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mercredi 18 février 2015

Première pierre à la nouvelle église de Guémené


Racontant la saga des églises de Guémené au XIXè siècle (de la restauration de l'ancienne, à la construction de la nouvelle), je mentionnai en un second billet daté d'août 2013 que la pose de la première pierre de la nouvelle église fut l'occasion d'une fête "avec évêque et fanfare".

J'adore les fêtes publiques, les "14 juillet" de quartier, à Paris jadis, ou ceux de mon enfance à Guémené, derrière la mairie, avec pétards, pompiers, lampions et musique ; j'aime les défilés de la fanfare municipale sous le soleil, les trognes rougies sous la casquette blanche par le souffle, le pinard et la chaleur ; je me délecte des récits d'inaugurations d'école, de gare ou que sais-je, avec maire, député, général ou préfet, tout ça rutilant et martial...

Mais rien ne vaut une bonne première pierre.

Dans ce registre, les premières pierres des bâtiments religieux de Guémené sont mieux documentées que celles des bâtiments publics. C'est dommage, mais c'est comme ça.

Une première pierre religieuse attire quand même son monde. Le casting comprend en général un évêque. C'est bien, un évêque, c'est décoratif.

A vrai dire, je raffole aussi des évêques. J'ai pour ces prélats une affection intellectuellement et physiquement très platonique, mais la robe attire.... et je leur trouve une onctuosité, une componction, une aménité doucereuse qui me fait chavirer...Et je serai beaucoup pardonné car...

Après moultes tribulations (l'idée d'un nouveau temple prenant forme en 1878), la bénédiction de la première pierre de la nouvelle église de Guémené est enfin prévue le 21 septembre 1884. Je mentionne pour l'Histoire le nom de l'entrepreneur à qui fut confié ce projet pharaonique : Babjeau. Il aurait été dommage qu'avec un nom si original, la chronique continuât de l'ignorer...

Ce fut une bien belle journée, que favorisait un soleil généreux.

Tout commença par l'arrivée solennelle de Sa Grâce Jules-François Le Coq. Cette dernière avait commencé sa tournée par une visite apéritive aux Sœurs de Saint-Gildas-des-Bois, à vingt cinq kilomètres au sud-ouest de Guémené, ramassant au passage leur Supérieur, l'abbé Desnaurais, et traînant dans ses bagages l'abbé Bruneau, maître des cérémonies.


Armes de François-Jules Le Coq
évêque de Nantes

Cet équipage traversa Guenrouët, puis Plessé. La voiture et les chevaux avaient été prêtés par notre Comte du Halgouët, Poulpiquet pour les intimes, président de la "fabrique" (organisme qui gère le temporel de la paroisse) et châtelain de Juzet.

Pratiquement au sortir de Plessé, à plus de dix kilomètres de Guémené encore, une escouade de cavalerie commandée par Monsieur de Boisfleury (probablement Arthur, mort centenaire, que ma mère connut dans son enfance et qui était partisan de l'Action Française) se mit à escorter les bons prélats qui ne se sentaient plus d'aise.

Comme pour la première pierre du presbytère, une délégation attendait de pied ferme ce charivari au carrefour des routes de Plessé, Blain et Guénouvry, de l'autre côté du nouveau pont sur le Don.

Il y avait là d'abord toutes les "huiles" religieuses : le curé Revert en tête, assisté de ses vicaires et flanqué de l'abbé Courgeon (enfant du pays ayant réussi : préfet des études et professeur de philosophie à Saint-Stanislas, à Nantes). D'autres prêtres des environs avaient profité de l'aubaine pour s'aérer la soutane.

Naturellement "toute" la population s'en était venue recevoir Monseigneur. Pour faire bonne mesure, un bataillon d'infanterie était présent également, composé de jeunes soldats de la paroisse et commandé par Louis Menant, jeune tanneur de vingt-sept ans. Le sabre n'était donc pas en reste du goupillon, à croire qu'on craignait une attaque des prussiens...

Pour l'occasion, le pont sur le Don avait été paré de mâts et d'oriflammes.

Vers dix heures moins le quart, un nuage de poussière s'éleva à l'ouest et deux cavaliers en surgirent : Monseigneur arrive ! Monseigneur est là !

François-Jules descendit de sa carriole et vint saluer le clergé assemblé au bord de la route. Le curé Revert lui présenta alors le Maire, Fidèle Simon, le conseil municipal et le conseil de fabrique, c'est-à-dire ses soutiens républicains, d'un côté, et ses soutiens monarchistes, de l'autre.

Quelques baisouilles d'anneau par ci, quelques serrages de pognes par là, et tout ce petit monde commence la procession : non seulement le pont est pavoisé, mais les maisons aussi. On remonte doucement vers la place de l'ancienne église. Une grand-messe chantée inaugure les festivités. C'est justement l'abbé Courgeon qui s'y colle.

Tout ça c'est pas tout, mais c'est bientôt l'heure du casse-croûte. On se dirigea donc vers le presbytère décoré de tentures et d'oriflammes bleues et blanches. Dans la grande salle, un banquet de soixante-quinze convives avait été préparé.

Tout le monde, c'est-à-dire toute les notabilités, y avait été convié. Le maire et son fils député républicain y étaient bien entendu, comme les du Halgouët de Juzet ou de Saint-Germain de Beslé. Seuls manquaient les de Boisfleury qui, ayant bouffé du cheval, n'imaginaient pas partager le pain avec leurs ennemis politiques républicains (comprendre : les Simon).

Sur le coup de deux heures, Monseigneur ayant fait son rôt bien canoniquement, ainsi que le reste de l'assistance à l'unisson, on fit une petite promenade bien solennelle et digestive par le bourg.

Huit petits tambours arrivés de Chateaubriant par le train de midi conduisirent le défilé à la grande satisfaction des badauds endimanchés qui en admirèrent "l'aplomb et la tenue". Le curé de Derval chanta les Vêpres pour faire digérer la compagnie.

Une fois terminés ces amusements, on mena Sa Grâce au chantier bien processionnellement. Encore une fois, de riches tentures décoraient le choeur et les murs. Des oriflammes rouges et blanches pendaient aux écoperches des échafaudages.

Pour marquer le coup, l'entrepreneur Babjeau avait fait dresser une vaste estrade autour de la première pierre où Sa Grâce vint poser son saint séant, entouré des principaux du banquet (et de la ville).

Heureusement, le curé Revert, grand bâtisseur devant l'éternel, avait fait dresser un dais pour protéger la caboche épiscopale des ardeurs solaires (les mitres ne sont pas réfrigérées, hélas).

S'ensuivirent divers blablas. 

Le curé, conciliateur, remercia l'évêque, les autorités municipales, républicaines, et les autorités paroissiales, qui le sont moins. Il ajouta une louche pour l'architecte nantais Bougouin et l'entrepreneur, tous deux bons chrétiens, cela va sans dire.

Pas en reste, François-Jules en profita pour dire tout le bien qu'il pensait de la religion et des églises, et de Guémené, ceci cela.

Mais tout ça c'est pas le tout, comme on dit, le temps passe et c'est bientôt l'heure de ramener Monseigneur dans son bercail, car Sa Grâce, commençant à avoir quelques heures de vol, a tendance à dodeliner de la mitre. 

L'escorte de cavalerie de de Boisfleury et la voiture et les chevaux de du Halgouët sont à nouveau sollicitées pour emmener Sa Grâce à la petite gare de Massérac, où passe la ligne de Nantes, tout à côté de Guémené, pour le train de cinq heures vingt.

Cette première pierre, mon Dieu quelle corvée, pourvu que ce soit la dernière...

mardi 17 février 2015

Première pierre au presbytère


Chose promise, chose due : dans le dernier billet, j'annonçais une enquête de terrain afin de retrouver la première pierre du presbytère posée par Monseigneur de la Hailandière, évêque de Vincennes faisant office de roue de secours lors de cet événement, celui de Nantes étant malade.

Je me suis donc rendu matin auprès du presbytère, appareil photo en main, bien décidé à dénicher la pierre que les petites mains roses de Monseigneur avaient bien voulu bénir et entrueller.

Muni de l'indice selon lequel cette pierre se trouvait dans un contrefort de la façade nord, je m'approchais d'un pas cauteleux de ladite façade, préférant sa partie gauche, pour une raison inconnue.

Evidemment, une première pierre doit plutôt se situer vers le bas d'une construction. J'entrepris donc de me pencher, un peu comme face au Mur des Lamentations. 

Je n'eus pas besoin de beaucoup d'ondulations corporelles pour découvrir l'objet de ma recherche : à quelques centimètres du sol, derrière une petite bordure de buis, une large pierre sombre semblait porter des inscriptions.

Un réglage oculaire rapide me permit de distinguer un début de date, accompagné d'une petite gravure plus ou moins en forme de croix de Malte, correspondant à la date connue de l'inauguration de ce bâtiment tant désiré par le curé de Guémené de l'époque, l'abbé Querrion : 7 juin 1864.

Certes le "4" de l'année est un peu effacé, mais qu'importe !

Voici donc, pour le plaisir des yeux et du souvenir, des images de cette première pierre (qui est plutôt la deuxième, d'ailleurs). L'une d'elles permet de voir encore le saint ciment déposé par le saint homme.


















Au passage, j'en profite pour révéler un scoop : il n'y a jamais eu d'évêque de Vincennes, en région parisienne. 

Mais pour autant Célestin René Laurent Guynemer de la Hailandière n'était pas un imposteur.

Il avait bien été évêque (évêque missionnaire) d'un Vincennes, mais dans l'Indiana, aux Etats-Unis, avant d'en revenir en 1847...et d'y retourner en 1882, les pieds devant, pour s'y faire enterrer. 

Par quel mystère ce prélat avait-il atterri si loin de ses bases (il était né à Combourg, au Nord de Rennes) ? - Mystère et boule de gomme...


dimanche 8 février 2015

Nouveautés sur le presbytère de Guémené


Le mémoire de Marie-Pierre Guérin (déjà sollicité la semaine passée pour l'article sur les missions), me permet de compléter le dossier sur le presbytère de Guémené auquel un article avait, là aussi, été consacré, naguère (15 août 2013).

On rappelle que son avènement fut compliqué. L'ancien presbytère - qui se trouvait au même endroit - menaçant ruine, il fallut se résoudre à l'abattre et à le reconstruire. L'affaire fut longue car l'argent manquait. Ce n'est qu'en septembre 1865 que les prêtres de Guémené - qui avaient évacué l'ancien bâtiment en 1863 pour se réfugier chez une bonne dame du bourg (madame de la Ville Aubry, née de Boisfleury) - emménagent dans leur "petit château" nouvellement édifié.













Trois architectes se sont penchés sur le dossier. Le premier fut un certain Leberge (ou Liberge) dont les travaux furent repris et augmentés par Ogée son successeur, très probablement Emile Paul Ogée, né à Nantes en 1826 et mort dans la même ville en 1879, fils d'un architecte-voyer de la Ville de Nantes et petit-fils d'u architecte conservateur des bâtiments civils de cette ville.

Le projet Ogée fut approuvé par par le conseil de fabrique de Guémené lors de différentes réunions tenues en 1861. Il fallut encore deux ans de mise au point avant que ce projet ne soit envoyé à la commission des bâtiments civils.

Mais celle-ci le rejette en juin 1863 sur rapport d'un certain Bourgerel (Gustave), architecte du département de la Loire-Inférieur, qui n'y va pas avec le dos de la truelle sur le compte du boulot réalisé par son cher collègue Ogée.

Il y pointe en effet de nombreuses faiblesses : vestibule desservant indûment à la fois une pièce destinée au public (parloir) et d'autres destinées aux prêtres (cuisine, salon) ; existence d'une chambre de réserve inutile et défaut de salle à manger ; manque de cabinets d'aisance "indispensables" à l'étage ; surnombre de cabinets de toilette ; lucarnes de façade inutiles ; croupes (toiture) "inexécutables"....(osant un jeu de mot franco-anglais-sportif, on pourrait dire que, et pourtant, normalement : "Ogée c'est nice !...")

Emile Ogée

Pendant ce temps-là, l'ancien presbytère s'écroule. L'évêque de Nantes décide d'envoyer un autre architecte, Gilée, Henri de son prénom, dresser un état des lieux : les murs en terre sont lézardés ; les lézardes s'accentuent de jour en jour ; les tuyaux de cheminée laissent pénétrer la fumée dans les pièces ; les solives menacent du fait de l'écartement des murs ; les planchers sont en mauvais état ; les planches sont disjointes et on peut tomber à cause des trous ; la charpente est en ruine ; le faîtage a disparu ; les chevrons sont portés par des lattes pourries ; l'eau et l'air rentrent par la couverture délabrée...

Sans grande surprise, Gilée recommande l'évacuation immédiate de ce bâtiment...

Un nouveau plan (et un nouveau devis) est réalisé par l'architecte...Gilée. Celui-ci est né en 1816, à Nantes, et il y décède en 1885. Membre de la commission départementale des bâtiments civils, il fut l'architecte de nombreux bâtiments religieux dans la région et était fils...d'architecte (Louis).

Le projet Gilée fut accepté par la commission départementale des bâtiments civils le 26 février 1864.

S'en suivit un cahier des charges débouchant sur une adjudication des travaux qui se tint le 30 mars 1864 : sept soumissions ayant été déposées, ce fut celle de l'entrepreneur de Pipriac André-Marie Bouche qui fut retenue. Ce dernier s'engage alors à réaliser les travaux en un an, avec un rabais de sept et demi pour cent.

On ne peut pas dire que cette construction fut sans difficulté. 

Bien sûr, il y eut la pose grandiose de la première pierre que j'ai un peu narrée lors de l'article de 2013, en me trompant d'ailleurs sur l'évêque qui y présida. En effet, celui de Nantes étant malade, il ne put se déplacer et fila le mistigri à un collègue, l'évêque de Vincennes, Mgr de la Hailandière.

Ce brave homme arriva à Guémené par le Bout des Ponts, venant de Guénouvry où il y avait confirmé quelques enfants. Débouchant au carrefour des routes de Plessé, Guénouvry et Blain, une délégation l'attendait, formée du curé et de ses vicaires, du maire, du juge de paix, des membres du conseil municipal et de quelques ratons-laveurs.

La population s'était agglutinée sur le pont sur le Don et sur la passerelle qui enjambe cette rivière parallèlement, ainsi qu'au carrefour des trois routes. Monseigneur étant grand seigneur, il daigna accorder sa bénédiction à ces braves gens pieusement agenouillés en travers de la chaussée.

Monseigneur étant aussi un peu pyromane, il ne se fit pas prier pour allumer un feu de joie : la foule enthousiaste se mit à vociférer des "Vive Monseigneur !", à éructer des "Vive Pie IX !", à beugler des "Vive la Religion !" que l'écho s'empressa d'épandre sur les contrées alentour. Une bonne flambée : voilà comment on devrait de nos jours ranimer la flamme vacillante de la foi...!

En principe, il reste un témoignage visible de cette fiesta : la première pierre fut en effet placée dans un contrefort de la façade nord et elle porte gravée une croix ainsi que la date de la cérémonie (7 juin 1864). Il faudra que je vérifie à l'occasion.

C'est ensuite que les choses se gâtèrent un peu. Bouche, l'entrepreneur, commença par ne pas tenir ses engagements et mit très peu d'ouvriers à disposition du chantier. Une bagarre s'engagea avec le maire, le curé, l'architecte,... Finalement les travaux avancèrent à l'automne 1864. Une embrouille financière vint se greffer là-dessus...Cahin-caha, tout s'arrangea et après quinze mois de chantier, l'édifice fut habité par ses saints locataires.

Le presbytère est construit dans un style néo-gothique bien dans le goût de cette époque.

Il comprend un soubassement sous toute l'étendue du bâtiment, avec caves et magasins ; un rez-de-chaussée avec deux vestibules (un côté cour et un côté jardin), une cuisine, un office, un parloir, une salle à manger et un salon ; un premier étage composé de cinq chambres dont quatre disposant d'un cabinet de toilette (finalement !) et une disposant d'un cabinet de travail ; un second étage avec quatre chambres, quatre greniers et des lieux d'aisance.

Il dispose d'un vaste jardin clos qu'on peut voir encore de nos jours. Il faut savoir qu'une loi de 1802 imposait aux communes non seulement de mettre à disposition des prêtres un logement, mais également un jardin.

Ci-dessous, pour terminer, des plans, dont celui (en premier), assez difficile à lire mais tout à fait intéressant, de l'ancien presbytère.





















dimanche 1 février 2015

Les missionnaires prennent position


Pour cet article, j'ai puisé largement au mémoire de Maîtrise de Marie-Pierre Guérin consacré à la paroisse de Guémené au XIXè et au début du XXè siècle.

Pour l'Eglise en général, et celle du Diocèse de Nantes en particulier, cette période est d'abord une période de restauration après la tourmente révolutionnaire qui chamboula son empire, puis une période de combat, quand la laïcisation de la société se propage, de part et d'autre de 1900.

Pour ranimer le zèle chancelant des fidèles, les prêtres disposent de divers outils : les jubilés (où l'on gagne des remises de peine, les indulgences), les retraites et enfin les missions. 

Ces événements sont comme de vastes souffles destinés à raviver les braises d'une foi incertaine : ils durent plusieurs semaines et ils sont l'occasion de voir tomber sur la paroisse une nuée de sauterelles ensoutanées qui, pendant tout ce temps, confessent, exhortent  et communient à tour de bras.

Ces prêtres sont des missionnaires extérieurs à la paroisse qu'il faut bien loger quelque part. L'état de délabrement du vieux presbytère de Guémené ne permit pas, pendant longtemps, de les accueillir : la paroisse fut donc sevrée du bonheur de leur action jusqu'à la construction du nouveau presbytère, celui qu'on peut encore voir aujourd'hui et dont j'ai déjà parlé.

Mais dès que le curé Querrion (qui en fut le promoteur) eut l'assurance que le nouveau presbytère serait terminé en 1865, il sollicita une mission auprès de son évêque, laquelle s'ouvrit le 31 décembre 1865, soit trois mois après que les desservants de la paroisse de Guémené eussent pendu la crémaillère à leur nouveau logis. 

Mais qui sont donc ces missionnaires ? Ceux de l'Immaculée Conception se taillèrent la part du lion, prêchant toutes les missions données dans la paroisse de Guémené depuis 1865, à l'exception de celle de 1892 prêchée, allez savoir pourquoi, par les Rédemptoristes

La durée des missions varie : avant 1830, elle est de cinq à sept semaines. En 1862, après discussions sur la question de savoir si la mission doit durer quinze jours ou un mois, les Pères de l'Immaculée Conception optent finalement pour deux semaines.

Il ne fait pas croire que ces discussions furent pour du beurre : la position du missionnaire est fatigante et, comme le dit ma source, "les longues missions fatiguent les missionnaires même les plus robustes". Il faut comprendre...

Et puis, on doit quand même bien admettre qu'il faudrait "une population exceptionnelle et insatiable de la parole de Dieu pour suivre avec un empressement soutenu les exercices pendant un mois". Bref, comme les plus courtes sont les meilleures, après 1865 les missions sont toutes de quinze jours sauf celle de 1892 (où on en prit pour vingt-et-un jours).

Ces affaires là sont programmées entre octobre et avril, quand les agriculteurs sont moins accaparés par les travaux des champs. Pour autant, les obstacles de la mauvaise saison, tels que pluie, inondations, tempêtes, froid intense avec neige et verglas, ne rebutent pas les fidèles. Ceux-ci n'hésitent donc pas à parcourir des kilomètres par mauvais temps pour venir aux exercices, se précipiter dans les confessionnaux et participer avec ardeur aux décorations.

Le but des missionnaires est de stimuler le zèle des fidèles par le rappel des principaux dogmes chrétiens, obtenir d'eux une pratique moins routinière, plus régulière et plus active, les inciter à la confession et à la communion. Ils combattent l'impiété, l'indifférence, la tiédeur. En gros : une remise à niveau du logiciel catholique et romain dans la tête des braves gens.

Mais il faut faire attention à éviter les erreurs psychologiques : avant de commencer leur tintouin, les missionnaires s'inquiètent auprès du clergé local de la mentalité des fidèles pour adapter les thèmes de prédications de manière à les rendre plus percutants.

Toutefois, on n'est pas à l'abri de réactions défavorables au sein d'une fraction de la population. Ainsi, en 1835, quelques adversaires de la mission plantèrent un drapeau tricolore sur le clocher (de l'ancienne église, actuelle Place Simon). Pour la retraite de 1847 le curé signale "des récalcitrants mais en petit nombre"

Pire, lors du jubilé de 1881, est organisée "une contre manifestation non avouée mais évidente... : à l'occasion du comice agricole, on affecta de faire venir de bruyants saltimbanques dont la tenue était fort mauvaise ; un banquet fut organisé, auquel on invita le préfet Herbette, René Brie, Waldeck Rousseau, gambettiste enragé, député de Rennes : politique bavarde et hostile, le soir, illumination des édifices publics..."


Mais heureusement : "Le lendemain les exercices du jubilé reprirent dans le plus grand recueillement et les saltimbanques eurent beau battre le rappel, pas une personne n'en détourna la tête".

Mais en quoi, au juste, consiste donc une mission ?

Les journées missionnaires se déroulent habituellement ainsi : messe et instruction tous les jours le matin à huit heures. Les exercices du soir commencent à six heures trente. De plus,  la confession constitue un temps fort de toute mission. 

Les missionnaires sont aidés par le clergé local mais également par des prêtres venus des alentours offrant leur concours pour les confessions. La mission de 1865 compte, par exemple, dix-sept confesseurs, de quoi récurer à fond les âmes noires des paysans.

Sinon, les principaux exercices comportent une prière pour les morts avec procession au cimetière (comme au premier jour de la mission de 1911), l'amende honorable (regret des fautes commises), le renouvellement des sacrements solennels.

Il peut y avoir parfois des plats spéciaux à se mettre sous la dent.

Par exemple, la consécration de la paroisse à Marie, le 18 novembre 1911. Pour ce jour exceptionnel, les paroissiens ont eu à coeur de dresser de nombreuses décorations : "sur l'autel était placée une statue de la Saint Vierge entourée de petits verres donnant la forme d'une grotte cadrant bien avec le style ogival de l'église. 

Et de toute part au milieu de la verdure et des fleurs émergeaient les candélabres chargés de nombreuses bougies offertes par les paroissiens. 

Toutes ces lumières resplendirent le soir quand la cloche appela la foule pour la consécration de la paroisse à la Très Sainte Vierge et pour l'offrande des couronnes. Les petits étaient à la fête".

Ou encore, une mission spécialement réservée aux enfants peut avoir lieu quelques jours auparavant l'ouverture de la grande mission : c'est le cas en 1901 (700 enfants y participent) et en 1911 (540 enfants de six à douze ans).

Pour cette dernière mission, dès le lundi 13 novembre, 380 communiants "donnèrent l'exemple et l'élan au reste de la paroisse". Et on en profite alors pour se servir des enfants pour faire pression sur les parents : les enfants "acceptèrent d'être porteurs d'une lettre écrite en leur nom" qu'ils doivent lire devant leur famille. Du coup, beaucoup d'adultes étaient présents aux exercices du soir.

Les thèmes chers aux prédicateurs sont bien sûr la conversion, la mort et le jugement dernier, l'Enfer mais ils dénoncent 
également les abus ou parlent de la conjoncture présente notamment en 1911 où ils traitent de l'éducation chrétienne et réfutent l'objection selon laquelle la religion a fait son temps.

La mission se termine en apothéose le dimanche : dans la matinée, a lieu une messe de communion générale à laquelle participe bon nombre de fidèles et notamment des hommes. 


Le temps de grâce que représente ces descentes de curés sur la paroisse est souvent immortalisé par la plantation d'une croix ou quelque autre manifestation remarquable. 

Pour la retraite de 1847, "la plantation d'une croix a clos les Saints Exercices"

Un vitrail fut placé dans l'église huit jours avant l'ouverture de la mission 1892 dédiée au Sacré-Cœur. Pour cette mission la plantation d'un calvaire eu lieu route de Derval. 



























En 1901, "Vingt-huit anciens marguilliers s'étaient présentés pour porter le brancard sur lequel reposait le Christ souvenir de la mission qui devait être placé en face de la chaire et qu'offrait M. le comte du Halgouët. 

Pendant une heure trente, la procession se déroula à travers le bourg magnifiquement décoré et le cri de Vive Jésus, vive la Croix répété par plus de quatre mille personnes mettait un frisson à l'âme des plus indifférents. 

Une fois rentrée dans l'église la Croix fut mise en place. Le Père Ménard fit pousser les acclamations à la Croix et à Jésus, et, les larmes aux yeux, fit ses adieux à cette chrétienne population et au clergé."

Le témoignage visible dans le paysage de la mission 1911 est la plantation d'un calvaire derrière l'église. Ce fut un grand moment.


Le soir, à sept heures et demi, "la mission était clôturée par une plantation de Croix près de l'école des garçons [Saint-Michel] sur un terrain appartenant à M. de Boisfleury et dépendant de la ferme des Porteaux. M. de Boisfleury donnait avec le terrain la croix magnifique mesurant 7 mètres 60. Le Christ était un don du docteur Benoist, enfin le socle de pierre était payé par la toujours humble Anne-Marie Hamel." 

En moins d'un quart d'heure le Christ fut fixé à son calvaire. La bénédiction du monument fut faite par le vicaire général l'abbé Loyer, ancien vicaire de Guémené.


On ne présente plus le Docteur Benoist dont j'ai beaucoup parlé sur ce blog, et dont on ne peut s'étonner qu'il investisse dans une anatomie. Quant à la dame Hamel à laquelle il est fait allusion, née en 1860, elle était petite-fille, fille, sœur et tante de boulangers de Guémené dont la lignée exerçait encore au Bourg, dans les années 1930.



















Puis une cérémonie d'adieu a lieu à l'église "beaucoup trop petite pour contenir tous les fidèles". Le Père Maindron intervient une dernière fois pour encourager sans doute les fidèles à demeurer fermes dans leur résolution.

Hélas, son sermon de trois quarts d'heure "parut un peu excessif malgré la bonne volonté de tous", selon le curé Arbeille. Ceci montre qu'il ne faut pas abuser des bonnes choses...

Et comme quoi, décidément, la prise de position du missionnaire est fatigante pour tout le monde.