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samedi 31 janvier 2015

Madame Michel


Madame Michel n'est plus.

Je l'avais revue il y a quelques temps et derrière la dame très âgée qui se déplaçait avec peine, on retrouvait la jeune Madame Michel, l'éternelle Madame Michel, le sourire un peu mutin, le regard empli de bonté.

Madame Michel était un morceau du soleil des étés des années 60 quand, ayant descendu le route du Brossay puis le Boulevard à toute vitesse sur mon vélo bleu, j'allais faire les courses dans le Bourg et acheter quelques fruits dans son échoppe de la rue de l'Hôtel de Ville.

En ce temps-là, on ne mangeait les fruits qu'en saison. Si jamais j'ai pris goût aux melons ou aux pêches, je crois bien que c'est là, à Guémené.

Il est peu probable toutefois que j'ai moi-même jamais acheté un melon seul dans ce magasin : acheter un melon nécessite un savoir-faire que même tous les adultes ne possèdent pas. Sans doute ma mère était présente, vêtue d'une robe imprimée légère, guère plus jeune que Madame Michel.

C'est cette dernière qui, d'une cagette, extirpait une de ces cucurbitacées à l'odeur suave et qui posait son petit nez ou son pousse sur ces cotes pour en vérifier la bonté.

Il me semble revoir sa silhouette prise dans un tablier, enregistrant la commande un crayon à la main, sur une petit calepin où elle faisait ensuite son addition.

Le souvenir de cette femme bonne est à jamais enveloppé de ces odeurs de fruits sucrés des étés chauds de mon enfance.

Qu'elle repose en paix.

dimanche 25 janvier 2015

Gros bizious de Guémené


Alfred Isaïe Biziou mesurait adulte 1 mètre 45 et pesait 42 kg. Ce petit gabarit s'était fait photographier avec le Petit Joseph, réputé pour sa grosseur, et un autre bonhomme qui mesurait plus de 2 mètres.

Sur les photos où il apparaît, âgé probablement d'une quarantaine d'années, il porte une longue barbe broussailleuse. Le voici, ci-dessous, avec ses amis, puis devant son échoppe surmontée de son enseigne "Biziou Coiffeur", avec sa jeune fille (peut-être, et même sa femme qui semble tirer la fillette par sa robe vers l'intérieur du salon).







Il était né à Paris du côté des Champs-Elysées en 1864, d'un père tourangeau qui exerçait le métier de "taillandier". Plus tard, il s'était installé comme coiffeur à Nantes où il tenait boutique au 1, Quai du Bouffay. Marié à une nantaise, Marie Pesnaud, ils auront trois enfants un garçon et deux filles, ces dernières seules survivant.


Un jour, avant 1906 certainement, la petite famille quitta la métropole bretonne pour Guémené. On retrouve Alfred, Marie son épouse et les deux filles, Noémie et Berthe, route de Redon, peu après la mairie, de l'autre côté de la rue.

Je ne saurait dire si la famille était heureuse ni si Alfred Biziou était un habile figaro. Ses talents publics, ceux que je peux lui reconnaître, ressortent à un autre art que celui du père de famille ou que celui de la coiffure.

Car Alfred Biziou était aussi photographe à ses heures. Il fit publier certains de ses clichés de Guémené, colorisés par des imprimeurs parisiens, les frères Alcide et Arthur Bréger dont l'établissement se trouvait au 9 rue Thénard, au Quartier Latin, à Paris.

Ces imprimeurs, dont les descendants continuent de gérer l'entreprise Mexichrome, furent les premiers à utiliser la phototypie en imprimerie et notamment pour les cartes postales. Ils mirent au point des procédés de colorisation des photographies (dont la "simi aquarelle"). Ils en firent profiter les photos d'Alfred Biziou.

Je me suis amusé à collectionner ces vieilles cartes postales en couleur du coiffeur de Guémené. Certes, il doit en manquer (une, c'est sûr, qui montre la place Simon depuis l'angle de la rue Garde-Dieu), mais je puis en produire déjà une douzaine.

On y trouve des châteaux (Bruc, Juzet, Boisfleury), des vues du Don (notamment près du Grand Moulin, au bas du bourg), l'Eglise monumentale, la Mairie, la Gare au nord du bourg et le boulevard y menant, ainsi que l'ancien bâtiment de la gendarmerie en face du Presbytère (la Grande rue).

Les couleurs pastel de la colorisation confèrent un air d'été à ces vues, une atmosphère de chaleur qui me fait penser aux étés de mon enfance à Guémené. 

Je le dis particulièrement pour le boulevard ombragé de grands arbres qui conduit à la gare, qu'on arpentait sans cesse. Certes à mon époque ce n'était que de petits (faux) acacias bien différents des arbres qu'on voit sur la photo, mais je me rappelle qu'on en appréciait néanmoins l'ombre maigre quand on s'arrêtait pour souffler ou pour causer avec une connaissance de grand-mère Gustine.






















Alfred Biziou le coiffeur photographe, mourut à Guémené le 30 septembre 1918, âgé de 55 ans, laissant deux enfants de 24 et 20 ans.

Sa fille aînée, Noémie, reprit l'activité de coiffure et l'exerçait encore au début de 1921. Les trois femmes vivaient alors ensemble. Puis Noémie se maria avec Pierre Marie Rialland, en septembre 1921. Bientôt un autre coiffeur, Pierre Rousseau, vint remplacer la famille Biziou.

La mère décéda le 25 décembre 1927 à Beslé.

Noël 2014 à Beslé


Aucun souvenir ne me revient de l'église de Beslé : j'imagine assez bien que, quand on venait à Guémené, nous n'y sommes jamais entrés. Ce n'est pas faute d'avoir fréquenté Beslé : on y venait régulièrement, mais pour pécher ou pour boire un coup.

Aujourd'hui, il est bien difficile d'entrer dans les églises, surtout celles des petits bourgs périphériques de Guémené, Beslé ou Guénouvry : il n'y a plus beaucoup de monde, plus beaucoup de messes, plus beaucoup de prêtres...On craint les voleurs...

Il m'a fallu la circonstance d'un concert organisé le 28 décembre dernier pour mettre les pieds dans ce bâtiment. 

L'église de Beslé a été reconstruite en 1843 : elle est dédiée à Saint-Pierre et Saint-Paul. Son clocher-porche a été rehaussé à la fin du XIXè siècle. Les cloches qui meublent ce dernier ont été bénies le 1er mai 1938 par l'évêque de Nantes de l'époque, Villepelet. J'ai évoqué cet épisode dans un article précédent.

L'église de Beslé est petite - surtout par rapport à celle, énorme, de Guémené : une nef sans bas-côtés, un petit transept avec deux autels et un petit choeur. Une tribune, côté clocher, domine la nef.

Des vitraux parfois assez récents décorent les baies. Noël oblige, une crèche avait été disposée (ainsi qu'un grand sapin) et des grands rois-mages se tenaient à genou près de l'un des autels du transept. Ici et là des bannières anciennes sont accrochées aux murs.

Voici donc quelques photos de l'intérieur de l'église prises lors du concert du 28 décembre dernier, concert de chants de Noël gentillets, interprété par deux jeunes femmes gentillettes et timides.

D'abord deux vitraux de la nef que l'on doit à Henry Uzureau et qui datent des années 1940. J'ai raconté l'histoire du premier, hommage d'un père à son fils mort à la guerre de 14, dans un article récent. 

Lui fait face un autre vitrail, du même maître verrier, daté énigmatiquement du 3 août 1943. Il représente un prêtre auréolé vêtu à l'ancienne, tenant une balance dans les plateaux de laquelle sont une homme et une femme, un Breton et une Bretonne (la balance penche du côté de l'homme....). Il lève la main droite avec deux doigts repliés et paraît bénir qui le regarde.

























D'autres vitraux occupent la nef. On note les initiales "H.M." ou "M.H." "Y.D." ou encore le nom de Yves Dehais. Ces oeuvres semblent dater des années 1970. Yves Dehais fut un artiste nantais, né en 1924 et décédé récemment (2013), qui ouvrit son atelier à Nantes en 1948 avec un Compagnon du Devoir, rue de la Bastille, et dont l'oeuvre est présente en Loire-Atlantique. 

Est représentée une allégorie de la Pentecôte, les apôtres étant répartis de part et d'autre de l'entrée d'une sorte de temple à fronton, devant lequel se tient une femme (Marie ?) : tous reçoivent une langue, ou plutôt une larme, de feu sur l'auréole. 

Ailleurs, un Christ ressuscite et sort de son tombeau devant un soldat en armure endormi et une femme qui tient son visage dans ses mains. 









On trouve encore une verrière (non attribuée) célébrant la mission de 1959, en écho à l'année mariale 1958 : Bernadette Soubirous pieds nues est agenouillée devant la Vierge, tout près d'un ruisseau.





















Enfin, quelques vitraux plus classiques dédiés l'un à Jeanne d'Arc et l'autre à Saint Michel. La sainte porte l'armure enveloppée d'un manteau bleu à fleurs de lys. Elle tient à la main son épée et un étendard blanc à fleurs de lys également. Pour une raison obscure, elle pose devant une rideau sombre à motifs floraux.

L'archange, pour sa part, terrasse tranquillement un dragon rouge à corps de gros asticot, qui fait une drôle de bobine. Il a de belles ailes blanches dans le dos et une cape rouge. Lui aussi pose devant un rideau à motifs. Une inscription se trouvait au bas du vitrail dont on aperçoit plus que trois lettres ("EAU"), pourrait avoir été le nom du maître verrier.























Il restait d'autres vitraux dans le choeur, mais le grand sapin de Noël les cachait en partie.

Sinon, les bannières des antiques frairies de Beslé : trois ont retenu mon attention  (mais je crois qu'il n'y en avait pas d'autres).

Une première figure une Vierge à l'enfant. La maman est sur un nuage. Elle est revêtue de vêtements richement ornés tandis que l'enfant tient un globe dans sa main droite.

























Une autre bannière du même genre, clouée au mur près d'ex-voto, ne comporte que la Vierge, toujours sur un nuage, auréolée et couverte d'un manteau bleu. Des fleurs sont brodées aux quatre coins de la composition.

























Enfin la troisième comporte un Christ tête nue (sans auréole), barbu. Il marche sur un sol piqueté de petites fleurs. Un long manteau marron l'entoure et ses mains présentes des trous.























Dans le transept nord, on trouve une chapelle : dans une sorte alcôve sous un fronton supporté par deux colonnes, siège une Sainte Vierge blanche. Dessous, un autel doté de deux colonnettes, portant un "M" en chiffre et un tabernacle en forme de petit temple dont la porte est marqué d'un ciboire doré.






















Devant cette chapelle, l'on a disposé de grands rois-mages un peu écornés qui ont des airs de chiens battus.

























Enfin, voici quelques autres photos du concert du 28 décembre, qu'une assistance clairsemée d'une vingtaine de personnes courageuses supporta dans le froid, malgré les "grille-pain" descendant du plafond...Des chansons de France et d'ailleurs chantées d'un petit filet de voix, accompagnées d'un violoncelle, interprétées dans une église glaciale... 



























Pas sûr qu'elles aient gagné beaucoup d'argent : mais si ces jeunes femmes n'ont pas pris cher, elles ont assurément pris froid !...

dimanche 18 janvier 2015

Vitraux et merveilles (9)


Voilà déjà pas mal de mois que j'ai entrepris de décrire les vitraux de l'église de Guémené, le premier article datant de mars 2013. Ce n'est que récemment que je me suis remis à cette série qui se développe au rythme des succès plus ou moins affirmés que je rencontre dans l'identification des commanditaires de ces oeuvres.

Partant du principe que l'on trouve tout sur Internet, je persévère plus ou moins, jusqu'à ce que la chance ou l'inspiration dans la recherche m'offre une début de solution.

Les vitraux, comme on sait, sont en général signés par le maître verrier, leur auteur, et l'on identifie ceux qui les ont commandés quelques  fois par leur nom indiqué de manière explicite, parfois par des initiales plus ou moins décryptables et souvent par des armoiries, celles d'un homme et celle de son épouse.

Il y a au fond du choeur de l'église de Guémené de beaux vitraux, allant par paires. On va s'intéresser aujourd'hui aux deux paires qui se font face et qui sont aux deux extrémités de la série. Ce qui permet de les réunir dans un même articles est l'identité des commanditaires marquée par leurs armoiries : une famille noble a donc offert à la communauté des paroissiens quatre vitraux, et ce en 1903.

Voici les armes de ces bienfaiteurs :



Il s'agit d'abord du blason de la famille Lanfranc de Panthou qu'on peut décrire ainsi : "de gueule à deux fasces d'argent accompagnés de quatre croissants d'or, deux en chef et deux en fasces". Le second est probablement celui de la famille de Fontbonne, ce dont je n'ai pas encore trouvé confirmation.

Les deux saints représentés, Saint Ambroise et Sainte Eugénie permettent de confirmer que les commanditaires étaient Théodore  Ambroise Constantin de Panthou et Eugénie Thaïs Julia de Fontbonne qui s'étaient unis dans la commune de Vihiers, dans le Maine-et-Loire, en 1825, lui étant Receveur des droits réunis (des Contributions indirectes) en cette commune.

Théodore Ambroise était originaire du Calvados et elle était née à Elisabeth, dans le New Jersey, en "Amérique Septentrionale"



Vu l'époque de leur mariage, il est peu probable qu'ils aient encore eu l'occasion de faire cadeau de vitraux à l'église en 1903 : c'est bien plutôt un hommage du fils de ces gens-là, Gabriel de Panthou, dont la tombe au cimetière de Guémené, près de celle de sa mère Eugénie de Fontbonne, indique qu'il est mort en 1906. Ces tombes se trouvent toutes groupées en un enclos du bas du cimetière de Guémené, près de mon coin à moi.

Tombe d'Eugénie de Fonbonne

Tombe de Gabriel de Panthou

Un jour, je raconterai ce que ces gens étranges venus d'ailleurs pouvaient bien avoir comme point commun avec Guémené. En attendant, ils avaient eu l'air de s'y plaire suffisamment pour y laisser les traces artistiques qui font l'objet de cet article.

Les quatre vitraux qu'ils payèrent de leurs deniers (ou que leur fils offrit) datent de 1903 et émane de l'atelier de Jean Clamens, maître verrier installé à Angers entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe. Il meurt en 1918 âgé de 68 ans.

Il est l'auteur de nombreux vitraux dans l'église de Guémené, en particulier ceux de la nef, mais aussi certains autres du choeur ou d'ailleurs.


La paire occidentale de vitraux du choeur est une illustration de Saint Ambroise et de Sainte Eugénie.

Saint Ambroise est un Père de l'Eglise, évêque de Milan, connu pour avoir converti l'empereur romain Théodose. C'est probablement cet événement que figure la partie basse du vitrail consacré à ce personnage, qu'on retrouve plus haut, comme on l'a vu, avec sa mitre et sa crosse épiscopales, son manteau rouge et sa soutane violette, un gros livre vert posé sur la poitrine.

Un personnage un peu en retrait observe la scène, un bandeau lui ceignant le front. A l'arrière-plan, une tour et peut-être la silhouette d'un château (Milan ?).

Saint Eugénie aurait vécu à Rome au milieu du 3e siècle, à l'époque de l'empereur Valérien qui persécutait les chrétiens. Son père était un gouverneur. Suite à une affaire embrouillée, la sainte qui avait rejoint des moines et guérissait à tout va, se retrouve mise en accusation par une femme pour viol, devant son père le gouverneur. 

Elle s'en sort car papa la reconnaît et on découvre qu'il s'agit d'une femme et non d'un moine lubrique. Mais Valérien la fait reprendre et après lui avoir fait subir en vain divers supplices (bûcher, noyade,...) décide de lui faire couper la tête.

Sur le vitrail, on voit d'abord, en bas, la sainte ficelée comme un saucisson tenue à genou par un sbire à culotte violette. Un homme en manteau et capuche rouges semble l'envoyer à un sort cruel (est-ce Papa, est l'affreux Valérien ?), tandis qu'un soldat romain casqué et doté d'une lance supervise la scène. Le décor est un palais et on reconnaît un fronton de temple avec une colonnade. Au milieu se tient une femme avec un voile blanc sur la tête et un manteau bleu : peut-être s'agit-il de l'accusatrice de la sainte.

Plus haut, la sainte auréolée tient la palme du martyr de la main gauche et laisse reposer son autre main sur une épée (peut-être l'instrument de son supplice).




La seconde paire de vitraux, dans la partie orientale du choeur, rend hommage à Saint Louis et Saint Thomas d'Aquin. Le choix de ces deux personnages par les Panthou-Fontbonne m'échappe.

La partie basse du vitrail dédié au roi de France montre sa mort, au début de la huitième croisade, à Tunis en 1270, du typhus ou de la dysenterie.

Un évêque lui donne le sacrement, des moines sont présents dont l'un porte une croix. Le roi est auréolé, allongé dans son lit, recouvert d'une couverture bleue fleurdelisée, un livre à son chevet. Un chevalier en manteau rouge et cote de maille (son fils Philippe III ?), agenouillé, cache son visage dans sa main.

L'image du roi fournie dans la partie haute du vitrail le montre avec sa couronne la tête dans une auréole. Il est revêtu d'un manteau bleu à fleurs de lys.

D'une main (la gauche) il tient un sceptre et de l'autre, des reliques. Saint-Louis en effet en était friand : on voit sur le vitrail la couronne d'épine et un linge (peut-être la Sainte-Éponge).

Saint Thomas d'Aquin est le héros du second vitrail de cet ensemble. Moine dominicain, on le voit d'abord en prière devant un autel, un parchemin y étant posé. Sans doute est-ce la recherche de l'inspiration pour cet intellectuel. A l'arrière-plan, d'autres moines le regardent : seul Thomas a la tête dans une auréole.

L'image supérieure le présente en habit de dominicain, l'auréole autour de la tonsure, tenant un calice d'une main et un livre rouge de l'autre. Un coeur d'or rayonne sur son scapulaire noir.





La suite, au prochain numéro...