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dimanche 23 février 2014

Où vivre et mourir à Guémené vers 1640 (2)


Voici la seconde partie de l'étude géographique et démographie à ma façon, dont le premier volet, consacré au sud de la commune, a été mis en ligne hier.

Cet article-ci complète le précédent des données relatives à la partie nord de la commune.

Pour rappel, j'ai relevé les décès pour lesquels une localisation était fournie dans le registre paroissial de Guémené entre 1625 et 1648. L'idée : le nombre des décès est proportionnel au nombre des vivants. On peut donc établir ce que j'appellerai pompeusement une géographie de la population guémenoise vers le milieu du 17ème siècle.

Les nombres sur la carte proposée ci-après, figurent les nombres de décès par site ; seules des données sur Guémené, sans ses deux agglomérations-sœurs associées (Beslé et Guénouvry), sont considérées.

Globalement, la population du nord de la commune de Guémené se répartit autour de cinq pôles :

1 - Deux zones de peuplement relativement peu éloignées du Bourg : la plus importante est celle qui gravite autour de Coisfoux, la Helberdais et la Houquetais (y ajouter : la Hyonnais, la Vieille Ville, la Courtinais, la Barberie, le Gros Chêne et la Taupinière) ; un peu plus à l'est, un autre "paquet" de la Grée-Caillette à Tréguel ;

2 - Trois aires plus ou moins éloignées du Bourg : à l'ouest, une grosse zone de Feuilly à la Gaharais en passant par Pussac et la Landezais, à laquelle j'adjoins la Potinais ; à l'est, la région de Juzet et de la Vallée (+ le Bot et les Landelles), bien moins denses ; tout au nord, un ensemble excentré où dominent Castres (+ la Foie et le Jarrier) et le Brossay.



Qu'en conclure ? Quand on parcourt la campagne de Guémené aujourd'hui et qu'on longe ou traverse les villages dont l'importance (par le nombre de bâtiments qu'on peut y observer) est très variable, on retrouve à peu près ce qu'on y décrit pour les années 1625 - 1648.

Bien sûr, d'autres villages (petits) sont venus s'ajouter, mais globalement, la répartition relative de l'habitat et de la population semble avoir peu bougé.

Ce sentiment de permanence crée une proximité avec nos ancêtres qui trimaient dans ces paysages, à laquelle je ne reste pas tout à fait insensible, pour ma part.

samedi 22 février 2014

Où vivre et mourir à Guémené vers 1640 ?


Il faut dans la vie assouvir ses rêves d'enfant un jour ou l'autre.

Se sachant atteint d'une maladie incurable, un jeune professeur d'université américain de 47 ans donne, le 18 septembre 2007, sa "dernière conférence". Randy Pausch, c'est son nom, déroule une présentation en forme de bilan de sa vie depuis sa naissance, dans un amphithéâtre bourré de parents, d'étudiants, de collègues et d'amis.

Le thème de cette "last lecture" pleine d'humour est l'accomplissement de ses rêves d'enfants : il montre comment les fantaisies que le jeune Randy rêvait de réaliser, l'adulte qu'il a été les a finalement accomplies.

On peut voir la (longue) vidéo de cet événement émouvant sur Youtube, certes en anglais, mais cela vaut vraiment le coup. Randy Pausch mourra dix mois plus tard, laissant une famille, des regrets et des choses à méditer pour chacun.

J'ai toujours été passionné par l'histoire, la géographie et la démographie. Je n'en ai bien entendu jamais fait mon métier, cela aurait été trop facile ! 

Feuilletant pour l'étude de ma généalogie les vieux registres paroissiaux du 17ème siècle se rapportant à Guémené, j'ai toujours éprouvé comme une forme de volupté à retrouver des noms de lieux ou de villages familiers, comme celui de ma Hyonnais ou encore l'Epinay de ma mère, par exemple.

D'un seul coup en effet, ce ne sont plus des lignes d'encre sèches sur du papier, mais des paysages, un décor, une rivière, un vallon, une colline où nos yeux s'arrêtent encore pendant une promenade, par exemple.

Il se trouve que pour la période 1625 à 1648, notamment, le recteur et ses vicaires indiquaient fréquemment le lieu du décès (il ne le faisaient pas pour les baptêmes et mariages).

Je me suis donc dit qu'on pouvait établir, sur cette base, une géographie des morts, en nombre proportionné aux vivants en principe, et donc, par là même occasion, une géographie de la population vivante.

En somme, répondre aux questions suivantes : où mourrait-on et où vivait-on sous Louis XIII et le jeune Louis XIV, dans notre commune. Et si possible combien d'habitants, en ordre de grandeur, pouvaient bien peupler ce territoire.

J'ai donc procédé pour la période 1625-1648 à un relevé du nombre de décès par site (Bourg ou village) mentionné dans les registres.

La zone géographique couverte ne concerne que Guémené-Penfao, à l'exclusion de Beslé (qui à l'époque disposait de ses propres registres paroissiaux) et, à l'évidence, de Guénouvry, pour lequel je n'ai aucune mention dans les registres consultés.

Au total je dispose de 200 décès localisés. Cela ne constitue pas la totalité des morts même de Guémené-Penfao stricto sensu (sans Beslé et Guénouvry), car je n'ai pas dans ce décompte les décès dont la localisation est absente, illisible ou douteuse. Mettons que j'en ai 50%.

On peut admettre que le taux de mortalité annuel moyen de cette époque était de l'ordre de 30 à 35 pour mille et qu'il mourait donc en moyenne 16 personnes par an (200 divisé par 25 ans = 8 décès par an sur un sous-ensemble localisé représentant 50% des morts. Pour 100% , cela fait donc 16 défunts annuels en moyenne).

L'ordre de grandeur de la population de Guémené-Penfao auquel on arrive ainsi est d'environ 400 à 500 individus (16 divisé par le taux de mortalité).

Il faudrait bien sûr y ajouter la population de Beslé et Guénouvry. Ces calculs sont très grossiers, je les laisse à votre appréciation et à votre réflexion...Moi, il me laissent...rêveur...

J'ai fini enfin par trouver un moyen de représentation pour visualiser la répartition de la population sur le territoire (au bout d'un an ! bravo !).

Je propose ci-après une première carte, correspondant au quart sud-est de Guémené-Penfao y compris le Bourg. 

J'ai porté sur la carte les nombres de décès localisés par zone (les chiffres ont une taille sensiblement proportionnelle à leur grandeur : raffinement...), et j'ai entouré les grandes aires de peuplement déduites du dénombrement des décès, faisant donc l'hypothèse d'une corrélation forte entre mortalité et niveau de population.

Ce quart sud-est (avec le Bourg), totalise un peu plus de la moitié de mon échantillon total (110 sur 200). Le Bourg au sens large représente 30% des décès localisés de cette partie (32 sur 110).

J'ai regroupé dans un seul chiffre les villages suivants : la Gré-Jubin, la Guitonnais, la Lucrais, la Bazinais, la Bézirais, la Carinais et la Dehaut, qui ont individuellement peu de morts mais qui forment une aire serrée finalement assez dense.

La carte fait apparaître six grandes zones de peuplement dans le quart sud-est de la commune : 

1 - Le Bourg avec ses "banlieues" très proches (Les Porteaux ; Saint-Clément) ;

2 - Deux groupes peu distants du Bourg, l'un à l'est, à hauteur de Balleron (+ La Bourdonnière et Haute Bruyère), et l'autre au Sud vers Gascaigne et Ville Neuve (voire Callac) ;

3 - Trois autres groupes de peuplement plus éloignés : à l'est, la zone s'étendant de l'Epinay à la Moussaudais (embarquant Saran et la Glaudais) ; au sud-est, un ensemble de villages déjà évoqués auxquels s'ajoute Coisnerion ; et au sud, un ensemble assez étiré du Luc à Tréfoux, en passant par la Mignonnais.

Deux localisations échappent à ces regroupements : Orvault, entre l'Epinay et Balleron, et Bolbrun un peu au milieu de tout.


Forcément, je ne vais pas résister au plaisir de compléter cet article d'autres cartes, ultérieurement...

Voilà, je ne sais pas si cela vous a intéressé, mais moi : c'était un rêve, ça m'a fait plaisir... Enfin, sinon...il y a toujours la vidéo de Randy Pausch sur Youtube pour se consoler...A bientôt sûrement...

vendredi 21 février 2014

Fantôme du clocher (2)


Il fait beau ! Paresse...Je me contenterai aujourd'hui d'un "articulet"...

Grâce à la gentillesse de l'Adjointe à la Culture de la Municipalité de Guémené, j'ai pu récupérer des images du plan du clocher qui aurait pu orner l'église monumentale de Guémené.

J'ai déjà présenté ce "scoop" dans la version première de ce sujet, mais avec des photos, prises par mes soins, du cadre vitré où s'exposait cette merveille. Cette fois-ci, les images ont été prises sans cet encadrement.

Deux versions sont disponibles : l'une, en noir et blanc, l'autre, en couleur.

Ci-dessous donc l'ancienne façade, la façade actuelle et la façade rêvée de l'édifice (dans les deux versions côte à côte) : 




Evidemment, c'est pas pareil....

jeudi 20 février 2014

La croix et la manière (6)


Il pleut : retour à la normale, en quelque sorte.

Alors pour se consoler, voici un (très) petit sixième épisode de "La crois et la manière", tout ça parce que par hasard, j'ai aperçu une "croix" à l'orée du village le plus à l'est de la commune, Le Tahun (où, dit-on, gît un menhir couché de plusieurs mètres).

Je me suis laissé porter dans cette région extrême de la commune par l'idée assez légère que la chapelle des Lieux Saints (de Lessaint, ou tout autre orthographe qui plaira) pouvait être ouverte en semaine. En redescendant bredouille de l'éminence où perche de saint lieu, il m'est apparu une forme, qui malgré le voile de la bruine, ne pouvait être qu'une de ces croix de chemin dont je raffole. Une de plus à la collection !

Celle-ci fait le guet à l'entrée occidentale du village du Tahun, à quelques dizaines de mètres de la première maison et face à un chemin perpendiculaire à la route qui escalade la colline vers le sud.

A première vue, c'est une croix délabrée dont seule une partie verticale en schiste est restée, plantée sur un socle maçonné que recouvre un lierre luisant sous la pluie. Il est probable que la croix, aujourd'hui disparue, peut-être faite en métal, se soit trouvé posée sur ce palis vertical.

En regardant mieux, on peut voir que le socle est couvert d'une épaisse pierre bleue dans laquelle se fiche la pierre érigée.

En regardant de plus près encore la partie subsistante du monument, on lit une inscription :


Cette croix a été fait
placée par la Vve Tessier
l'an 1872

La Veuve Tessier était Marie Herrouin qui vivait au vilage du Tahun , à l'époque où elle a fait élever ce monument, comme tout le reste de sa vie d'ailleurs, de sa naissance à son décès. 

Elle y partageait son logis avec son fils Jean-Marie, âgé de 28 ans, son gendre Julien Fricaud (33 ans), sa fille Anne (33 ans) et leurs trois enfants en bas âge (4 et 2 ans et un bébé de 2 mois).

Tout ces braves gens étaient agriculteurs et on les voit bien, un beau dimanche de 1872, faire leur petite inauguration avec voisins et curé.

Marie Herrouin était née le 5 novembre 1811 et avait donc traversé sans sourciller cinq régimes politiques différents (Premier Empire, Restauration, Monarchie de Juillet, Seconde République, Second Empire) avant d'aborder enfin la Troisième République. 

Mais cette dernière allait durer autant que les cinq systèmes politiques qui la précédèrent.

Paraissant prendre acte de cette perspective de longévité républicaine, Marie Herrouin quitta le monde d'ici-bas le 6 avril 1874, laissant à la postérité son petit monument du Tahun.

Son mari, Mathurin Tessier, qu'elle avait épousé à Guémené le 31 août 1837, s'était, pour sa part, lassé assez rapidement des frivolités tahunoises de son existence.

Il transforma donc en 1850 Marie Herrouin en Veuve Tessier, par une nuit sans lune entre Noël et le Jour de l'An - le 29 décembre pour être précis -, préférant déguster des pissenlits par la racine pour le réveillon de la Saint-Sylvestre.

Chacun ses goûts, après tout.

Voici donc ce qu'il reste du mausolée de la Veuve Tessier :





mardi 18 février 2014

La maison de Subrette


Il fait beau après tout ce déluge : il est temps de repartir sur le terrain.

C'est une lecture qui m'y ramène, à propos d'une maison située dans le parage du collège Saint-Michel.

Ce ne sont donc pas des souvenirs, même si le coin en comporte quelques-uns : par exemple, la remontée à pied le dimanche avec Grand-Mère Gustine et ma tante Madeleine, quand on ne prenait pas le Boulevard, avec gâteau de chez Tardif (obligatoire) et chaussures qui faisaient mal aux pieds (en prime).

Cela aurait pu être aussi les parties d'arrosage avec Serge, Marc ou Annick, mes copains de La Hyonnais, quand mon père nous descendait à la pompe à bras qui trônait au milieu de ce qui est, je crois, un parking, de l'autre côté de la rue Saint-Clément, en face du collège, au bord de la rue de la Tannerie.

Non, c'est bien la maison située au 1 de la rue de Subrette qui m'intéresse, juste au début de la route du Grand-Fougeray, bordée au nord par le chemin de la Tannerie.

Cette maison du XIXème siècle est à vendre, comme hélas beaucoup de biens, et ses volets blancs sont fermés.

Elle est donc livrée à elle-même, à son extérieur. Et c'est celui-là précisément qui attire mon attention. Rien de spectaculaire, en fait, mais des petites aspérités touchantes qui transforment une maison ordinaire en objet de curiosité.







Trois choses ont accroché mon regard : un conduit d'écoulement en schiste sortant du mur ; une petite niche avec une sculpture ; une pierre bleue sculptée naïvement et énigmatiquement.

Le conduit est sans doute celui d'un évier, probablement ancien et donc en schiste, dont beaucoup ont été détruits à la masse quand le progrès s'est répandu...Je n'en dirai pas beaucoup plus : vue de l'extérieur, c'est la seule chose qui invite à pénétrer à l'intérieur hermétiquement clos de cette demeure.



La niche en forme d'obus est entourée de briques dont la couleur se détache sur le crépis usé du mur. Une petite porte vitrée vient s'encastrer dans un montant de bois. Derrière, un jeune couple, qui de loin semble en granit, se tient blotti. Il a pris la place d'une Sainte-Vierge.

Un couple paysan : la femme en longue robe et en coiffe ; le mari en veste et chapeauté. Ils ont l'air "à la rue", frigorifiés, dans la peine.

Ils observent les passants comme s'ils étaient à l'extérieur, en quête d'un quelconque asile. Étrange inversion de situation...








Mais, plus curieux encore, le troisième objet : la pierre sculptée se trouve située symétriquement à la niche aux deux personnages, de l'autre côté de la porte d'entrée.

On y voit une silhouette qui rappelle les dessins de bonhommes par les enfants, bras écartés.

On distingue clairement une petite couronne de cheveux, le nez, les yeux, une petite bouche et peut-être des sourcils. De même, les mains sont dotées de doigts.

Le tronc est strié d'entailles qui marquent les côtes et l'on observe clairement deux jambes qui se terminent par deux "paquets" qui dessinent les pieds.

On ne sait rien de l'origine de cette plaque. S'il ne s'agit pas d'art naïf "récent", cela rappelle, paraît-il, les christs qu'on voyait aux calvaires des XVIIème et XVIIIème siècles.

Une autre interprétation qui reste à creuser : il s'agirait d'une oeuvre à la mémoire d'un enfant mort-né dans cette maison, ou quelque chose d'approchant...

Ce qui déroute le plus, c'est la plaque carrée qui figure à gauche du "christ" : rien ne s'y distingue. Peut-être un message ou un décors y a figuré jadis. Mettons que le temps l'ait effacée comme on grattait les parchemins pour pouvoir y écrire à nouveau.






Mais rien n'y viendra plus s'inscrire. Et le mystère sera éternel.

samedi 15 février 2014

La Briqueterie de Langon


J'ai déjà dit tout le bien que m'inspire Beslé, si rempli de souvenirs, qui est la forme radieuse et douce de Guémené : c'est là qu'au terme d'une balade dans la chaleur d'août, nous venions nous désaltérer. La Vilaine, bien sûr, le jardin de l'Hôtel Douard (de l'Union, à cette époque-là ?), les chemins de halage, la quiétude du petit bourg endormi, le café près du pont, la pêche, le pont provisoire...

Et puis aussi l'autre côté du fleuve où nous poussions parfois, lors de nos balades en voiture avec mon père : Langon. 

La première chose qu'on en aperçoit quand on traverse le pont, c'est l'ancien hôtel Sergent, en sentinelle sur la gauche. Puis rien, sinon au bord de la première route à gauche un édifice flanqué d'un haut-fourneau : une briqueterie désaffectée, celle évoquée dans le dernier article.

J'en ai trouvé l'histoire, je vous la rapporte.

Cette briqueterie a porté plusieurs noms : Briqueterie Bignon et Cie, Briqueterie Sergent (ou Segent), Briqueterie d'Aucfer et de Langon, Briqueterie Barreau, selon les propriétaires successifs.

Son implantation ne doit rien au hasard : l'argile du lit de la Vilaine a favorisé dans cette zone une activité importante de briquetage et de tuilerie dès l'époque romaine, en particulier près de l'Étier qui se situe à 600 mètres à l'est du bourg.

L’Étier est un ancien bras de la Vilaine, long d'un kilomètre et large de cent mètres. On y a trouvé des briques à rebords et une tradition prétend qu'il fut creusé pour extraire de la terre à briques (une ville appelée Langun ou Langueur y aurait été engloutie en punition des crimes de ses habitants. On l’appelait au Moyen-Age "étier de Henleix" ou "de Heinlé").

L'usine est construite à l'entrée du Marais de Rosidel à environ 500 mètres de l'habitation la plus proche.



Elle est fondée vers 1880. Elle appartient alors à la Société Bignon et Cie. Vers 1900, elle est dirigée par la famille Segent (ou Sergent : au lieu-dit la Drionnais demeure un certain Joseph Sergent, briquetier). 

En 1903, elle dépend de la société anonyme des Briqueteries d'Aucfer et de Langon, constituée au capital de 113 000 francs. Aucfer est une région marécageuse dans la partie ouest de Redon. 

A partir de 1926, la briqueterie est dirigée par M. Barreau père. En 1930, ce dernier fait construire une cantine pour les ouvriers (qui n'avaient donc pas le temps de rentrer déjeuner...).

La briqueterie cesse son activité durant la Seconde Guerre mondiale. Mais en 1958, la veuve de M. Barreau et son gendre, M. Saindon, prennent la suite de l'entreprise. 

La production alimente la région, notamment Vannes, Nantes et Rennes (35).

La briqueterie cesse son activité en 1969. Aujourd'hui, les bâtiments font partie d'une propriété privée et la cantine abrite une maison.

Le site employait six ouvriers vers 1880, mais une vingtaine dans les années 1930 - 1960.


Le site est enclos. Les bâtiments d'exploitation ont été partiellement détruits. L'ancien logis patronal, doté d'un étage et de combles, est couvert d'un toit à longs pans en ardoise. Sa façade antérieure est percée de trois travées de baies à arc surbaissé encadrées de brique, la travée centrale étant surmontée d'une lucarne.

Le logis est flanqué, sur l'un de ses pignons, d'une partie de l'atelier de fabrication, lui même accolé à l'ancienne cantine qui compte un étage couvert d'un toit à longs pans en tuiles.

L'atelier de fabrication, en rez-de-chaussée, construit en bardage de planches, abrite le four toujours en place, ainsi que le séchoir. Une importante charpente en bois supporte une couverture à longs pans en tuiles.


La cheminée d'usine en briques se dresse à proximité de l'ancien bureau, petit corps de bâtiment construit en briques et couvert d'un appentis en tuiles.

En 1901, une chaudière à vapeur, construite à Nantes par Lebrun et Cormerais, entrepreneurs chauffagistes, est attestée.

En 1910, la briqueterie est munie d'un four à feu continu dit "système Hoffmann-Simon", alimenté à la houille. L'argile, creusée dans les marais, est malaxée, puis moulée et séchée, pour être cuite à 1 800 °C.


Inventé en 1858, le four Hoffmann est le premier four à fonctionnement continu. C'est un four circulaire à foyer mobile : le feu, alimenté par du charbon grâce à des orifices percés dans la voûte, circule constamment et successivement dans tous les espaces de la galerie en forme d'anneau.

Cette dernière est distribuée par des portes latérales servant à l'enfournement et au défournement ; elle est reliée à une cheminée.

Dans ce système, les produits enfournés sont préchauffés à l'approche du feu, cuits en sa présence puis refroidis lorsqu'il s'éloigne. Les produits refroidis sont défournés, tandis que d'autres cuisent et que d'autres encore sont enfournés. Ce four fonctionne ainsi de manière ininterrompue, durant des années parfois.

La variante
Hoffmann-Simon, en activité à Langon, est de plan rectangulaire et de taille plus modeste ; elle est constituée de deux galeries parallèles réunies à leurs extrémités.

Pour limiter la pollution, les gaz traversent horizontalement une épaisseur de 20 mètres de briques placées en claire-voie dans un double tunnel, puis suivent un canal vertical de 2 mètres et prennent alors un conduit horizontal de 30 mètres pour gagner enfin la cheminée haute de 28 à 30 mètres.



La carte postale reproduite ci-dessus est issue de ma petite collection. Mais on trouve plusieurs photos sur le site Glad, consacrée au patrimoine de la Région Bretagne, sur lequel j'ai par ailleurs puisé une bonne part des éléments de cet article.

dimanche 9 février 2014

Brique-arbonate de soude


Il est un coin non loin de Beslé, de l'autre côté de la Vilaine, où je ne passe pas sans un titillement de nostalgie : celle d'une campagne industrielle disparue dont témoignent encore les vestiges de la briqueterie de la route de Langon avec son haut-fourneau tout chancelant. C'est une trouvaille journalistique qui m'amène très indirectement à l'évoquer.


La renommée de la "trêve" de Beslé (section de Guémené-Penfao) a atteint les montagnes suisses de la région de Neuchâtel vers 1894, Fidèle Simon fils étant Maire et Pierre Chesnet, son adjoint. Nul doute qu'un monument à notre bourgade n'ait été érigé, au moins dans les coeurs (ou plutôt : les estomacs) des neuchâtelois les plus dyspeptiques.

Il n'est pas sûr que la réciproque ait été vraie et que Neuchâtel ait occupé les esprits des habitants de Guémené. Sauf peut-être ceux de la famille Bricaut, et peut-être aussi de Fidèle Simon Maire fils de Maire, ou encore de Pierre Chesnet, son adjoint.

En effet, la très sérieuse et respectée "Feuille d'avis de Neuchâtel et du vignoble neuchâtelois", le plus ancien journal de langue française au monde, créé en 1738, en son numéro 305 du 27 décembre 1894 publie à sa page 3 une longue colonne que l'on appellerait aujourd'hui dans le jargon de la communication un "testimonial", c'est-à-dire un pseudo témoignage à vocation publicitaire, vantant d'expérience les bienfaits d'un produit.




De quoi s'agit-il au juste ?

L'article commence par une longue digression où l'on apprend que l'empereur Marc-Aurèle était un homme simple qui mangeait comme un paysan. Entendez : frugalement. Il n'avait donc pas d'indigestion, ni aucun autre trouble de la mal bouffe. Le brave homme !

Cette habile et historique introduction permet de mieux mettre en relief les malheurs gastro-intestinaux de M. Bricaut. Celui-ci est présenté comme "contre-maître briquetier à la briqueterie-mécanique de Beslé, à Langon, par Redon (Ille-et-Vilaine), par Guémène (sic !) (Loire-Inférieure)".




Je n'ai pas besoin d'insister sur la distance qui sépare Neuchâtel de Beslé, et sur la performance que représente cette liaison : il suffit de voir le peu de précision de la localisation du sieur Bricaut pour comprendre que de l'information s'est perdue en route.

Ce brave Bricaut briquetier avait eu mal au ventre pendant trois ans. Soit donc depuis 1891, année (est-ce totalement un hasard ?), où, comme on sait, le Pape Léon écrivit Rerum Novarum, une bafouille où il s'intéressait aux travailleurs (et donc aux briquetiers).

Cette maladie le faisait tant souffrir qu'il finit par se restreindre. Il en découla un amaigrissement épouvantable. Tout cela était d'ailleurs assaisonné de maux de têtes affreux, d'insomnies et, si par hasard le briquetier s'assoupissait, de cauchemars terrifiants suivis de réveils suffocatoires.

A cela, ajoutez un zeste de constipation et vous aurez saisi le calvaire gastro-intestinal du pauvre Bricaut. Pour bien apprécier le tragique de la situation, ce dernier fournit d'ailleurs ce touchant détail : "Aucun remède ne me permettait d'aller à la selle sans effort". Consternation dans le Neuchâtelois !

Le témoignage se poursuit alors par le cheminement vers le remède qui sauva notre ami.

Sa situation empirait au point que, chargé du contrôle d'un four à briques, le brave homme affaibli peinait à remplir sa tâche. Voyant le jour où il serait amené à abandonner sa mission, il se mit à consulter force médecins avec pour seul résultat non seulement la persistance de son mal à l'estomac, mais également une douleur au portefeuille.

Heureusement, un ami, le public ou le 50/50, on ne sait, lui apporta le remède à ses interrogations : oui, Oscar Fanyau, pharmacien à Lille, disposait bien de la solution miracle : la Tisane américaine des Shakers, en flacon.

La suite, je ne vous la fait pas.



Le "témoignage" s'achève par la signature du briquetier guéri, suivie de la mention suivante : "Vu pour la légalisation de la signature apposée ci-dessus de M. Bricaut...Pour le Maire, le conseiller municipal délégué, Pierre Chesnet". Histoire de faire vrai.

Le journal ajoute pour les suspicieux ou les curieux, que le Maire de Guémène (sic !) est M. Fidèle Simon que M. Pierre Chesnet remplace en son absence. On peut sans doute même ajouter que le journaliste de la feuille de choux suisse remplace aussi M. Chesnet en son absence...

L'article se termine enfin sur une leçon de morale sur la propreté : l'homme doit se laver le corps extérieur ; mais il doit aussi entretenir sa propreté intérieure en chassant les saletés avec ce savon pour les tripes que représente la Tisane américaine des Shakers et en rendant à l'estomac et aux intestins leur destin premier : "convertir les aliments en chair et en sang".




Il y avait bien une famille Bricaut à Beslé à cette époque-là. Julien et Phylomène Bricaut étaient en réalité buralistes et affligés de six enfants dont trois adolescents briquetiers.

Nul doute, en effet, qu'ils avaient des raisons d'avoir mal à l'estomac.

samedi 8 février 2014

La vilaine !


J'ai déjà mentionné dans un post ancien les réticences du curé du Guémené, en 1940, à enterrer religieusement mon grand-oncle François, le frère de ma grand-mère Gustine.

L'animal avait eu le front de tomber à la renverse sur le Boulevard, au sortir d'une soirée d'adieu (arrosée sans doute) chez un vieux copain, alors que le Gouvernement venait de l'inviter à partir sauver la France.

Ayant sans doute assidûment étudié Freud en complément de son bréviaire, ce prêtre y voyait un acte manqué, une désertion face à l'ennemi, bref, un suicide.

Il n'est pas impossible que son confrère de Beslé ait été fait du même bois dont on fait les idiots. Car certains auteurs ont déjà noté, de ce point de vue, une forme de congénitalité soutanesque.

Il est donc probable qu'Ernestine Lechat, femme Provost, n'eut pas, en ce mois d'octobre frisquet de 1928, les honneurs de l'absoute.

Le cercueil traversa le bourg, suivi de quelques voisins compatissants et de Maurice, le mari, pour rejoindre le cimetière. Après quelques pelletés de terre sur la défunte et quelques poignées de mains pour le veuf, on partit pour un vin d'honneur dans le bistrot, où, ensemble, Maurice Provost et feu Ernestine avaient œuvré depuis quelques temps.

Quelques jours plus tôt, Maurice Provost s'était étonné de ne pas voir son épouse à la maison, à l'heure du souper. On peut imaginer qu'il ne s'en inquiéta guère, retenant malgré sa préoccupation la possibilité d'une course chez une amie, une voisine, une parente...

Comment lui faire des reproches, d'ailleurs, tant son mal empirait, tant la souffrance torturait son corps et son esprit. Le cancer du sein droit dont elle était affligée ne lui laissait plus désormais aucun répit, ni le jour, ni la nuit.

Les docteurs ne disaient rien de bien encourageant. Il aurait fallu - mais c'était déjà il y a longtemps - procéder, comme c'était l'usage, à une lourde opération : ablation totale du sein, des nodules axillaires et des muscles de la poitrine. Mais à 62 ans à quoi bon, Ernestine n'avait pas souhaité affronter cette épreuve destructrice. Quelques rayons avaient bien été tentés, mais cela n'avait pas réglé le problème.

Sur le tard, la préoccupation de Maurice tourna à l'inquiétude. Muni d'une lampe, il se mit à la recherche de sa femme dans la nuit froide. Il erra dans le bourg, approchant les maisons où aurait pu trouver refuge l'infortunée malade. Il ne rencontrait bien souvent que porte close et poursuivait son errance.

Pensant au pire, il descendit vers le port, passa devant l'hôtel où il entra s'enquérir en vain. Il commença de scruter la Vilaine sombre et à crier le nom de sa femme. Le vent emportait sa voix, mais aucun écho ne lui répondait.

Il remonta vers le pont et descendit vers la gare, déserte. De ce côté-ci non plus, la pénombre ne lui livra aucun indice.

Seul, hagard et sans ressource, Maurice Provost se résigna à retourner chez lui, taraudé par le secret espoir d'y retrouver son épouse. Mais après avoir fait le tour du débit de boisson et de leur logement, il dut se rendre à l'évidence de sa solitude.

Le reste de la nuit fut long. A la première lueur du jour, il reprit sa recherche, le pressentiment chevillé au corps que l'exploration des berges de la Vilaine lui délivrerait le fin mot de cette disparition.

Il refit donc le trajet vers le pont, repassa devant l'hôtel et puis redescendit vers le port. Au bout de quelques dizaines de mètres, il avisa un paquet sombre dont il comprit presque instantanément qu'il s'agissait d'une forme humaine et, par une de ces fulgurances qui caractérisent ces moments, que c'était celle d'Ernestine.

Il était probablement passé tout près lors de sa première exploration nocturne. Le corps émergeait de l'onde, là où la profondeur du fleuve n'atteignait pas un mètre quarante. Un châle noir recouvrait la tête de l'infortunée.

Maurice Provost se garda bien de tenter de retirer le corps. Il s'en alla bien plutôt chercher l'aide de son voisin monsieur Després. Un commerçant zélé, monsieur Houguet et l'adjoint de la Mairie de Guémené pour Beslé, monsieur Mercier, se joignirent bientôt aux deux premiers et vinrent extraire le cadavre de la rivière. Quelques temps après, le docteur Coyaud, accouru sur les lieux, constata le décès de celle qu'il connaissait bien.

La veille au soir, à la nuit tombée, la pauvre femme s'était approchée de la Vilaine et s'y était engagée. Le froid de l'eau lui avait saisi les jambes. Progressant avec difficulté, elle s'était arrêtée au moment où le liquide létal lui arrivait presque au cou.

Alors, répétant le sacrifice antique d'Antinoüs, Ernestine s'était agenouillée sur le lit du fleuve, dans le suprême effort de sa vie pour en finir avec ses tourments.



La petite troupe attristée du mari et des voisins resta sur les bords du fleuve pendant un moment, jusqu’à ce que la gendarmerie de Guémené vienne faire son enquête.

Visiblement, Maurice Provost fut sermonné par la maréchaussée. Pourquoi diable n'avait-il pas sorti la victime du fleuve quand il l'avait avisée pour la première fois (elle n'était peut-être pas morte, après tout !).

L'idée d'un assassinat affleura l'esprit suspicieux des pandores, mais chacun témoigna que le couple Provost s'entendait bien. Sans doute s'étonna-t-on du geste de la pauvre femme et on suspecta sa moralité, car le journaliste d'Ouest-Éclair se sentit obligé de préciser que "Mme Provost...appartenait à une excellente famille"...

Et puis, pour l'édification de ses lecteurs, ce folliculaire "occidentalo-fulminant" élucida le premier mouvement de fuite du mari lorsqu'il eut découvert sa femme noyée.

Il fut en effet, selon lui, "l’esclave de cette déplorable coutume qui veut qu'on ne touche pas au corps d'une désespérée - même s'il est encore en vie - avant l'arrivée de la maréchaussée".

Ah, ces campagnards sont vraiment des primitifs...

dimanche 2 février 2014

Tête de lard


Plumelet...voilà un nom qui fleure bon la bonne charcuterie, à Guémené...Il faut croire toutefois que Zacharie Plumelet était un caractère...

L'édition de Rennes de Ouest-Éclair est conservée depuis le premier numéro, qui date du mois d'août 1899. L'édition de Nantes, est quant à elle accessible à partir de 1915, seulement.

Je me suis mis à rechercher la première mention de Guémené dans cette feuille et je suis tombé sur un entrefilet ayant paru dans le numéro 19, en date du 20 août 1899.

Ce n'est alors qu'un journal de quatre pages qui couvre à sa Une les soubresauts de l'Affaire Dreyfus.

Mais qu'est donc l'Affaire Dreyfus à côté de l'Affaire Plumelet ? Rien sans doute.


Voyons.

A la foire de Redon, Joseph Chauvin, dont il a paru inutile de préciser les qualités (tel Agamemnon, ce roi barbu qui s'avance, -bu qui s'avance, ce seul nom devait suffire à édifier les foules), vient acheter deux petits porcs.

Il avise Zacharie Plumelet et surtout deux de ses pensionnaires grognant, deux beaux cochons qui feraient bien dans le saloir, une fois engraissés.

Les deux hommes entament le marché et, de discussion en discussion, il conviennent d'un prix qu'ils s'apprêtent à sceller d'une bonne chopine au café du coin.

On peut imaginer que les deux hommes cheminent, Chauvin emmenant ses acquisitions avec lui vers son tombereau.

Zacharie Plumelet empoche l'argent correspondant en principe aux 70 francs convenus entre eux.

Mais voilà que le vendeur apostrophe son client d'un jour et lui reproche qu'il manque cinq francs pour faire le compte.

Bien entendu, Chauvin rejette ces allégations. Plumelet jure que "dam' sia", il manque bien cent sous.

Chauvin est sûr de lui et tient bon.

Agacé, Zacharie Plumelet s'empare d'un cochon et l'emporte avec lui sans que Chauvin puisse rien y faire.

Depuis, ce dernier à porté plainte.

La fête à Beslé au temps du Front Populaire


Se poser la question de savoir d'où l'on vient nous ramène immédiatement à la génération antérieure et à ce qu'elle a connu : la société dans laquelle elle évoluait, par exemple dans son enfance, le Guémené de cette époque.

Pour moi, c'est déjà celui de l'entre-deux-guerres. Je ne dis pas que c'était une belle époque, tant s'en faut. Mais on y faisait également la fête, une certaine fête, collective et officielle, populaire et familiale.

On pouvait la faire à Beslé qui, dans mon souvenir personnel, celui de mon enfance cette fois, était encore une sorte d'extension de plaisance de Guémené : on y allait pour pêcher, se balader sur le bord de la Vilaine, manger dans les jardins du restaurant de l'Union, tout endimanchés, ou seulement pour boire un coup au café-hôtel du Port, l'été, avec mon père et mes copains de La Hyonnais Serge et Marc.

Ce n'est jamais sans appréhension ni curiosité qu'on traversait le pont en bois provisoire d'après-guerre qui dura bien vingt ans, et qui faisait un gros roulement de tambour sous les roues des autos (comme on disait..).

A l'évidence, cette vocation festive ou récréative de Beslé existait de longue date, et la desserte ferroviaire en facilitait l'accès à une clientèle parfois bien éloignée.

Le 20 juin 1937, le premier gouvernement du Front Populaire agonise : tous les parlementaires, y compris ceux du coin, sont à Paris pour un vote crucial qui aura lieu le lendemain.

A Beslé, le soleil brille généreusement en ce dimanche, et les trains du matin, anormalement remplis de voyageurs, notamment ceux en provenance de Rennes, déversent une population où les hommes dominent. Nombre d'entre eux portent un instrument de musique ; on en voit avec un drapeau. La plupart n'a rien et semble se connaître déjà.

C'est qu'aujourd'hui, une grande fête est organisée à Beslé : les Anciens Chasseurs d'Ille-et-Vilaine et les Trompettes Rennaises ont en effet donné rendez-vous à la population pour un vaste programme de réjouissances. 

Comme le rapporte le journaliste de Ouest-Éclair : "Le concours de pêche, le défilé en ville, l’hommage aux Morts de la Guerre ; le banquet et les différents jeux organisés dans le courant de l’après-midi groupèrent une foule nombreuse et enthousiaste." Rien de mieux qu'une tournée au cimetière pour se poiler, en effet.

La fête avait été placée sous la présidence du général Tabouis, ancien officier de chasseurs. Ce guerrier valeureux, Grand Officier de la Légion d'Honneur, avait fini la guerre de 14 en Ukraine comme envoyé diplomatique, afin d'empêcher que ce territoire ne sombre aux mains des Bolchéviks. Il y avait lieu d'espérer que sa présidence de la fête de Beslé fût couronnée d'un peu plus de succès...


LE CONCOURS DE PÊCHE 

La fête débuta dès 9 heures par un concours de pêche sur les rives de la Vilaine, dans le bief paraît-il si justement réputé des pêcheurs rennais et autres. Plusieurs centaines de concurrents, hommes, femmes et enfants s'égayaient sur la berge.

Des badauds baguenaudaient sur le pont en surplomb, et les abords de la gare étaient envahis de monde.


Une heure, cela passe vite, mais néanmoins, les prises furent nombreuses et de poids :  miracle, la presque unanimité des concurrents réussit à prendre au moins un poisson.

Le pesage des prises se déroula dans un local installé par M. Morel, restaurateur au pont de Beslé.

Grâce au génie des organisateurs (les représentants du bourg de Beslé, MM. Clair Bourgeon et Plassé) et à la clairvoyance du comité des fêtes des Anciens Chasseurs et des Trompettes Rennaises, on ne manqua pas de lots pour récompenser l'incomparable la qualité des concurrents. Ainsi, aucun participants ne fut frustrés de ses efforts halieutiques.

La distribution des prix est terminée.

Les Trompettes se rangent en carré pour saluer l’arrivée de l’un des animateurs de la Fédération de l’Ouest des Anciens Chasseurs, à savoir le général Tabouis, qui a accepté de présider cette journée familiale.

Un comité d'accueil se forme spontanément pour congratuler la vieille baderne : il y a là M. Ernest Bourdin, président de la Fédération d’Ille-et-Vilaine, entouré de MM. Ferré, président d’honneur ; Clermont et Paul Hutin, vice-présidents…Bref, du beau monde serre la paluche de la ganache étoilée.


LE DÉFILÉ

Le général sourit et salue ici où là, serre des pognes à droite à gauche.

Soudain, la sonnerie légendaire des Chasseurs retentit : « V’là le général qui passe… ». Dans la foule, certaines lèvres s'agitent et fredonnent  (je recommande le site de l'Amicale des Chasseurs à pied qui fournit un abondant échantillon de cet esprit gaulois, martial et néanmoins léger qui infuse la production poétique des différents bataillons) :

« V’la l’général qui passe,
tout tordu, mal foutu,
l’pantalon tout décousu.
Bientôt si ça continue
on verra l’trou son cul ! »


Le cortège se forme ensuite à l’entrée du pont et, musique en tête, Chasseurs, Trompettes, leurs familles et leurs invités partent à l’assaut de la côte qui monte vers le bourg de Beslé, le général courageusement en tête pour une fois.


Après quelques dizaines de mètres, des casques rutilants sous le soleil font leur apparition : les pompiers du pays, comme placés aux portes du bourg pour en défendre l’accès, sont rejoints par la troupe et s'y joignent.

C'est le moment que choisissent MM. Clair Bourgeon et Plassé, "les si actifs et sympathiques représentants de Beslé au Conseil Municipal de Guémené", pour hardiment prendre la tête de la colonne…

La population du bourg de Beslé, "toujours si accueillante", s’était surpassée et, répondant à l’appel de M. Plassé, un ancien chasseur lui aussi, avait "coquettement pavoisé les rues du bourg".

Dans un élan irrésistible, passant sous de véritables arcs de triomphe de verdure et de guirlandes tricolores, au rythme des trompettes, le cortège gagne le cimetière de Beslé.

D'un coup le silence revient. Trois magnifiques gerbes de fleurs naturelles sont déposées au pied du monument aux morts érigé à la mémoire des enfants du pays qui firent le sacrifice de leur vie pour la France. 


Clair Bourgeon, adjoint au maire de Guémené, délégué du bourg de Beslé, et gérant de la propriété du Comte de Saint-Germain châtelain de Trénon, se racle la gorge et sort un papier froissé de sa poche. Dans un discours d’une grande élévation de pensée patriotique, il exalte le sublime sacrifice des héros et fait appel à l’union des vivants pour la sauvegarde de la France. Ça veut rien dire, mais c'est beau. On applaudit.

C'est le tour du général de mouliner quelques paroles. "Oui, dit le général Tabouis, l’union est possible ; ceux qui sont morts ne nous ont-ils pas donné l’exemple. N’ont-ils pas sacrifié leur vie pour permettre à ceux qui devaient leur survivre de la réaliser et d’assurer, par elle, à leurs descendants et à la France, une vie toujours plus belle ? Elle est possible, cette union : la fête de ce jour en est la preuve, qui groupe, autour d’un même idéal, tant de belles familles de toute la région."

Comme si cela ne suffisait pas, le général "lance un dernier salut aux grands morts de la guerre" (pas aux petits, pourquoi ?), par le cri, repris en chœur par la foule, de : « Vive la France ! ». Les échines frissonnent malgré la chaleur qui commence à peser dans cette enceinte sans ombre.

Et puis une violente salve d'applaudissements retentit à nouveaux parmi les tombes. Mais on ne s'attarde pas car avec tout ça, il est bientôt midi et le général gargouille.


LE BANQUET

Plus de 250 convives se retrouvent sous la confortable tente du restaurant Douard, au centre du bourg de Beslé, où un menu plantureux, mais fin, a été préparé à leur intention.

Evidemment, les autres rentrent chez eux manger leur frichti.

Le général Tabouis préside aussi le banquet. Il est entouré des organisateurs et de leurs épouses.


Le banquet fut, dit-on, des plus joyeux. Trompettes et Chasseurs vont tout de suite créer une ambiance de cordiale et familiale amitié (comprendre qu'on a fraternisé à coup de pinard).

Les Trompettes Rennaises agrémentent le repas d’un concert fort apprécié. Au champagne, le président des Trompettes Rennaises, se lève le premier et prononce une allocution pas trop empâtée dans laquelle il évoque la dureté et l'incertitude des temps, mais également l'harmonie que cultivent ses musiciens et termine :

"Puisse cette harmonie trouver un écho fidèle dans tous les cœurs, devenir un symbole et un modèle pour tous les Français, de façon à bannir les sentiments de haine, et à faire fleurir les sentiments de paix, la prospérité et le progrès social durable." A l'évidence, il y a un doute à ce propos...

Puis c'est au tour de Clair Bourgeon, adjoint, d'exprimer la satisfaction des habitants du bourg de Beslé d’avoir eu à recevoir chez eux les Chasseurs et les Trompettes Rennaises, et qui dit son désir de voir tous les français se rallier sous les plis d’un même drapeau, celui de la France immortelle. 

Pas le drapeau rouge de l'Anti-France, par conséquent.

Ernest Bourdin, que l'histoire a un peu oublié, retraça l’œuvre des amicales de chasseurs dont le seul but est d’aider au maintien du prestige de la France, qui apparemment devait en avoir besoin.

Le dernier mot revint comme il se doit au général Tabouis. Il se félicita d’être venu présider cette belle fête de famille. On est d'ailleurs bien content pour lui.

C'est connu, les généraux aiment les roses et sont galants : il rendit donc hommage aux dames "qui étaient la grâce de cette réunion", il félicita les Trompettes  Rennaises de leur entrain, ses chasseurs de leur fidélité et il leva son verre à la prospérité des deux sociétés et de la France, toujours plus belle et plus grande.

Cela va sans dire.

La parole fut ensuite donnée aux chanteurs. Et la journée se termina joyeusement par des distributions de lots et différents concours et jeux…


La journée s'avançait en effet, il fallait songer au retour. La fête s'étiola doucement jusqu’au soir où le bourg de Beslé retrouva son calme et s'endormit repus et satisfait.

Comme le conclut Ouest-Éclair "C’est par des journées comme celle d’hier que les français apprendront à se mieux connaître et à s’aimer davantage."

Ça pour sûr, c'est sûr.