièrement et radicalement le système d’éducation.

Un héritage inattendu permet à Leroy de se rendre en France vers la fin de 1881. Il y continue de chercher un collège où il pourrait amorcer sa réforme ; à cet effet, il demande, en vain, à l’évêque de Nantes qu’on lui confie le poste de supérieur du collège de Couet. 

De retour dans la province de Québec à la fin de 1883, il tente de convaincre, l’année suivante, le nouveau délégué apostolique, Mgr Joseph-Gauthier-Henri Smeulders, de la nécessité de remplacer Mgr Racine par le père Arnaud, à la direction du diocèse de Chicoutimi. 

En 1885, il se rend même à Rome pour intercéder en faveur d’Arnaud. Il prétend reconnaître en ce missionnaire oblat le futur pape "dont parlent les prophéties". N’ayant pu obtenir gain de cause, il revient à Québec à la fin de la même année. 

Il se croit alors espionné par la police républicaine française et rentre, en 1886, dans son pays natal où il vit en fugitif : revolver en poche, il cherche, sur les routes de France et de Suisse, à échapper aux agents secrets qui le surveillent sous de multiples déguisements.

On le retrouve en Loire-Inférieure en 1898. Après être allé à Moisdon-la-Rivière où son père a un cabinet et où sa demi-sœur Camille Leroy s'est mariée, sans doute pour demander de l'argent, il est à Guénouvry, section de la commune de Guémené-Penfao, où il achète un petit lopin de terre aux Blandin, 

Les Blandin sont deux des trois familles du Point-de-Vue, un hameau de Guénouvry situé sur la colline en face de la chapelle Sainte-Anne de Lessaint. Alexandre Blandin (1894) et Jean Blandin (1880) y demeurent avec femmes et enfants.

Avec de très grosses pierres, une cahute est construite sur une butte près du hameau. Le toit est fait de plusieurs épaisseurs de planches. Une ouverture à l'ouest, par laquelle il faut descendre et à gauche une maie sert de lit. Pas de drap, pas de couverture, de table ni de vaisselle, pas de porte, seulement un trou au sud...

Dans le fond de la cabane, une sorte de niche sert de bibliothèque. Leroy écrit beaucoup sur une planche posée sur ses genoux. Il reçoit beaucoup de docteurs, notaires,...Il donne un coup de main dans les fermes pour avoir son pain et mange surtout des pommes de terre.

La famille Guihot du hameau de la Débourgère le reçoit souvent. La fille aînée Jeanne-Marie lui coupe les cheveux et taille sa barbe. M. Leroy n'est pas sale et n'a ni poux, ni puces. La Débourgère est une ferme isolée ; la famille Guihot compte cinq personnes, la fille aînée, Jeanne étant née en 1915 (sa vocation de coiffeuse était donc précoce).













A la messe, il se place dans la chapelle des hommes et interpelle le prêtre pendant le sermon. Il est même virulent. Il parle toujours de Chicoutimi au Québec, de coïncidences et de concordances...

Chaque matin, l'ermite venait à la métairie du Point-de-Vue où les Blandin lui remettaient des vivres. Mais depuis le 24 octobre 1929, plus de Pierre Auguste.

L’octogénaire ne jouissait plus de ses facultés mentales, disait-on. On croit savoir qu'il était parti à pied pour se confesser à Abbaretz. Sans doute était-il allé droit devant lui, sans s'occuper des obstacles ni des misérables contingences terrestres...

Épuisé probablement, il fut pris d'une syncope sur la route.

Près d'une semaine après sa disparition du Point-de-Vue, deux cultivateurs, Louis Renou et Jean Garaud, découvrirent, dans un champ près du village de La Colle à Marsac-sur-Don, un pauvre vieux qui agonisait.

Ils ne se doutaient pas qu'il s'agissait du vieil original de Guénouvry. Pierre Auguste Leroy est décédé là, dans une étable, celle de Pierre Marsac, malgré les soins prodigués par un médecin de Nozay, le docteur Méraud.


Le lopin de terre avec la cahute revint aux Blandin. Au remembrement, au milieu des années 60, les sapins furent arrachés, les pierres enlevées au bulldozer, la butte à Leroy arasée...Ainsi va la vie.















Bibliographie :

Pierre-Auguste Leroy est l’auteur de nombreux ouvrages traitant de pédagogie et de ses visions mystiques, dont : 

- Études de langues ; réforme de l’enseignement [...] (Québec, 1874) ; 

- Thèmes, règles et vie d’Agésilas : nouvelle méthode pour apprendre le latin en peu de temps (Québec, 1874) ; 

- Pour et contre, réforme de l’enseignement : nouvelle méthode pour apprendre les langues en peu de temps (Québec, 1875) ;

- l’Enfant et l’Éducation (Québec, 1877) ; 

- Ensemble du système (Québec, 1877) ; 

- Gage de la victoire (s.l., 1878) ; 

- Lumen in cœlo, le mot de l’énigme : explication de la prophétie de St. Malachie (Québec, 1881) ;

- Lumen in cœlo, la fin du monde : nous sommes aux derniers jours du monde (Québec, 1885) ;

- Lumen in cœlo, le futur pape : laissez passer la justice de Dieu (Nantes, France, 1885) ; 

- En avant, Œdipe ; où est l’étoile ? (s.l., [1886]). 

Leroy a également fondé, à Québec en 1876, le journal la Volonté ; celui-ci cessera cependant d’exister au début de l’année suivante.