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mercredi 31 décembre 2014

La longue tristesse d'Alfred Bertot


Alfred Gustave Bertot est né dans le Calvados, le 20 juillet 1863, à Villy-Bocage, petite bourgade à une quinzaine de kilomètres de Caen. 

De son enfance et de ses origines familiales, on ne sait rien (scandaleusement, les archives en ligne du Calvados sont payantes : par principe ou par radinerie - voire les deux -, j'ai renoncé à percer ce mystère). 

Alfred a vingt ans et il "monte" à Paris. Ce jeune homme aux yeux marron clair, aux cheveux bruns, d'une taille plutôt normale pour son époque (1 mètre 67), y restera une petite douzaine d'années où il servira comme domestique. 

Cette période est cependant "mangées" par le service militaire (prévu en principe pour cinq ans, à cette époque !) dont il se sort en septembre 1883, au bout de "seulement" trois ans et dix mois...

Il demeure d'abord au 137 rue de Charonne dans le 11ème arrondissement, puis dans des quartiers riches où sans doute habitaient ses patrons : 6 villa de Longchamp; rue Saint-Didier, 84 avenue Kléber, toutes adresses situées dans le 16ème arrondissement de la capitale.

Il se marie probablement vers 1894. Son épouse est originaire de Guémené, de Beslé et même du village de Méauduc, pour être très précis. Elle s'appelle Anne-Marie Hervé et a quatre ans de plus que lui, mais ce n'est pas grave. Où se sont-ils rencontrés ? Mystère... peut-être à Paris, qui sait...

Ce couple - plus tout jeune - va avoir un enfant, lequel naîtra à Brains-sur-Vilaine, en face de Beslé de l'autre côté du fleuve, le 30 juillet 1895, soit la même année que ma grand-mère Gustine.

Rapidement le petit Gustave Alfred est mis en nourrice à la ferme de la sœur de sa mère (la tante Victoire Hervé), toujours à Brains, au hameau de la Blandinais. Cette tante avait épousé en juillet 1879 Joseph (ou Jean-Marie, on ne sait plus) Morel, un gars de Beslé aussi. Ils ont sept enfants, alors un de plus un de moins...

On retrouve le jeune Gustave en 1911 à Beslé. Il a seize ans et est employé comme ouvrier bourrelier chez Pierre Pesneau.

On peut dire que la vie de ce jeune homme est paradoxale : fils unique, il passe sa vie dans des familles très étendues. Les Pesneau (dont la femme est "débitante") battent en effet les Morel nourriciers : ils ont six enfants mais en plus, leur foyer abrite la sœur du patron, qui fait office de cuisinière, et trois ouvriers bourreliers, dont le fils de notre héros du jour et deux jeunes gens un peu plus âgés que lui. Soit douze personnes...à table, on a frôlé la catastrophe...

A cette date, on ne trouve pas trace des parents de Gustave, Alfred et Anne-Marie,  dans le coin.

Toutefois, ces derniers sont signalés comme habitant Beslé en 1914.

Cette année 1914 est une année de guerre, bien sûr, et de Conseil de révision pour le jeune Bertot. Gustave est un jeune homme comme les autres : plutôt petit (1 mètre 63), cheveux châtains et yeux marrons. Un peu comme papa, en fait.

Apte pour le service, il incorpore le 16 décembre un régiment d'infanterie basé à Brest, le 19ème. Toutefois, fin mai 1915, ce fils de France va rejoindre le 2ème Régiment "bis" de Zouaves.

Ce régiment est alors dans les Flandres belges, dans le secteur de Boesinghe, banlieue au nord d'Ypres. Quand le jeune homme arrive, les troupes du secteur viennent d'essuyer leur première attaque aux gaz (Ypres oblige...).

Toutefois, les débuts guerriers de Gustave restent relativement "paisibles" : quatre mois à Boesinghe puis repos du côté de Dunkerque.


Le 5 novembre 1915, départ en chemin de fer. Les 7 et 9 novembre, embarquement à bord du « Lutétia » et du « Burdigala » deux navires qui rejoignent l'Armée d'Orient. Vogue la galère... Autre chose que la navigation sur la Vilaine...

Débarquement des 3.200 hommes à Salonique, la "Sultane convoitée", et regroupement dans les environs, au camp de Zeitenlick, "terrain désertique, semi-marécageux, bossué, sans un arbre". Bonjour l'Orient et les Mille et unes nuits....

L'hiver arrive, puis le printemps... De février à Mai 1916, le régiment 
défend le secteur du Vardar "sous des pluies battantes et pataugeant dans la boue. Nombreuses sont les atteintes de paludisme, de dysenterie, de gelures de pieds". Pas vraiment des vacances au soleil, quoi.

Puis, le régiment gagne la vallée du Genis-Deré, pour interdire la contrebande et rendre praticables les pistes du coin.

Après un séjour d'un mois à Salonique, le régiment gagne par étape la région nord de Serrès. Il se trouve ainsi stationné à Kavakli lorsque, le 17 août au matin, les Bulgares attaquent.

Le 19 août, le régiment reçoit l’ordre de se porter en avant et d’atteindre la voie ferrée de Serrès. Le 20 août, à 4 heures du matin, il franchit le fleuve, la Strouma, et progresse.

Il règne une chaleur accablante. Face à l'opposition, les unités françaises se replient à nouveau derrière le fleuve. Bref, un coup pour rien.


Quelques jours plus tard, le 2ème Zouaves "bis" rentre à Salonique.


Enfin, moins les manquants.

Le Journal des Marches et Opérations de ce régiment est un modèle du genre : clarté des notes, calligraphie, détails...Je vous y renvoie bien volontiers, sur le site "Mémoires des Hommes", pages 64 et suivantes. 

Le bilan humain de cette remarquable attaque sur la Strouma y est détaillé en longs tableaux : 31 morts, 146 blessés et 143 disparus dont les matricules, noms, prénoms, compagnies et sorts sont scrupuleusement mentionnés par le scribe militaire de service.

Y figure parmi les "disparus" celui de Gustave Bertot, soldat de 2ème classe de la 12ème Compagnie du 2è Zouaves "bis".

Mais sur sa fiche de "Mort pour la France", il est indiqué qu'il a été "tué à l'ennemi", à Orljak, sur la rive droite de la Strouma, le 20 août 1916.

Salonique et Serrès à 90 km au Nord-Est

La Strouma, Serrès, Kavakli, Orljak

Pendant ce temps là, à Beslé au bord de la Vilaine, la vie continue.

La guerre aussi.

Enfin, elle se termine dans la joie et la tristesse, selon. Nul doute que les parents du disparu n'aient longtemps espéré un miracle, et donc le retour du fils unique et tardif à Beslé, fraction de Guémené.

Mais le Tribunal de Saint-Nazaire rend un jugement fin avril 1921 qui clôt l'histoire de Gustave Alfred Bertot. Il est déclaré mort et cela est transcrit sur les registres d'Etat-civil de la commune. Son jeune corps s'est volatilisé dans les Balkans, à jamais et pour pas grand-chose.

Alfred et Anne-Marie Bertot se retrouvent seuls, sans enfant. Il n'y a pas de mot pour désigner cette situation : un enfant est orphelin s'il perd ses parents, un conjoint est veuf s'il perd sa moitié. Mais un parent qui perd un enfant ? C'est l’innommable.

Les jeunes compagnons d'avant-guerre de Gustave, du temps de chez le bourrelier Pesneau, ont échappé au massacre. Ainsi Alexandre Pentecouteau, autre jeune ouvrier de la maisonnée qui n'a été "que" blessé à deux reprises, ou le fils aîné Pesneau, Pierre qui sera bourrelier aussi et pour qui il n'y a rien à dire.

J'ignore quelle était l'occupation du papa de Gustave. Dans les données disponibles d'après-guerre, il apparaît sans profession, tandis que la maman est déclarée "ménagère".

Le 17 mars 1924, Anne-Marie Bertot, née Hervé à Beslé, disparaît à son tour, laissant Alfred Bertot seul face à son chagrin. On suit sa trace encore pendant dix ans, au gré des recensements.


En 1942, un maître verrier nantais Henry Uzureau réalise une oeuvre telle qu'il n'en pas réalisée depuis vingt ans.

Cette oeuvre montre ce qui semble être un évêque avec sa crosse, tenant dans sa main gauche un sacré-coeur. Il est auréolé, c'est donc probablement un saint. Il ne porte pas la mitre épiscopale classique, mais un couvre chef plus ou moins en dôme avec un voile qui descend derrière la tête. La barbe renforce l'idée d'un saint orthodoxe, comme ceux de Salonique ou des rives funestes de la Strouma.

Ce maître verrier avait  été sollicité juste après le premier conflit mondial pour des vitraux commémoratifs : on en trouve dans les églises de Quilly, du Gâvre ou encore d'Herbignac. Leur style est très différent de celui du vitrail de Beslé.

Alfred Bertot a près de 80 ans. Il vient de faire réaliser une oeuvre à la mémoire de son fils unique, Gustave, destinée à l'église de Beslé.

L'énigme de cette figuration rajoute au mystère de la mort de Gustave Bertot ou de celle de son père, Alfred, dont je ne connais pas la date. Et d'ailleurs, celle qui figure sur le vitrail pour la disparition du fils est erronée...

Mais qu'importe. Si vous passez par Beslé et que par hasard l'église en est ouverte, arrêtez-vous un instant pour contempler le vitrail à la mémoire de Gustave Bertot, mort à 21 ans quelque part en Orient et ayez une pensée pour lui et pour la longue tristesse d'Alfred, son père.






lundi 29 décembre 2014

Vitraux et merveilles (8)


Aujourd'hui, on va s'attaquer à du lourd. En effet, il s'agit rien moins que d'évoquer les vitraux de l’extrémité orientale du transept de l'église de Guémené. On y trouve essentiellement une rosace et cinq baies hautes et étroites.

Vu de loin, les compositions qui forment la décoration de cette partie de l'église sont moins chatoyantes que leurs alter ego situés à l'opposé, côté ouest. Le bleu et le rouge semblent y dominer.






Je le dis tout de suite, je ne sais pas à quel atelier cet ouvrage a été confié, ni en quelle année.

En revanche le commanditaire probable est identifiable à sa "signature", à savoir des armoiries que l'on trouve tout à droite et tout à gauche des quatre œils-de-bœuf lobés qui séparent la rosace supérieure des cinq baies inférieures.

Vu la hauteur et la petitesse de ces petits vitraux, mes photos sont médiocres. On y découvrent cependant un blason surmonté de la couronne comtale, comprenant quatre quartiers répétant deux motifs, flanqué de deux lions.

Les quartiers supérieur gauche et inférieur droit sont identifiables aux armes des Potiron de Boisfleury : sur un fond rouge, une aiguière d'argent est inscrite dans une couronne d'or ("de gueule, à l'aiguière d'argent dans une vire d'or"). Encore que le fond rouge paraisse surprenant : on s'attendrait plutôt à du bleu...

Mais au total, difficile quand même de dire de quels commanditaires précisément il s'agit.




Ces vitraux semblent dédiés à l’Évangile. Les cinq baies inférieures représentent en effet les étapes essentielles de la saga de Jésus.

Chacun des cinq grands vitraux  sous la rosace comprend trois scènes de la vie de Jésus - essentiellement - mais la chronologie veut qu'on les lise ligne à ligne, horizontalement (de la première scène en haut du vitrail de gauche jusqu'à la première scène en haut du vitrail de droite ; puis de la seconde scène, au milieu du vitrail de gauche jusqu'à la dernière scène à même hauteur du vitrail de droite ; et ainsi de suite).

En tout donc, quinze scènes du Nouveau testament :

1 - L'Annonce faite à Marie : dans une loggia à carreaux blancs et noirs, un ange sur un nuage, de mauve vêtu, remet un lys à Marie. Celle-ci le reçoit agenouillée, enveloppée d'un manteau bleu, tandis que la colombe du Saint-Esprit lui envoie ses rayons sur la tête.



2 - Episode non identifié : Joseph, portant une cape rouge et tenant une sorte de chapeau de paille à la main ainsi qu'un bâton de pâtre, et Marie font leurs adieux à Saint-Anne (?). C'est la nuit, on distingue de la végétation à l'arrière plan à gauche et un palmier à droite.



3 - La Nativité : dans une hutte couverte de branchages feuillus, deux bergers se recueillent face au bébé Jésus, langé de blanc et couché sur de la paille posée sur un tréteau. Joseph et Marie le leur présentent. Au pied du "berceau", un agneau aux pattes liées gît. L'un des berger porte une tunique bleue tandis que l'autre a un manteau marron et des chausses rouges.



4 - La présentation au Temple : les parents de Jésus se tiennent en position inférieure par rapport au personnage central qui doit être Siméon le Sage. Un autre personnage en chasuble verte en retrait de Siméon ne m'est pas connu (en principe, l'autre personnage de cet épisode est Anne, une prophétesse : mais elle n'avait probablement pas de barbe, contrairement au bonhomme en vert évoqué). Conformément aux rites, les parents de Jésus ont apporté en sacrifice deux colombes qui sont dans une cage près de Joseph, sur laquelle celui-ci pose la main.



5 - Jésus discute avec les docteurs au Temple : Jésus est un enfant de douze ans chevelu et glabre : il se tient entre deux autres personnages, un livre à la main, en robe blanche et manteau rouge, assis sur un trône de pierre posé sur un carrelage blanc et noir dans une pièce à colonnettes. Les deux docteurs, chauves et barbus, ont également un livre, plus gros d'ailleurs, et semblent écouter le jeune orateur à la main levée.



6 - Au jardin de Gethsémani : nous sommes après la dernière cène. Dans ce jardin au pied du Mont des Oliviers, Jésus est angoissé. Un ange tenant un calice à la main et vêtu de mauve vient le rasséréner. Au fond, on aperçoit trois disciples qui dorment.



7 - La Flagellation : attaché à une colonne dans un espace délimité au fond par un muret, Jésus semble supporter stoïquement les coups que lui assènent avec vigueur deux soldats barbus et moustachus dont l'un porte un casque.



8 - Le Couronnement d'épines : résigné, Jésus subit les insultes et la dérision des soldats dans le prétoire. Un des soldats lui tresse une couronne d'épines avec une sorte de tenaille tandis que l'autre paraît continuer de le frapper. Une sceptre de roseau a été glissé entre les mains liées de la victime revêtue d'un manteau de pourpre.



9 - Le chemin de croix : Jésus est tombé à genou sous le poids de sa croix qu'un passant barbu et chauve, en tunique bleu sombre, Simon de Cyrène, l'aide à porter. Un personnage arborant une longue tunique verte et des chausses bleues, portant l'épée, tire l'attelage avec une corde. Une femme auréolée en manteau bleu, Marie ? - accompagne le funeste cortège.



10 - La crucifixion : on ne voit que Jésus crucifié, mort, le corps livide, la tête penchée sur l'épaule. On distingue les clous et la plaie au côté. Deux femmes sont présentes : Marie sa mère, à gauche et toujours en manteau bleu ; et peut-être Marie-Magdeleine, de l'autre côté, mains jointes et en manteau pourpre.



11 - La Résurrection : Jésus est descendu aux enfers et en revient bouleversé. D'où ce regard perdu dans le lointain, ce visage livide. Il sort du tombeau n'ayant sur lui que son manteau rouge, et il tient un étendard blanc dans la main gauche ( la droite est levée vers le ciel). Trois soldats gardiens du tombeau sont épouvantés et s'enfuient.



12 - L'Ascension : Jésus s'envole au ciel devant deux disciples. Il semble porté par des nuages blancs. On a l'impression de voir deux empreintes de pied dans le sol...



13 - La mort de Marie (?) : une femme en manteau vert est surmontée de la colombe du Saint-Esprit. Elle est agenouillée au bord d'un tombeau, entouré de six disciples de Jésus. Certains prient les mains jointes.



14 - L'Assomption de Marie : la mère de Jésus sort par le haut de son tombeau rempli de rose, reposant ses pieds sur un nuage blanc qui ressemble à un coussin, que tiennent par en dessous quatre anges.



15 - Le Couronnement de la Vierge : Marie, toujours vêtue de son manteau bleu, le visage juvénile, est agenouillée sur un nuage (nous sommes au Ciel...). Un peu au-dessus d'elle sur les côtés, se trouvent Dieu le Père et son fils qui lui posent une couronne à fleurons et perles blanches sur la tête, sous les auspices bienveillants du Saint-Esprit (la colombe au dessus de tout le monde). Dieu le Père tient dans la main droite un globe tandis que Jésus tient sa croix de son bras gauche.




Vous vous souvenez qu'il y a quatre oculus lobés entre les vitraux qu'on vient de regarder et la grande rosace.

Il s'agit d'anges annonciateurs. En effet, les représentations montrent quatre personnages auréolés et munis d'une paire d'ailes tenant des phylactères, ces petites bandelettes ondulantes qui portent en général la parole.

Je ne sais pas pourquoi, j'ai oublié d'en photographié un.






La rosace n'est narrativement pas très intéressante. Elle est composée principalement de vitraux ornementaux. Seuls onze pièces, des oculus à cinq lobes, figurent des personnages. Pour la plupart, ces derniers sont des anges musiciens. Toutefois, le plus élevé d'entre eux, en tunique rouge, ne joue pas d'un instrument de musique mais présente un chapelet. En voici une moitié :










Pour finir avec ce coin de l'église, voici un petit complément concernant les vitraux non figuratifs qui sont au-dessus de la porte latérale qui donne dans l'église à l'est.

Je n'ai pas non plus identifié l'atelier qui a réalisé ces oeuvres comportant deux baies allongées couronnées d'un oeil-de-boeuf lobé.

En revanche on sait (parce que c'est mentionné) que le commanditaire et donateur en fut le curé de Guémené. Il s'agit probablement du curé Revert, promoteur de l'église qui mourut en 1898, ou de son successeur, Alexandre Arbeille, curé de choc engagé dans la lutte en réaction à la laïcisation dont j'ai, à plusieurs reprises déjà, évoqué l'oeuvre et la personnalité.






Ainsi s'achève ce voyage vitrailliste du jour.

La suite à un prochain numéro.

dimanche 28 décembre 2014

Vitraux et merveilles (7)


Il ne faut pas laisser un travail inachevé : il est temps de reprendre l'étude des vitraux de l'église de Guémené.

Ce qui en a été écrit jusqu'à présent (à savoir les six articles précédents datant de 2013) ne couvre qu'une partie, à peine la moitié, de ce qu'il conviendrait d'évoquer dans le cadre d'une démarche exhaustive. Je me suis arrêté en fait quand j'ai buté sur ma capacité de connaître et le commanditaire et l'auteur des oeuvres, ou sur la difficulté de photographier pas trop mal l'objet de ma préoccupation.

Mais bon, la recherche progresse, et puis il n'est pas nécessaire de tout savoir pour commencer de parler...

Le sujet de reprise de la série sera la paire de vitraux qui surplombent, dans la partie est du transept, la chapelle de la Vierge.

Il s'agit d'un "ex voto", comme cela est clairement indiqué au bas du vitrail de gauche. Une date, octobre 1882, est mentionnée symétriquement, sur le vitrail de droite. Comme chacun sait, un "ex voto" est proposé soit comme démarche propitiatoire d'un événement souhaité permettant de conjurer quelque drame, soit en remerciement de la réalisation de ce vœu.

La première pierre de l'église actuelle de Guémené ayant été posée le 21 septembre 1884 (la première messe étant célébrée le 4 juillet 1886), il est impossible que cette composition ait été réalisée à la période indiquée. Il faut y voir par conséquent un "ex voto" de remerciement, d'un événement heureux survenu en octobre 1882 concernant les commanditaires de ces vitraux. Quelle circonstance ? Seule la famille pourrait répondre.

La famille justement. Les deux vitraux fournissent en leur partie inférieure l'indication des commanditaires sous la forme de deux paires de blasons.

En bas du vitrail le plus à l'est, un écu d'un joli bleu avec trois oiseaux blancs au bec et aux pattes rouges ("d'azur à trois poules d'argent, becquées et membrées de gueules") formant les armoiries des de Poulpiquet du Halgouët. A côté, un autre écu, jaune doré, comportant trois cercles rouges ("d'or à trois tourteaux de gueule") : il s'agit des armes de la famille de Latouche-Limouzinière.

Ces deux familles s'étaient alliées par le mariage d'Amaury Louis Marie de Poulpiquet du Halgouët et de Marie Joséphine Louise de Latouche-Limouzinière, le 23 janvier 1884 (ce qui conforte le fait, si besoin était, que la date portée sur le vitrail est antérieure à leur réalisation et à leur pose).

En bas de l'autre vitrail, on retrouve les armoiries des de Poulpiquet du Halgouët, mais cette fois appariées avec un écu à fond rouge comprenant trois gerbes de blés dorées ("de gueule à trois gerbes de blé d'or") : il s'agit des armes des de Gibon de Kerisouët.

Ces deux dernières familles s'étaient liées à la faveur des épousailles de Eugène Jean de Poulpiquet du Halgouët et de Amélie Marie Charlotte (dite "Amécie") de Gibon de Kerisouët, en 1849, qui furent les parents et beaux-parents de l'Amaury Louis et de la  Marie Joséphine susmentionnés.

A la date indiquée (octobre 1882), l'une des quatre personnalités dont les armoiries sont représentées, Amécie de Gibon de Kerisouët, est déjà décédée à Guémené depuis quatre ans. Cet "ex voto" ne la concerne donc pas directement.

Pour finir sur les blasons, on remarque qu'ils sont surmontés d'une couronne à fleurons et perles blanches groupées par trois ("en tierce") caractéristique du titre de marquis, et qu'ils sont soulignés en quelque sorte par une bande blanche ondulante ("phylactère") comprenant, en français et en caractères gothiques, une devise :"De peu assez", celle des de Poulpiquet du Halgouët.



Si l'on en vient maintenant à la représentation principale de ces oeuvres, on y voit une scène à deux personnages.

Sur le vitrail gauche, une Vierge auréolée s'encadre dans une grotte ; sur celui de gauche, une jeune fille est agenouillée les mains jointes et le regard dirigé vers l'apparition.

Bref vous l'avez compris, il s'agit d'une des "visions" de Bernadette Soubirous à Lourdes en 1858 à la grotte de Massabielle.

La "Dame Blanche" joint également les mains et porte un regard bienveillant sur la jeune fille. Un chapelet et une ceinture bleu pâle lui enserre la taille.

Bernadette est vêtue d'une longue robe bleue, d'un tablier violet où l'on distingue une poche plaquée sur le devant, d'une sorte de châle pourpre avec un liseré blanc et bleu. Un long voile blanc lui ceint le front et lui tombe jusqu'aux fesses.

Le reste de la composition représente la campagne avec des fleurs ici et là, et l'on aperçoit la chaîne des Pyrénées au dessus de la tête de Bernadette, entre deux arbres. Un ciel bleu où flotte un gros nuage blanc domine la montagne.

Un texte en lettre gothiques blanches également, réparti sur les deux vitraux, ferme le bas de la composition : "Notre Dame de Lourdes priez pour nous".


Ces deux vitraux sont situés sous un œil-de-bœuf à six lobes empli lui-même d'une petite composition de verres colorés. Un ange tient dans ses mains un phylactère où l'on peut lire : "Regina sine labe originali concepta, ora pro nobis" ("Reine conçue sans le péché originel, priez pour nous", comme le dit si bien Google Traduction).


Reste à préciser l'exécuteur de cette oeuvre. On ne distingue pas de mention le révélant, comme c'est le cas sur d'autres vitraux. Peut-être tout cela est-il caché sous la crasse accumulée au bas des compositions car on croit deviner quelque chose d'écrit sous la devise des Poulpiquet...


Affaire à suivre...

vendredi 26 décembre 2014

Marre pour la France


L'année qui s'achève aura été marquée par le début des célébrations du premier conflit mondial. Partout en France - et ailleurs - les municipalités ont entrepris diverses cérémonies, les écoles ont monté des commémorations pédagogiques. Guémené n'a pas été en reste, bien entendu.

A partir du moment où il s'agissait de rendre hommage aux victimes du conflit, on a bien souvent honoré la mémoire des soldats morts au combat, ceux dont le nom couvre les monuments aux morts.

Pour être complet et juste, il aurait fallu aussi dresser des monuments aux blessés, aux prisonniers, aux veuves et aux orphelins de guerre, tous ceux-là, aussi, qui furent dramatiquement touchés dans leur existence par cette absurde boucherie.

Il reste une catégorie peu représentée dont on parle maintenant un peu et qui laissèrent leur vie à cause de ce conflit, je veux parler des fusillés de la Grande Guerre.

Un bon millier d'hommes furent ainsi exécutés pendant le conflit. On en dénombre onze originaires de la Loire-Inférieure, autrement dit donc, notre Loire-Atlantique d'aujourd'hui.

On sait à peu près ce qu'il en est : des gars choisis arbitrairement, histoire de faire un exemple ou des types qui craquent, pourquoi celui-ci et pourquoi pas celui-là, ou encore des incidents montés en épingle par des gradés à cran ? Bref, si Guémené n'a compté aucun de ses administrés parmi cette catégorie de victimes, ce n'est que par hasard et il aurait tout aussi bien pu en être différemment.

Aussi, ai-je décidé d'évoquer deux cas impliquant à chaque fois un soldat issu de communes proches de Guémené, à savoir Nozay et Fégréac. Il est probable qu'on en ait entendu parler à Guémené, à l'époque.

Le premier cas auquel je me suis intéressé est celui du soldat Louis Marie Legendre. Il portait le même patronyme que ma mère et je me suis dit que ce devait être un lointain cousin (ce que je n'ai pu établir, cependant).

Le caporal Legendre, du 225e Régiment d'Infanterie, est traduit en Conseil de Guerre pour "voie de fait avec préméditation sur un supérieur", le sergent Bailleul.

L'action eut lieu le 31 août 1916 alors que la 13e Compagnie de ce régiment était rassemblée, à la veille de monter aux tranchées. Un sergent interpelle le caporal Legendre pour qu'il aille rejoindre une escouade sans gradé. Celui-ci lui réplique une phrase désinvolte. Le sergent Bailleul lui demande de faire l'appel, le caporal se contentant d'indiquer que tous les hommes sont présents. Un autre sergent s'en mêle et fait une remontrance au caporal qui lui répond. Jusque là, il ne s'agit que de phrases sans conséquences.

Aussitôt, le sergent Bailleul se dirige vers le caporal Legendre, lequel inopinément lui tire un coup de fusil dans la poitrine, sans épauler, l'arme posée sur le bras, et le blesse mortellement.

Lors de l'instruction, le caporal dira qu'il avait bu dans les trois jours précédents le drame, suite à l'annonce de la grave blessure de son frère ; qu'au moment des faits il pensait à sa mère malade et à sa femme qui allait accoucher d'un troisième enfant. Des témoins affirmeront l'avoir entendu dire que le sergent Bailleul lui cassait les pieds depuis le matin.




Joseph Bertin était caporal également. Au 64è Régiment d'Infanterie. Il était né le 25 septembre à Nozay au village de Beaujouet. Enfant de gens de la terre, il était domestique de ferme dans son pays natal quand la guerre le surprit.

Petit comme toute sa génération (1 m 64), il avait les cheveux châtain foncé, le front fuyant, les yeux gris, un visage ovale et des lèvres épaisses. Son nez, certes rectiligne de profil, se tordait cependant vers la droite.

Dans la nuit du 26 au 27 mai 1916, il se trouve avec ses camarades près de Chalon-en-Champagne, à Fagnières. Ils doivent entreprendre une marche de dix à quinze kilomètres vers Saint-Hilaire-au-Temple, pour y prendre le train qui les conduira vers Verdun où, depuis février 1916 et pendant encore plus de six mois, plus de sept cent mille soldats français ou allemands vont périr.

La marche se déroule mal. La colonne n'avance pas, des coups de feux sont tirés par ci par là. Les officiers et sous-officiers rappliquent et se font rabrouer. Le spectre de Verdun fait fuser parmi la troupe la rancœur envers ces blancs-becs.

A l'arrivée, un appel est fait et le caporal manque car il s'est attardé à quelques centaines de mètres en arrière.

Au total, les gradés traduisent en Conseil de Guerre quelques sujets mal notés qu'ils ont repérés depuis un moment, et le caporal Bertin : refus de marcher sous les armes, en bande. Bref une révolte, un complot fomenté par cinq soldats et un caporal. 

La hiérarchie en rajoute sur les insultes reçues, l'insubordination, etc...

Le Conseil de Guerre reconnaît comme coupables les six pauvres types. Deux, Jean Trique et Joseph Picaud sont exonérés du chef d'instigateurs et sont condamnés à dix ans de "travaux publics" qu'ils effectueront à Douera près d'Alger, dans un pénitencier militaire du genre Biribi. L'un mourra à Angers en août 1923, après avoir été gracié en 1920, sans doute mal remis de ses quatre ans et demi de bagne. L'autre décédera à l'hôpital militaire Maillot d'Alger en 1917, "d'entérite dysentériforme et cachexie".

Les quatre autres "comploteurs" furent passés par les armes, car reconnus coupables de tout et surtout d'instigation. 

Pour Joseph Bertin, une circonstance aggravante fut son grade de caporal acquis par sa bonne conduite militaire passée.



jeudi 25 décembre 2014

Crèche et tronches


Arrivé hier à Guémené, je n'avais pas eu le temps de passer l'église. C'est aujourd'hui chose faite, avec deux préoccupations : la crèche et des sculptures du fond du choeur.

J'aime bien la crèche dont les personnages remontent à fort loin. Ma mère m'en avait récemment décrit un dont elle se souvenait depuis son enfance ( dans les années 20 du siècle passé) et qu'on retrouve encore : il s'agit du personnage noir qui fait fonction de tronc. Il paraît que jadis quand on y mettait un sous, il balançait sa tête. Le mécanisme paraît aujourd'hui cassé.

Cette année, comme l'an passé, l'essentiel de la crèche est disposée dans la chapelle du Sacré-Cœur, dans le transept ouest. On y retrouve principalement la crèche elle-même et des bergers.







Mais les personnes qui se chargent de cette tradition ont innové en disposant des personnages dans la chaire. Apparemment ce sont des Rois-Mages qui cheminent vers Bethléem et dominent la nef.



























Une fois la visite de la scène traditionnelle de Noël opérée, je me suis dirigé vers le choeur de l'église.

De grands vitraux le toisent, comme on sait. Au pied des colonnes qui les encadrent, des pierres sculptées représentant des figures humaines.

On sait le goût de l'architecte François Bougouin pour le Moyen-Age et il n'est pas trop surprenant que dans son style éclectique il ait réussi à caser ce genre de décor si propre aux anciennes églises. Certains visages sont d'ailleurs clairement attifés à la mode de cette époque. Plusieurs semblent endormis ou morts...On songe à Odilon Redon...

Il y a des représentations d'hommes, d'enfants et de femmes, pour tous les goûts...


























J'en ai profité pour photographier les deux bannières qui sont au mur sous les vitraux....
























...et une icône dans la chapelle latérale à l'est du choeur.




Bonnes fêtes.