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dimanche 26 juin 2016

Jean-François Thomas peintre oublié


On peut admettre qu'un enfant du pays est celui qui y est né. Droit du sol.

A ce titre, Jean-François Thomas né le 15 décembre 1894 à Guémené Penfao fait bien partie de la famille guémenoise.

Il est né dans un bâtiment aujourd'hui malheureusement disparu dont seules les cartes postales anciennes nous restituent la majesté antique, à savoir la grande gendarmerie de la route de Redon, à l'emplacement où la maréchaussée d'aujourd'hui continue cependant de résider.

Car papa, Jean-Marie François Thomas, était gendarme à pied, affecté en notre bourg en cette période de sa vie. Maman était une dame Françoise Marie Benoiton, tailleuse.

C'est entre deux gendarmes eux aussi à pied, deux "voisins de l'enfant" (Boutin et Landreau), que le père de notre héros, tel un voleur, fut escorté à la mairie toute proche pour la déclaration de naissance.

Au gré d'une nouvelle affectation de papa, Jean-François et sa famille (deux frères et deux sœurs) migrent vers d'autres cieux. On le retrouve élève au Prytanée militaire des Andelys, en Normandie.

Son âge, sinon son inclinaison naturelle ou sa formation, le prédispose à l'héroïsme. Il va donc, comme tout un chacun, se faire casser la gueule pour la Patrie. C'est d'ailleurs réussi puisqu'il est gravement blessé au thorax, au point d'être réformé en 1916. Il conservera toute sa vie des séquelles de cette blessure et sa santé demeurera précaire.

Remis quelque peu de ses émotions militaires, il poursuit ensuite des études à l'Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux avant de passer une année à Nantes où il enseigne.

En 1917, il "monte" à Paris et acquiert un atelier à Montmartre. C'est le début d'une carrière difficile marquée par une production intense. Cette production sera, à partir des années 20, exposée dans de nombreuses galeries essentiellement parisiennes.



C'est dans ce début d'après-guerre qu'il se lie d'amitié avec trois peintres, Roland Oudot, Raymond Legueult et Maurice Brianchon qui laisseront quelques traces intéressantes.

En 1923, Jean-François Thomas expose avec ses amis précités. Ils forment le « groupe du Portique » ; il connait pendant quelques années un certain succès, le Musée de Nantes et plusieurs musées étrangers lui achetant des toiles.

En 1925, il participe à l'exécution de la coupole du Printemps et à l'exposition des Arts Décoratifs. Il signe son premier contrat avec la Galerie Georges Lévy-Alverez et y collabore de 1927 à 1929.

De 1930 à 1931 il est sous contrat avec Mademoiselle Berr de Turique, pour la Galerie le Portique.

Un article de presse signale en décembre 1933 qu' "à la galerie Charles Auguste Girard, ..., on remarque les envois de Jean-François Thomas, presque un inconnu, dont certaine Gerbe, une ménagère soignant ses fleurs et - quoique de dimension fort réduite - la Vie familiale, sont des créations prouvant un tempérament aussi personnel qu'authentique".

On retrouve son oeuvre en 1934 à la Galerie Charpentier.

En 1935, il expose aux Ateliers Paul-Louis Mergier ainsi qu'à la Galerie Mignon-Massart à Nantes (10 rue Boileau : bombardée en septembre 1943, cette galerie voit sa propriétaire, un peintre et ses bâtiments détruits).

En 1936, Jean-François Thomas accroche ses oeuvres à la Galerie Moyon-Avenard, Passage Pommeraye à Nantes, à la Galerie de Paris, à la Galerie d'Art Malesherbes et à la Galerie Carmine dans le groupe « le sport et les Artistes », sous le patronage de Léo Lagrange, ministre bien connu des sports et des loisirs sous le Front Populaire.

En 1937, le Ministère de l'Education Nationale se rend acquéreur d'une toile.

Bref, toute sa production semble avoir convaincu le monde des arts de son époque et il est clair qu'à défaut d'avoir été largement reconnu ou populaire comme Picasso ou Balthus, Jean-François fut un petit maître sérieux de l'entre-deux-guerres. Et de nos jours encore quelques unes de ses toiles sont encore accrochées au Musée des Beaux-Arts de Nantes.

Son oeuvre est diverse : aquarelles, peintures à l'huile, pastel et exprime, selon les spécialistes, la double préoccupation de trouver des harmonies de couleur nouvelles et d'exprimer le mouvement. On dit que ses dessins à la plume, des lavis, sont d'une extrême finesse.

Sa vie semble avoir été très misérable car sa peinture ne le nourrissait guère. Deux anecdotes rapportées plus tard (trop tard) donnent la mesure de cette précarité. 

On dit en effet qu'il mangeait si peu et si mal qu'il contracta le scorbut (il ne consommait donc ni choux ni agrumes).

De même sa pauvreté extrême, jointe à sa passion de peindre, le conduisirent, paraît-il, à découper le drap de son lit pour y peintre un tableau.

La fin de sa vie arriva de bonne heure, avant que la notoriété n'ait eu le temps de calmer ses peines.

Le 15 janvier 1939, épuisé, il rend l'âme. Il avait quarante-quatre ans.














Il n'aura donc pas eu le temps de savourer l'exposition de sa production qui débutait à Chicago deux jours plus tard, à l'Arts Club. Et encore moins, la même année, une seconde exposition donnée à San Francisco.

Comme le dit un critique de l'époque : "l'Amérique l'aura découvert avant la France".

dimanche 19 juin 2016

L'horloger de Saint-Paul


Je musarde, comme beaucoup de gens finalement, sur les sites d'enchères ou de vente d'objets d'occasion, en centrant mes recherches sur Guémené, soit d'un point de vue géographique, soit du point de vue de ce qui s'y rapporte. En bref, je ne chine qu'à Guémené ou à propos de Guémené.

C'est ainsi que j'ai très récemment déniché un mécanisme de pendule de type "comtoise" portant sur son cadran l'inscription :


Qualité Garantie
JEHANNE
Guémené-Penfao

Mon sang n'a fait qu'un tour (de cadran) : je me suis empressé de refuser cet achat au prix trop élevé, tout en indiquant au vendeur que son objet aurait pu m'intéresser.

Bref, de fil en aiguille, ce dernier m'a consenti un gros rabais et je suis parti chercher l'objet, à la première occasion, sur un parking de Pornic, comme s'il s'était agi d'une transaction mystérieuse et louche.

Un coup de papote avec le vendeur et hop, voilà la pendule sur mon buffet de Guémené, en moins de temps qu'il n'en avait fallu pour négocier.


















L'objet n'est pas bien beau et ne fonctionne pas. Il lui manque les poids et le balancier. Mais que diable, il s'agit d'une horloge sortie d'une boutique de Guémené !

La bijouterie-horlogerie de Théophile Jehanne se tenait au coin sud-est de la place de l'église, église jadis dédiée à Saint Paul. Il y avait déjà un commerce de ce type vers 1900, comme on peut le voir sur les cartes postales de cette époque. Et encore aujourd'hui, l'emplacement est toujours consacré au même commerce dont le titulaire, fort bavard et toujours dans les murs, a pris en principe sa retraite...

Ce Jehanne horloger était né au bourg, le 11 janvier 1893, d'un père qui se prénommait déjà Théophile, menuisier ou agent d'assurances, selon les époques ; et d'une mère, Rosalie Garçon, épicière.

Son intégrité physique, voire sa vie, furent épargnées grâce à une "bronchite spécifique" que lui trouvèrent les médecins-majors. Elle devait être bien particulière, cette inflammation pulmonaire, pour lui permettre de se voir exempté de boucherie collective, l'année de ses 21 ans. Les mortifères à képi adorent en effet, sans trop y regarder en général, la chair tendre de ces jeunes gens.

A cette époque, il se déclare forgeron ajusteur. C'est un petit bonhomme de 1 mètre 65, châtain, aux yeux marron clair. Il a une binette qui ne doit pas s'oublier : un visage long surmonté d'un front bombé et un nez "cave", pour compenser.

Il dut profiter de la guerre, dont il était écarté, pour affiner sa formation en mécanique et on le retrouve horloger en 1921.

Peu avant, le 14 août 1919, il avait épousé à Guémené une jeune femme de vingt ans, Marie Poisson, fille "naturelle" (comment qualifier les autres : surnaturelles, culturelles, pas naturelles, frelatées, artificielles?...) née à La Forêt, hameau sur la route de Massérac, près du château de Friguel.

Cette Marie Poisson fut coiffeuse.

De ce mariage naquirent deux enfants, un garçon et une fille, et beaucoup de pendules, probablement.

Le fils du bijoutier et de la coiffeuse de Guémené, prénommé Théophile comme il se doit, a connu un peu de gloire, laquelle retentit sur sa patrie de naissance, en menant une carrière d'homme de théâtre.

La fille, Madeleine, n'apparaît pas dans les radars de la célébrité (comme la plupart d'entre nous d'ailleurs).

Le brave bijoutier n'eut guère le temps de profiter de la vie et n'atteignit pas la quarantaine.


Il s'éteignit en effet à la fin de juillet 1932. Ses obsèques se tinrent le 3 août à 14h30, en l'église de Guémené. C'était juste en face de sa boutique, de l'autre côté de la  rue, et ce fut son dernier acte public (comme c'est souvent le cas).

Sa épouse, sa veuve, attendit que les enfants soient grands et se remaria le 26 novembre 1945.