Rechercher dans ce blog

samedi 29 mars 2014

Vieux moulins de Camargois


Le printemps invite à la découverte. Je suis donc parti à la recherche de vestiges gallo-romains signalés dans la banlieue toute proche de Guémené, précisément sur le flanc sud d'une colline d'Avessac située juste à la sortie de la commune, en allant sur Redon.

Le site a été fouillé il y a quelques années par une équipes d'archéologues qui en ont laissé une description intéressante : un vaste ensemble de bains et donc la trace de l'existence en ces lieux d'une grande villa patricienne il y a près de deux mille ans.

Mais je n'ai pas trouvé l'endroit même si derrière un champ de colza, un bosquet clairsemé aux arbres à moitié calcinés abritait de nombreuses pierres : la végétation a probablement recouvert le site (qui n'est pas fléché, au demeurant). Je me suis donc contenté d'admirer les moulins qui couronnent cette éminence baignée de la lumière incertaine du printemps.

Je ne souhaite pas évoquer particulièrement la tour crénelée qui semble faite de ciment et qui trône au milieux des bâtiments de la carrière qui se trouve en bord de route. Si ce fut jamais un moulin, sa "restauration" la définitivement défiguré (et pourtant, c'en fut un, au pied évasé...).

La route étroite gravit la colline et bientôt on oublie cet endroit au profit de la campagne et de ses grandes étendues vertes et jaunes.

Au bout de la montée, dans un petit enclos arboré au milieu des champs, se dresse un grand escogriffe de moulin tout à fait comme on les aime : haut, avec un renflement au-dessus d'une première couronne de maçonnerie (type "à petit pied breton" ?). Certes, il a perdu une partie de ses ailes, mais il a conservé une des "arêtes" (verge) et il suffit de peu d'imagination pour le voir tourner.

Ci-après des photos, dont l'arbre-moteur qu'entraînaient les pales.








J'ai poursuivi mon chemin vers un petit bois de pins juste après, toujours à la recherche des vestiges gallo-romains. La route tourne à droite et dépasse le bosquet pour retrouver la campagne ouverte.

J'ai pris quelques photos de l'endroit où se trouvait à peu près la villa gallo-romaine et les thermes qui en forment, en principe, l'ultime témoignage.





Et puis, bredouille, j'ai refait le chemin à l'envers, vers le petit bois de pins.

Perdu dans la végétation sur la gauche, pratiquement à l'endroit où la petite route va faire un coude et à proximité finalement du moulin précédent, une silhouette trapue apparaît.

C'est un autre moulin, abandonné et comme resté dans "son jus". Je me suis aventuré dans le sous-bois et en ai rapporté les photos ci-après. 

Les ailes sont orientées à l'ouest, comme il se doit. Leurs "arêtes" sont intactes, avec la plupart de leurs barreaux.

De ce côté-là, on distingue une petite meurtrière et une fenêtre étroite, en hauteur, perdues dans le lierre.













On voit sur le premier cliché suivant que les deux moulins de Camargois sont bien proches.



Quand on fait le tour de l'édifice vers l'est, on tombe sur une porte étroite surmontée d'un linteau de bois et munie d'un heurtoir. Ainsi se vérifie bien le principe selon lequel la porte d'un moulin - si elle est unique - est située à l'opposé des vents dominants.

Ici et là dans le mur, se trouve de petites cavités barrées d'une pierre ou d'un petit rondin : probablement le dispositif qui permettait d'attacher un animal ; cheval, bœuf ou âne.

















La visite terminée, le chemin m'a ramené à la carrière de pierres où j'ai repris la route de Redon à Guémené. J'ai ensuite passé l'Epinay où ma mère est née, j'ai filé sur le bourg et suis retourné à la Hyonnais. 

Je décrirai quand même un autre jour les thermes gallo-romains de la villa de Camargois, pour lesquels il existe une documentation.

dimanche 23 mars 2014

Francis Mercier, maire de Beslé en 1908


Le 3 mai 1908 eurent lieu, en France, des élections municipales, comme aujourd'hui, cent-six ans plus tard.

A Paris, des suffragettes, s'inspirant des méthodes du mouvement féministe britannique correspondant, manifestèrent pour l'obtention du droit de vote : bousculades, carreau cassé...


Rien de tout cela à Guémené, rien de tout cela à Beslé ou à Guénouvry, bien heureusement : nos dames préfèraient la messe.

Adolphe Simon, dernier stade et stade avancé de la dynastie Simon qui préemptait la politique municipale guémenoise depuis plus d'un siècle, avait encore dix ans de règne devant lui. Il n'avait pas d'enfants pour lui succéder : il laissa donc comme souvenir de son passage (et peut-être pour faire oublier qu'un siècle de "simonisme municipal" c'est bien long), l'horloge de la Mairie.

Mais en 1908, comme aujourd'hui, il convenait de désigner un adjoint pour les sections communales de Beslé et Guénouvry.

A Beslé, l'heureux élu se nommait Francis Mercier. A vrai dire François-Marie, plutôt que Francis, mais cela ne fait rien.

Ce Mercier était un tailleur d'habit, comme son papa Mercier. Il était né en 1872 à Beslé. Maman Mercier était marchande.

Ce brave Francis avait épousé en 1899 une jeune fille de Brain, non loin de Beslé donc (pour ainsi dire juste le pont sur la Vilaine à traverser, ou presque), Anna Gilais, qui était la fille du boulanger local.

Ayant pétri et taillé quelques temps ensemble, il eurent une fille, Anna, en 1901. Tout ce beau monde demeurait au bourg de Beslé.

On ne sait cependant quelles inimitiés valurent au brave Mercier de ne recueillir que 18 des 22 suffrages de ses collègues conseillers lors de son élection de 1908...On ne sait non plus s'il fit du bien à sa circonscription, la chronique ne le dit pas. Et il n'y a pas de souvenir.

Il s'éteignit le 29 juin 1933, laissant à sa veuve des "biens meubles et immeubles". C'est déjà ça.

samedi 15 mars 2014

Virginie Collette


Les bonbons sont comme les gouttes de résine qui recouvrent des objets ou des insectes, et qu'elles préservent à jamais : ils fixent durablement les souvenirs des enfants.

Je ne sais pas si je me souviendrais aussi nettement de Julien Daniel sans cela. Ce n'est pas tant son magasin au nom plein d'exotisme ("les Docks de l'Ouest") à l'angle de la rue de l'Eglise qui reste dans ma mémoire que ses tournées dans la campagne jusque chez nous.

L'arrivée de sa camionnette-épicerie dans notre village de la Hyonnais était un petit événement. Je serais bien en peine de dire quel modèle ce pouvait être (peut-être un fourgon Citroën type H ?), mais ce n'était pas là l'essentiel.

Le service se faisait par derrière : une porte se relevait à mi-hauteur et une sorte de comptoir apparaissait : une planche de contreplaqué posée en travers du véhicule. Les parois intérieures de la fourgonnette étaient tapissées d'étagères où se trouvaient les produits.

Dans cet espace s'encadrait la grosse carcasse singulière de Julien Daniel. J'en garde le souvenir d'un homme peu souriant, aux joues couperosées et à la voix traînante et grave. J'étais frappé par son accoutrement : sa salopette marron impeccable, sa casquette, ses lunettes. Il m'évoquait mon père - en moins marrant - ou peut-être Léon Zitrone qu'on voyait à la télé le dimanche (un modèle Arphone !), à Paris.

Nous, les enfants, accourions dès qu'il se présentait : le comptoir nous arrivait au niveau des yeux et au-dessus l'épicier nous dominait de toute sa hauteur et de celle du véhicule. Ce géant peu aimable allait prendre, avec ses gros doigts, un bonbon dans un sachet - et nous le donner. C'était un rite.

Une fois de plus, Guémené était magique : ce n'était pas à Paris que j'aurais vu un marchand venir à la maison, ni même me régaler de sucreries.

Satisfaits, nous repartions jouer dans les champs, tandis que nos parents, Grand-mère Gustine, sortaient tranquillement des maisons, porte-monnaie et liste des courses en main.

Bientôt la camionnette s'éloignait vers d'autres "écarts", sous le soleil, dans la poussière de l'été.

Ces souvenirs datent des années 60. Mais ceux qui suivent datent d'une génération d'avant, de celle de ma mère jeune, à Guémené dans les années 20 et 30, quand elle traversait le bourg pour revenir de l'école Sainte-Marie là-bas sur la route du Grand-Fougeray, pour regagner son village de l'Epinay, quatre kilomètres plus loin, ou bien le dimanche, quand elle sortait de la messe.

Dans les deux cas, elle pouvait passer devant la petite boutique de l'épicière qui jouxtait le ferblantier Ménard dans la rue de l'Eglise, non loin de la ruelle qui mène à la rue de Mirette et même du magasin qu'exploiterait plus tard julien Daniel, et s'extasier devant sa vitrine exiguë où l'on avait disposé des rouleaux de réglisse à faire rêver.




Car en ces temps de pauvreté, comment se payer ces sucreries à deux sous ? Même quand à l'Epinay on souhaitait au voisin, le Père Philippe (prononcer : "Flip"), sa fête ou la bonne année et qu'on récupérait un gros sous, on s'empressait de le donner aux parents.

Il y avait donc un endroit à faire rêver les enfants pauvres dans le Bourg, en ce temps-là : il s'agissait de l'échoppe tenue par Virginie Collet, que les enfants appelait la Collette.

C'était une bien brave femme déjà un peu âgée et coiffée en chignon.

Fille d'un journalier, Virginie Piton était née en 1864 (il y a un siècle et demi !) à Thourie à quelques kilomètres à l'est de Bain-de-Bretagne. C'est de cette dernière bourgade qu'était d'ailleurs originaire son mari, Julien-Marie Collet.

On les trouve tous deux comme domestiques au château de Juzet en 1896. Ils se marièrent cette année-là, fin septembre, à Guémené.

De cette union naquit trois enfants : Yvonne, en 1898 ; Julien, en 1900, et Virginie, en 1905. C'est sans doute entre 1896 et 1898 que les Collet s'installèrent rue de l'Eglise et que s'ouvrit la minuscule épicerie.

Le mari garda son emploi de "garçon de chambre" au château de Juzet jusqu'à sa mort en 1922. Les filles Yvonne et Virginie ne poussèrent pas leurs existences bien loin : Yvonne mourut en effet en 1917 et Virginie en 1934.

Le fils Julien paraît avoir survécu à la Mère Collette qui s'éteignit le 11 avril 1939 en son logis du bourg, à l'âge de 72 ans.

A l'époque de cette mort, ma mère avait quitté Guémené, et même Nantes, pour tenter sa chance à Paris, nourrie des rêves d'une réussite (passer le concours des Postes...) bien éloignée des rêves de bonbons.

Aujourd'hui, dans la dixième décennie de sa vie, elle a sans doute oublié le concours des Postes sans regret : mais pas tout à fait les bonbons de la mère Collette, à la devanture de la petite épicerie de la rue de l'Eglise.

Honneur à Maxime Amossé qui gardait la Paix


Encore un enfant de Guémené mort pour la France. A ma connaissance, rien, à Guémené, ne commémore cet héroïque événement : Maxime Honoré Amossé expira aux beaux jours de la Libération, en exil à Nantes où il était parti gagné sa vie.

Et on sait que partir c'est déjà mourir un peu ; alors mourir, vous pensez bien, c'est mourir beaucoup.

Ceux qui eut la chance de mourir pour la France pourraient échapper à cette fatalité de l'oubli. Mais certains héros infortunés, tel Maxime Honoré, ont hélas échoué à cette session de rattrapage du Néant.

Je ne sais pas où il naquit précisément à Guémené, ce 22 janvier 1895. Peut-être à la Bourdonnière, ce petit hameau à la sortie du Bourg, à deux trois kilomètres à gauche en allant sur Redon, juste avant le village du Pigeon Blanc. En tout cas c'est à cet endroit qu'on le retrouve avec sa famille à partir de 1901.

De la même génération que ma grand-mère, il est le fils d'un journalier, Jean-Marie Amossé, et de Marie-Ange Chenaud, lesquels se sont mariés à Guémené le 18 novembre 1894. Il sera l'aîné d'une assez vaste fratrie composée de trois sœurs et de deux frères.

Jeune adulte, c'était un petit bonhomme d'un mètre soixante aux cheveux châtains, aux yeux marrons et présentant un visage long.

Maxime Honoré Amossé disposait d'un niveau d'instruction primaire, peut-être un peu meilleur que la moyenne de sa génération.

A vingt ans on le présente comme "roulier" (voiturier, transporteur), mais c'est sous l'uniforme des forces de l'ordre, qu'il incorpore en tant que gardien de la paix de la police municipale de Nantes le 25 janvier 1938, qu'il terminera sa carrière, ainsi que son existence.

Son goût juvénile des transports le conduit tout naturellement, entre temps, aux Chemins de Fer de l'Etat, juste après la Grande Guerre, dont la grandeur efface la petitesse de toutes les autres, cela va de soi.

Sa vocation naturelle de héros, prêt à verser son sang rural pour la Patrie en danger, trouva à s'exprimer à partir de septembre 1915. Chasseur à pied, il gravit alors allègrement les premiers échelons de la hiérarchie militaire : caporal en juillet 1917, sergent en mars 1919.


C'est d'ailleurs au pied droit que ce chasseur piéton, probablement émérite, reçut une balle qui provoqua une "plaie en séton" . On demeure perplexe face à un tel prodige. Pensez : le projectile passa sous la peau sans pénétrer de muscle... Enfin, son sang coula, mais par une blessure plutôt superficielle.

Par ailleurs, des courbatures fébriles amenèrent l'Autorité militaire et médicale à l'évacuer en juillet 1917.

Au total, le soldat Maxime Amossé avait bien mérité de la Patrie. Mais la France n'avait pas encore eu sa mort.

Une citation à l'ordre de la Division, en novembre 1917, et une autre à celui du Bataillon, en septembre 1918, furent suivies d'une médaille militaire qu'on lui conféra le 29 décembre 1921, pour ses étrennes, en somme.

Dans l'entre-deux-guerres, il résida à la périphérie de Nantes, route de Saint-Joseph de la Porterie, aux Deux-Tours (ou Deux-Fours, lieu-dit non retrouvé), du côté de l'actuelle ZAC "Erdre-Porterie", où se trouvait le champ de Tir du Bêle, un champ de tir devenu lieu de mémoire.



En effet, ce camp d’entraînement militaire depuis 1879, devenu champ de tir, représente, pendant la Seconde Guerre mondiale, le principal lieu d’exécution des résistants à Nantes. En tout, ce sont plus de 80 personnes qui y seront fusillées.

Tout prêt de là, le gardien de la paix brigadier Maxime Amossé, membre alors de la police d'Etat française, exerça à la Libération la responsabilité du maintien de l'ordre autour du campement militaire abandonné par la troupe allemande. Cette charge lui fut finalement fatale.

Les circonstances sont peu claires. Toutefois, il semble que le brigadier trouva la mort en manipulant une grenade ennemie abandonnée qui lui explosa au nez, le 12 août 1944.

Dans sa grande humanité, le maire de Nantes (est-ce Henry Orrion, décoré de la Francisque et révoqué le 28 août 1944, ou son successeur, Clovis Constant ?) permit l’inhumation du policier d'Etat Maxime Amossé selon la tradition des employés municipaux victimes du devoir, qui sont inhumés dans une concession perpétuelle réservée aux braves.

Un an après ou presque, le 3 août 1944, la mention "mort pour la France" fut ajoutée sur son acte de décès. 

Sans doute le temps de la réflexion.

samedi 8 mars 2014

Le court destin d'Anne-Marie Perrigot et autres


"PERRIGOT Anne Marie, née à Guenouvry (Loire-Inférieure) le 9 avril 1915, 28 ans, célibataire, religieuse, domiciliée à Nantes – rue Deshoulières, décédée le 16 septembre 1943, rue Deshoulières. Morte pour la France."


Anne-Marie Perrigot était la fille de Julien Perrigot et de Marie-Ange Audrain.

Elle était née au village du Verger, dans une grosse ferme dans laquelle travaillaient non seulement sa grand-mère (Anne-Marie Audrain) et ses parents, mais également plusieurs domestiques. Elle avait une sœur aînée, Marie-Bernadette, née en 1912.

Marie-Ange, Anne-Marie, Marie-Bernadette : sans doute une famille pieuse...

Je suis à peu près sûr que son nom ne figure pas sur le monument aux morts de Guénouvry, bien que les archives, dont j'ai reproduit un extrait au début de ce sujet, fassent état de sa mort pour la France.

En tout cas, pour une religieuse, ce fut une mort tombée du ciel : en effet, le 16 septembre 1943, les sirènes de Nantes sonnent leur 321ème alerte.

Peu après, 147 forteresses volantes américaines commencent à bombarder la ville, touchant de nombreux quartiers et bâtiments dont l'Hotel-Dieu.

Il est 15 h 30, Anne-Marie a encore moins d'un quart d'heure à vivre. D'ici là, 1.450 bombes auront atteint le sol nantais dont une, fatale à la religieuse.

Trois autres personnes originaires de Guémené vont trouver la mort ce jour-là à Nantes.

Tous ces morts pour la France reposent au cimetière de La Chauvinière. 

Voici les trois autres :

"COLLIAUX Isidore Marie Raymond, né à Guémené-Penfao (Loire-Inférieure) le 12 février 1906, 37 ans, marié à Yvonne Renée Baptistine MORTIER, marchand de poissons,domicilié à Nantes – 8 rue de l’Emery, décédé le 16 septembre 1943, rue de l’Arche-Sèche. Mort pour la France."

Son père était déjà marchand de poissons et s'était marié à Guénouvry avec une jeune femme de Plessé. Isidore avait reçu une formation de pâtissier. Voici sa photo en militaire :


Et puis il y a encore :

"LETHU Marguerite épouse PERRAIS, née à Guémené-Penfao (Loire-Inférieure) le 14 août 1911, 32 ans, mariée à Louis François Marie PERRAIS, domiciliée à Nantes15 bis quai du Commandant-Charcot, décédée le 16 septembre 1943. Morte pour la France."

Les Lethu était des voisins de l'Epinay au temps où ma mère y vivait, c'est-à-dire dans les années 20 et au début des années 30 du siècle passé.

Travaillant comme bonne à Nantes, ma mère eut l'occasion d'y rencontrer Marguerite Lethu et sa sœur aînée, Yvonne. Elles étaient toutes deux employées aux cuisines de l'Hôtel-Dieu où ma mère était venue rendre visite en 1938, peu de temps avant de partir pour Paris, à Emile Mocquet qui y était hospitalisé.

Beaucoup de malades et de personnels de cet hôpital furent victimes des bombardements alliés de septembre 1943, dont Marguerite Lethu, donc, alors qu'elle préparait avec sa sœur la tambouille du soir. Morte pour la France.

Sa sœur Yvonne n'y laissa qu'une jambe, une jambe pour la France.

Et enfin :

"MAHÉ Armand Jean Marie, né à Guémené-Penfao (Loire-Inférieure) le 12 avril 1897, 46 ans, marié à Alphonsine Célestine Marie BENOIST, graisseur, domicilié à Nantes – 36 rue des Boërs, décédé le 16 septembre 1943, place Alexis-Ricordeau. Mort pour la France."

Armand été né aussi à l'Epinay, comme les filles Lethu et ma mère, de parents cultivateurs (Jean Mahé et Rose Lemoine). Il 'était pas bien grand, à l'instar des jeunes gens de son époque (1 m 64), possédait un petit nez et des yeux marrons. Il n'était guère instruit et à 20 ans il pratiquait le métier de laveur de voiture à Guémené. Evidemment, il avait l'âge d'aller mourir pour la France dès 1915.

Pourtant pas trop regardante, la France lui demanda cependant de rester chez lui pour "faiblesse". Quand même, elle finit par l'incorporer dans l'artillerie en mai 1918. Bien vite cependant, le soldat Mahé est versé dans le service auxiliaire pour "douleurs rhumatismales avec malformation des pieds". Pas pratique en effet pour tirer au canon.

L'Armée le réforma définitivement suite à une fracture du col du fémur laissant un cal volumineux et douloureux. Bref, pas l'étoffe d'un héros, comme on dit. Et pourtant...

Voilà pour la mémoire de ces pauvres gens de Guémené.

dimanche 2 mars 2014

Inauguration ferroviaire


L'histoire se déroule sous le septennat d'Armand Fallières, dit "le Père Fallières", un bon gros bonhomme de président de la République comme on n'en fait plus : un homme populaire et plein d'humour. Il ne sollicita pas de second mandat car, disait-il, "la place n'est pas mauvaise, mais il n'y a pas d'avancement"...



Son mandat débonnaire ne fut pas exempt de difficultés : commencé en 1906, il couvre une période de troubles intérieurs (séquelles de la Séparation de l'Eglise et de l'Etat, agitation sociale) et de périls extérieurs montants.

C'est dans ce contexte que se tient une bien touchante cérémonie à Guémené, le dimanche 3 juillet 1910, à savoir l'inauguration du dernier tronçon de la ligne de chemin de fer qui conduit de Nantes à Rennes, via Blain, Guémené, Beslé, etc...et de sa gare, en bordure de la route de Redon.



La description des festivités ayant accompagné cet événement fait l'objet d'un assez long article dans le journal Ouest-Éclair. Où l'on voit comment la République se célèbre à travers ses réalisations.

L'article débute par une évocation du décor : "...Guémené avait revêtu ses atours des plus beaux jours de fête. Pas une maison, même la plus pauvre, qui n'ait eu son drapeau ou ses lampions."

Le lampion et le drapeau : voilà la République ! Les fêtes d'inspiration cléricale donnent plutôt lieu, pour leur part, à des décorations végétales : arcs de triomphe de verdure, jonchées de fleurs,...

Mais la République aime aussi la musique, et si le clergé chante des cantiques a capella dans les processions, la musique municipale, renforcée pour l'occasion par la fanfare des chemins de fer de l'Etat, inonde les rues de Guémené du son de ses cuivres.

A l'arrivée du train de 7h12 en provenance de Rennes, tout une population se déverse sur le nouveau quai. Il y a déjà la fanfare ferroviaire et son chef, M. Quénet, remarquable par l'uniforme, dans la foule des voyageurs.

Mais cette foule, ce sont surtout des pêcheurs venus participer au concours organisé par la municipalité de Guémené. Venant des localités possédant une gare sur la ligne, on les appelle des "gariers".

On n'est pas sûr de voir le rapport entre la pêche et les chemins de fer (à part la "ligne"....), mais bon...

"Plusieurs commissaires des fêtes, parmi lesquels nous reconnaissons MM. Chollet, Carudel et Durand, étaient venus au devant d'eux". Trois baudruches gonflées de leurs responsabilités. Comme quoi la fête, ça ne rigole pas ! Chollet devait être agent-voyer, Carudel, clerc de notaire et Durand futur maire ou bien adjoint (selon qu'il s'agit du fils ou du père Durand).

Mais bon, le temps passe et on ne peut pas passer le temps qu'à picoler. Sur les 8h30, un des fameux commissaires enregistre les engagements au concours de pêche et fait tirer au sort le numéro des places le long de la rivière.



Environ un quart d'heure plus tard, "tous les pêcheurs, 1’ « arme » sur l'épaule droite, précédés de la musique municipale de Guémené, se rendent sur les bords du Don. Le concours doit durer jusqu'à onze heures." On imagine le défilé, entre la mairie et le pont de la Rondelle...

Le concours fini, on enregistre les prises. Pendant ce temps-là, un nouvel arrivage se produit à la gare : "A 11 heures et demie descendent du train de Nantes, M. Rault, préfet de la Loire-Inférieure, et le sous-préfet de St-Nazaire, M. Blet, accompagnés de MM. Perrier et Machenaud, ingénieurs."

Bref, du lourd. Pour faire face, sur le quai pas moins que le maire, M. Simon, entouré de ses vingt-deux conseillers municipaux, et, tant qu'à faire, les édiles des communes environnantes (qui n'ont pas le train...).

Tassés dans le jardin de la petite gare on trouve les pompiers qui font la haie d'honneur à toutes ces huiles. Soudain, dans un élan patriotique et républicain, les fanfares entonnent la Marseillaise.

Une fois que les carcasses chamarrées eurent vibré au son de l'hymne national, la troupe des officiels gagne la mairie où l'on se présente et congratule avant de se remplir la panse.



Il est midi en effet, le banquet débute dans une salle du bâtiment municipal. Passés quelques plats et lampées, le temps du dessert et des discours est venu. Chacun y va de son couplet.

Le maire de Guémené qui en a bavé pour obtenir sa ligne de chemin de fer, après un long rappel de la longue histoire du projet, "parle des difficultés rencontrées dans le début." Mais conclut en stoïcien que "tout vient à point à qui sait attendre".

M. Pouplard, Auguste, maire de Blain, qui avait probablement le vin triste et nostalgique, "rappelle les liens qui réunissaient autrefois les deux villes et il assure que la nouvelle ligne ne fera que les resserrer". Comme quoi, y avait quand même un peu de mou dans l'amitié intercommunale...

L'ingénieur en chef Perrier, qui ne met en général pas d'eau dans son vin, "parle des transformations que doit subir la ligne", sans qu'on sache vraiment de quoi il retourne.

Le préfet Rault est bien le meilleur. Après avoir salué l'empressement de la municipalité et de la population à fêter l’événement, il conclut en levant son verre "en l'honneur du Président de la République", on ne sait pas pourquoi.

Café et pousse-café : il va falloir songer à se ramasser. "Les musiques accompagnent le préfet et le sous-préfet à la gare, pour le train de 3 h. 30", puis reviennent "en ville donner de nouveaux concerts sur toutes les places" (on se croirait à Paris !).

Pendant que la croisière des officiels s'amuse, le populo se donne du bon temps également. Tout un arsenal de compétitions et de distractions a été prévu à cet effet, outre le concours de pêche : des courses de bicyclettes, un concours de tir à l'école de garçons, un mât de cocagne et un tourniquet (manège) sur la place de l'Eglise. Le tout sous une pluie battante, vengeance du Bon Dieu à qui cette République est hostile.

Bientôt c'est la remise des prix pour les différents concours.

Honneur à la pêche : prix du plus gros poisson, prix du premier pris, prix du plus grand nombre, du plus grand poids, prix "spéciaux" offerts par la Gaule du Don...

Le concours de tir donne lieu de son côté à la remise "d'objets d'art" à quatorze nemrods de foire.

Enfin le concours de bicyclettes fournit aussi son lot de gagnants, qu'il s'agisse des épreuves cantonales, régionales ou...internationales.

Pour ces dernières, l'horizon semble toutefois assez borné, les vainqueurs étant natifs de Fay-de-Bretagne, Nantes ou Lorient, certes ouverts sur le monde,.....

Comme il se doit dans tout bon spectacle, l'article s'achève sur un générique de remerciements : "MM. Carudel, Morineau, Bret et Boussard qui ont su si bien organiser le concours de pêche ; MM. Rafflé, Godefroy, Corudes, qui se sont occupés du bal ; M. Cormerais, qui dirigea le concours de bicyclettes."

J'ajouterais bien : MM. Rault et Blet, préfet et sous-préfet, MM. Simon, Pouplard, maires, les pompiers, la clique municipale, la clique ferroviaire, l'ingénieur Perrier et le Président Fallières, qui furent si décoratifs.

Une mention spéciale pour la quarantaine de bistrots qui ont soutenu l'ardeur de la population de Guémené dans son hommage républicain au chemin de fer.