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dimanche 25 août 2013

Histoire (politique) de la (re-)construction des églises de Guémené (2)


Voici la seconde partie de l'article consacré aux églises de Guémené, après celle publiée hier évoquant l'ancien bâtiment détruit à la fin du XIXème siècle.

Vers 1870 - 1880, la population de Guémené est à son plus haut, le double d'habitants par rapport à un demi-siècle auparavant. Parallèlement, on l'a vu, l'ancienne église est non seulement petite au regard de cet effectif, mais elle n'est pas en très bon état non plus.

Un curé dont j'ai déjà, par le passé, évoqué l'oeuvre, pour ne pas dire le combat, le curé Revert (voir l'article : "Tout Revert a sa médaille"), comprend vers 1878 que le temps est venu de songer à une nouvelle église.

La difficulté première va consister à fédérer, dans le cadre d'une commission, les différentes couches de notables dont le concours est nécessaire, autour du projet.

Le problème réside moins dans la noblesse terrienne locale : elle est absente certes du conseil municipal mais, catholique, elle s'avère active dans le conseil de fabrique, lequel va devoir mener ce projet.

A côté, il y a les Simon, qui incarnent à Guémené depuis bientôt 80 ans le pouvoir municipal (il y a aussi un député) et dont les options politiques, certes variables, républicaines modérées et modérément républicaines, sont éloignées des idées ultra royalistes qui inspirent certains hobereaux du cru. Il faut compter avec eux car ils sont la courroie de transmission vers le Pouvoir central et ses subsides éventuels.

Parlant de sa commission, le curé Revert écrit à l’Évêché en janvier 1879 : "Les nobles ont accepté avec empressement d'en faire partie. Les nobles et les Simon sont attelés au même char , ce qui ne s'est pas fait sans patience ni peine. Maintenant reste à les faire avancer sans culbute." Le 29 janvier 1879 est sa date fondatrice.

Les premières esquisses architecturales s'inspirent de la volonté commune de disposer d'un vaste édifice, non seulement pour des raisons objectives de taille de population, mais simplement pour faire mieux, au chef-lieu de canton, que le voisin : c'est Guémené qu'aura la plus grosse, d'abord.

La commission s'avise cependant qu'il paraît peu acceptable de proposer des plans correspondants à une église urbaine pour une simple église de campagne : elle décide donc de présenter un devis convenable, quitte à le modifier en cours de construction...

Cette sainte tricherie est déjouée : les trois premiers devis sont refusés. Les Simon sont favorables à un projet simple. L'affaire va traîner un peu, du coup.

On apprend par une délibération municipale du 22 décembre 1878 que le conseil de fabrique devra se débrouiller seul avec l'architecte nantais Bougouin (voir l'article : "Adieu Bougouin !"), l'entrepreneur et pour les démarches à effectuer. On y lit surtout que les revenus de la fabrique, 8.000 francs ( 25 à 30.000 euros) par an, seront entièrement affectés pendant dix ans au projet de nouvelle église.

Entre-temps, un terrain a été trouvé. Ou plutôt offert par Madame Louise-Marie-Caroline-Philomène Jan du Bignon, épouse de Monsieur Arthur-Gaëtan-César-Marie Potiron de Boisfleury, propriétaire demeurant au Boisfleury. Ce terrain de la Bidaudais (un champ de foire) est aussi conséquent que l'identité des donateurs et doit supporter la construction de la nouvelle église ainsi que "l'établissement autour de cet édifice de boulevards et d'un parvis".

Par un vote du 9 avril 1879, la Municipalité autorise le conseil de fabrique à accepter ce don, aux conditions fixées par la bienfaitrice (?).

L'affaire se débloque définitivement dans le courant de l'année 1883 où la souscription lancée auprès de la population est close : elle rapporte 61.000 francs (200.000 euros), avec des oboles variables (de 1 à 10.000 francs). Tant et si bien que la bénédiction de la première pierre a lieu le 21 septembre 1884, avec évêque et fanfare. D'ailleurs, les communes avoisinantes sont conviées à la fête.

Ensuite, les travaux vont à un rythme rapide. Comme c'est l'usage, à côté des dons en argent, des participations en nature sont sollicitées (charrois et travaux manuels divers).

Bien entendu, le devis n'est pas respecté et on cherche à revenir au plan pharaonique initial...Finalement, le dimanche 4 juillet 1886 a lieu la première messe, suivie par la bénédiction de l'église le 4 août.


L'histoire cependant va se poursuivre longtemps encore pour des raisons financières  : quêtes, secours de l'Etat, emprunt...vont se succéder, consécutivement à la démesure des maîtres d'ouvrage. Autres conséquences : l'ajournement sine die des travaux de la façade et du clocher, et le rafistolage affreux qui a défiguré l'oeuvre du curé Revert et de l'architecte Bougouin, auquel on a procédé il y a quelque temps.


C'est à la démesure de ses promoteurs que l'on doit également bien entendu le fait que, malgré l'espace concédé par les Boisfleury, cette église a dû être orientée Nord-Sud et non Est-Ouest comme c'est la règle.

J'ai pas mal publié de textes de d'illustrations sur ce bâtiment et ses détails extérieurs ou intérieurs, que l'on peut trouver en tapant "église de Guémené" dans le barre de recherche en tête de ce blog.

Le curé Revert souhaitait être enterré dans sa "cathédrale" : je ne crois pas que la translation de ses cendres eut bien lieu comme envisagé, mais, comme par hommage, terminons sur la plaque qui, à l'intérieur de l'édifice, est supposée marquer l'endroit de son ensevelissement :


samedi 24 août 2013

Histoire (politique) de la (re-)construction des églises de Guémené (1)


Voici mon dernier article, après le presbytère et les écoles confessionnelles, consacré aux constructions de la paroisse de Guémené au XIXème siècle, inspiré de l'étude de Marie-Pierre Guérin : "La Paroisse de Guémené-Penfao au XXème siècle", que je me suis procurée récemment.

L'existence de la remarquable et massive église actuelle résulte notamment de la décadence de l'ancienne église et de la pression démographique que connaît la commune au XIXème siècle. Mais c'est bien sûr aussi un acte d'affirmation triomphante du catholicisme fin de siècle.

Je me propose dans cette première partie de partager avec vous les derniers instants (assez longs d'ailleurs) de l'église antique de Guémené qui se trouvait comme on sait à l'emplacement de l'actuelle place Simon.

Le 8 juillet 1795, une bande assez nombreuse de Chouans attaque Guémené, commune globalement acquise à la Révolution. Les Républicains plient sous le nombre et se réfugient dans l'église immémoriale. Hélas, leurs poursuivants (tous Chouans qu'ils sont) mettent le feu à l'édifice (mais la morale religieuse est sauve : les Bleus font une sortie et culbutent les royalistes incendiaires).

Sans être totalement abattue, l'église antique de Guémené est bien abîmée, à l'extérieur et à l'intérieur. Rapidement la question de sa restauration s'impose aux autorités que sont, d'une part, la Municipalité et, d'autre part, la fabrique, c'est-à-dire l'organisme paroissial en charge des questions matérielles.

Ainsi, le 26 nivôse an XI (le 16 janvier 1803, pour les mauvais patriotes...), François Simon étant maire de la commune, le Conseil Municipal évoque l'urgence à procéder à des réparations. Peu de temps après sa création, le 18 janvier 1805, le conseil de fabrique s'inquiète également de l'état de l'église.

Rapidement on passe de la parole aux actes. Les paroissiens sont mis à contribution via une quête. La fabrique (qui dispose de revenus) et la Municipalité se joignent à l'effort de la base.

Dans un premier temps, la toiture est posée. Puis en août 1806, un clocher est fini d'être édifié (payé à nouveau par les paroissiens). Dans les années qui suivent, c'est le tour des réparations intérieures : fenêtres, bancs et chaises, fonts baptismaux, lambris...), tant et si bien que vers 1815, l'église ressemble enfin à une église, et moins à une ruine, décente pour son objet, à savoir le culte.

Vers 1800, la population de Guémené se monte à environ 3.500 habitants. Vers 1830 s'amorce une montée démographique qui va conduire au doublement de cet effectif, cinquante ans plus tard. Les premiers effets de cette envolée se font sentir rapidement : la capacité d'accueil de l'église est insuffisante.

La fabrique décide le 15 janvier 1832 qu'un agrandissement s'impose. Une commission est formée entre le conseil de fabrique et les notables du cru (les plus imposés, ceux qui ont l'argent) pour la surveillance des travaux qui débutent en 1834.

Comme de bien entendu, les paroissiens sont priés d'apporter leur cote-part : dons, fourniture de bois de charpente, charrois gratuits...

Ainsi, la tour de l'église est (re-)construite dès cette première année, la cloche étant bénie le 7 janvier 1835. Mais malgré l'avancement des réparations, la "vie" cultuelle dans le bâtiment demeure extrêmement précaire. Le curé de l'époque, monsieur Coué, la décrit dans un courrier adressé le 28 août 1835 à un collègue : 

"Nous sommes sans porte de sacristie, sans balustrade, sans carrelage. Bientôt cependant les murs dedans seront au moins crépis avec un peu de terre et de chaux."

C'est que le problème n'est pas qu'esthétique, comme l'exprime encore le pauvre curé Coué :

"Vous seriez surpris par l'énorme quantité de poussière qui s'élève dans l'église comme un tourbillon, les dimanches à chaque fois que les pauvres bonnes femmes se lèvent en secouant leurs cottes imprégnées."

Au passage, on relève que les hommes font moins de poussière, mais les conséquences de cette situation sont néanmoins dramatiques, couine le saint homme :

"Nous en sommes aveuglés jusque dans le choeur....à chaque fois il faut une nouvelle lessive. Jugez de notre position et de la propreté de nos cérémonies."

Il faut bien penser, hélas, qu'à la messe du dimanche les couches ordinairement plus propres de la société cohabitent avec "les bonnes femmes" : que penser en effet d'une messe qui transforme les maîtres en statues de poussière...Et puis la lessive, à l'époque, c'est quand même sans machine...

Comme si ça ne suffisait pas, il y a l'hiver où c'est bien pire :

"Tout l'hiver nous grelottons sur notre poussière et sur nos ardoises en plein vent".

En 1836 les travaux ont progressé : la sacristie est réparée, la charpente côté nord également, le crépissage intérieur est terminé. Malheureusement, il reste le côté sud toujours en suspens et cela provoque la détérioration des travaux déjà exécutés...C'est encore le manque de moyens financiers qui entrave la bonne fin de la restauration.

En juillet 1837, par exemple, le conseil Municipal se réunit et aborde la question. Le Maire de Guémené déclare qu'il va bien falloir céder aux instances du conseil de fabrique, et terminer les réparations.

Malheureusement, il n'y a plus d'argent car on a décidé de construire une halle et des chemins. On se résout donc à demander un "secours" au préfet pour faire au moins la couverture. Cette délibération permet d'ailleurs de mesurer l'ampleur du travail à accomplir, telle que rappelée dans la discussion du Conseil :

- travaux extérieurs

Crépissage de l'église sur 180 pieds (55 m) de longueur et 80 pieds (24 m) de hauteur, pour les murs ; sur 53 pieds (16 m) de longueur et 35 pieds (11 m) de hauteur, pour les pignons ;

Érection d'une tour de 18 pieds au carré (5,5 m x 5,5 m) sur 80 pieds (24 m) de hauteur ;

Couverture en plomb de la tour surmontée d'une plateforme portant une croix de fer.

- travaux intérieurs :

Lambrissage des deux bas-côté et de la moitié de la nef ;

Carrelage de la totalité de l'église ;

Réfection à neuf de trois autels et des boiseries du choeur ; peinture pour le décor de l'église ;

Escalier, 4 planchers et crépissage intérieur de la tour.


En réalité, l’exécution du programme de travaux ne sera effective (et encore) qu'en 1841, soit sept ans après le lancement du projet !

Cependant, les difficultés rencontrées n'ont pas permis au final de reconstruire un bâtiment remarquable, soit pas son esthétique soit par sa qualité matérielle. Ainsi, en 1846, à la faveur de la visite de l'évêque de Nantes, le curé décrit encore une église peu appétissante... :

"Une des sacristies n'est pas finie, la tour de l'église n'a pas de terminaison et sa couverture en zinc laisse pénétrer la pluie qui endommage la charpente. La tour n'est point lambrissée...Les murs à l'extérieur comme à l'intérieur sont passables pour la propreté mais peu solides".

Pour autant, il faudra bien vivre avec, pendant quelques décennies encore. Car ce n'est qu'à l'été 1886 qu'un nouveau bâtiment sera ouvert au culte.

A suivre, donc. 

En attendant, je remets des illustrations (déjà publiées) de l'ancienne église, peu de temps avant sa mort, vers 1880 :






mercredi 21 août 2013

Histoire de l'école de garçons de Guémené


Voici venu le temps de parler des garçons. Du moins de ceux de l'école Saint-Michel.

Comme celle des filles dont on a parlé hier, la question d'ouvrir une école catholique de garçons s'inscrit dans la réaction de l'Église à la progressive laïcisation de la société - et en particulier de l'enseignement, à la fin du XIXème siècle et au début du XXème.

Persuadé que l'athéisme qui conquiert les villes commence de gangrener aussi les campagnes, et que le vecteur principal de cette infection mortelle (pour l'âme) est l'école publique, laïque et obligatoire, l'évêque de Nantes, Mgr Rouard, un monarchiste bon teint, décide d'orchestrer la contre-attaque par le déploiement d'écoles concurrentes dites "libres". Cet évêque déclare ainsi que les écoles, l'enseignement catholique, lui sont plus chers que les églises du diocèse : c'est dire son engagement...

Le curé de Guémené est Alexandre Arbeille. Il a succédé en 1899 au curé Revert, promoteur de la construction de l'énorme église actuelle de Guémené, sujet abordé précédemment sur le blog.

Sa mission : complaire à son évêque. Il a déjà à son actif le succès de l'école de filles (notre propos d'hier). Sans doute le temps de souffler (et de trouver des ressources), ce n'est qu'en 1909 que l'école Saint-Michel voit le jour.

Comme toujours, le premier problème à résoudre consiste à trouver un terrain, gratuit de préférence. Comme toujours, la meilleure porte à laquelle frapper pour ce faire, est celle d'un hobereau local, propriétaire disposant de terrains en abondance. L'heureux mécène (il a dû gagner son paradis sur ce coup-là) est Monsieur de Boisfleury. Pour le reste, ce sont les mêmes ressorts que pour l'école de filles : contribution financière des paroissiens et prestation de main d'oeuvre gratuite (charrois).

Le brave Arbeille se préoccupe ensuite de recruter des cadres : un directeur, bientôt flanqué de deux adjoints laïcs, fait son apparition.

Il lui reste ensuite à organiser le recrutement des élèves. Il suffit pour cela d'exhorter les guémenois par la parole ou par l'écrit. Arbeille s'investit énormément dans ce travail. Ses arguments sont frappants et il suffit de se pencher sur un bulletin paroissial, celui du 6 février 1910 en l'occurrence, pour apprécier toute la dialectique du curé.

L'argument développé s'appuie sur un constat que chacun peut faire (ou croire faire) d'une société qui part à vau-l'eau : criminalités galopantes, suicides à tous les étages, stupre et fornication à volonté...Mais quoi de mieux que de le lire pour apprécier l'esprit de nuance cher au bon père : "Parents, ne l'oubliez pas. C'est l'éducation sans Dieu qui fait les insoumis, les voleurs, les assassins, les apaches de toute sorte !".

A Guémené, ce monitoire au tribunal de l'éducation chrétienne dut produire son petit effet dans les chaumières. Qui dans les villages, voudrait en effet prendre le risque de produire de mauvais sujets ? Comme pour les filles, le succès du curé avec son école Saint-Michel est ainsi quasi immédiat : les effectifs de l'école "libre" dépassent bientôt ceux de l'école publique.

Au passage, le bon Arbeille trouve moyen de régler le problème du financement des dépenses scolaires courantes, en inventant le "denier de la foi", offrande demandée aux paroissiens et dédiée à l'entretien et au fonctionnement de ses établissements.

A noter, pour conclure sur une note relativiste, qu'Arbeille n'eut toutefois pas que des succès. S'il vainquit la tentation des esprits de succomber aux charmes délétères de l'école du Diable, il échoua à convertir les Guémenois sur un autre point tout à fait important. Il avoue ainsi en 1899 que ses paroissiens sont des "fanatiques" de la boisson tant le vice de l'ivrognerie est ancré dans leurs mœurs. Comme quoi, à Guémené, il y avait deux liquides sacrés : l'eau bénite et le cidre (il me semble que des deux, il en reste encore un, de nos jours !)...

Pour agrémenter, voici une photo d'une classe à l'école Saint-Michel, de 1950 environ, passée par un ami, ainsi qu'une photo de notre héros du jour, le curé Arbeille, en chemise d'éternité, prise dans le cimetière de Guémené.

A bientôt pour la suite de nos aventures !




mardi 20 août 2013

Histoire de l'école de filles de Guémené


En 1836, un ensemble de textes législatifs encouragent l'ouverture d'écoles primaires dans les communes, d'abord pour les garçons (Loi Guizot), puis pour les filles (Loi Pelet de la Lozère).

J'aurai l'occasion de reparler de l'instruction des garçons.

En 1842, la première école pour filles est ouverte à Guémené. C'est une école privée. Pour enseigner les jeunes demoiselles de Guémené, le maire propose de recourir à des sœurs, celles de Saint-Gildas des Bois, en l'occurrence. Il se trouve qu'elles ont plutôt bonne réputation pour cette activité : ce sont de bonnes "classières", selon l'expression consacrée.

Cette initiative connaît un grand succès : les effectifs de l'école de filles ne va cesser de croître entre 1844 et 1871. Cela a pour effet d'ailleurs d'augmenter le nombre des sœurs enseignantes : trois en 1844 ; huit en 1879 et même dix en 1887 ! A noter que l'école accueille aussi des élèves pensionnaires (entre vingt et trente).

Les sœurs sont plutôt appréciées, non seulement de la population qui leur envoie ses filles comme on vient de le constater, mais de l'inspection académique dont les rapports les présentent comme "morales, zélées et estimées". On peut donc en conclure, au passage, que ni la morale ni le zèle n'étaient donnés pour acquis...

Nos souvenirs d'histoire nous indiquent que la fin du XIXème siècle et le début du XXème ont été des périodes de lutte d'influence entre républicains laïques et cléricaux, lutte dont l'enseignement fut un terrain d'exercice.

Une loi de 1886, la Loi Goblet, vient couronner la reprise en main de l'Ecole par la République, à Guémené comme ailleurs, en imposant que le personnel en soit laïcisé, autrement dit que les bonnes sœurs rendent leur tablier et soient remplacées par des institutrices laïques. Idem côté masculin de la chose, évidemment.

A Guémené, il semble qu'une forme de résistance se soit déployée quant à la mise en oeuvre de cette disposition, car ce n'est qu'en 1902, apparemment, que la laïcisation de l'enseignement intervient.

Mais les sacripants de l'Ecole du Diable (terminologie à peine anachronique) n'ont qu'à bien se tenir car la réplique des catholiques - hiérarchie et paroissiens - est foudroyante : l'école chrétienne pour les filles de Guémené ouvre ainsi ses portes en 1903.

Il s'agit de l'Ecole Saint-Marie, bien sûr, dont on peut affirmer qu'elle est le résultat d'une mobilisation assez transversale de la société guémenoise de l'époque.

Par exemple, le terrain est donné par Monsieur du Halgouët (après tout, c'est un propriétaire terrien) ; des contributions financières des paroissiens facilitent le financement (une bonne taxe porte nécessairement sur une large population) ; de la main-d'oeuvre gratuite est fournie pour assurer les charrois lors de la construction des bâtiments (ça rappelle le bon vieux temps et les corvées d'Ancien Régime)...

Le succès de cette école communale congréganiste est immédiat, ce dont témoigne à nouveau l'augmentation de ses effectifs.

Naturellement, l'enseignement religieux, "sorti" des écoles laïques, est présent, et certains ouvrages utilisés sont ceux qu'on trouvait déjà dans l'école des bonnes sœurs de Saint-Gildas, en 1880 : Le catéchisme du diocèse, l'Histoire Sainte, Les Devoirs du Chrétien,...

Nostalgie, quand tu nous tiens...

Ma mère, comme bien d'autres filles avant et après, a fait ses "études" à Saint-Marie. Même toutes ses études...

Elle m'en parle parfois,...les quatre kilomètres à pied depuis l'Epinay,...parfois, les repas pris le midi chez la grand-mère Françoise au village de la Hyonnais, relativement peu éloigné de l'école,... mais c'était à la fin des années 20...c'est loin...

Je ne résiste pas au plaisir de publier une photo de classe, de sa classe, de 1927, où elle figure avec 39 condisciples. Je ne sais pas s'il est facile ou courant d'avoir une photo de classe si ancienne, mais je trouve le document exceptionnel quand même. Et émouvant aussi, bien sûr : combien de petites filles de cette photo peuvent-elles encore évoquer leurs souvenirs, bons ou mauvais ?...

Ma (future) mère étant parmi les plus petites (physiquement), elle est au premier rang, presque au milieu, vêtue d'un sarrau à pois sombres qui se boutonne sur le côté et de bas noirs. On dirait qu'elle est en chaussons (les autres - sauf une autre, à droite, en charentaises également - ont des bottines), ce qui tendrait à prouver qu'elle venait à l'école en sabots...

J'imagine que c'était une de ses premières photos. Son regard noir de petite fille de six ans paraît assez farouche sous la petite frange...

Le cliché a dû être pris devant le bâtiment qui se trouve le plus éloigné de la route, dans la cour figurant sur la dernière photo à la fin de ce post.







Je suis retourné à l'Ecole Saint-Marie, dimanche dernier, faire quelques photos. La vie continue...










vendredi 16 août 2013

Caprices de Marquise


Ce n'est pas tous les jours facile d'être curé. 

L'abbé Querrion qui officiait à Guémené sous le Second Empire en savait quelque chose et, à l'occasion, s'épanchait auprès de son évêque, le bon Monseigneur Jaquemet de Nantes ou, du moins, auprès de son vicaire général. C'est ainsi d'ailleurs que l'on conserve le souvenir de ces petites difficultés de la vie sacerdotale et sociale.

D'une, en particulier, qui mit aux prises ce curé de à une châtelaine de l'époque.

L'époque, c'est 1867. Si Napoléon III est Empereur à Paris, Henriette-Marie-Elisabeth Leviconte de Blangy, Marquise du Brossay par la grâce de son mariage avec Louis-Marie-Philippe de Becdelièvre, règne en son château et sur ses gens, un peu loin de tout, en sa terre située à deux lieues au nord du bourg de Guémené.


Le château du Brossay possède une chapelle privée, lieu de sépulture et d'offices religieux. Considérant son éloignement du bourg (8 kilomètres), on comprend la tentation de tenir les cérémonies dans ce petit temple (reconstruit en 1836 et inauguré par l'évêque de Nantes Antoine Jacquemet), au profit des châtelains, de leur domesticité, voire de leurs métayers.

Cette tentation taraude la Marquise Henriette. Elle fait donc savoir au brave curé Querrion (en particulier à la veille de grandes fêtes de la liturgie catholique), qu'il serait bon qu'il passe la voir au château, histoire de la confesser en sa chapelle.

La raison invoquée par la noble dame est, somme toute, parfaitement naturelle : le temps et les chemins sont mauvais...(il va sans dire qu'ils étaient en revanche encore assez bons pour le curé...) et Henriette-Marie-Elisabeth craint d'abîmer sa voiture et ses chevaux...

D'où il vient qu'un curé vaut moins qu'un cheval de Marquise. A cette aune-là, que vaut alors un domestique ou un métayer ?!

Jusqu'à récemment, le curé Querrion a refusé d'obtempérer. Mais c'est qu'il avait une parade : de telles cérémonies nécessitent une autorisation de l'évêque. Celle-ci n'ayant pas été délivrée, il était facile d'envoyer aux pelotes la Marquise. Or l'abbé Querrion craint que l'évêque n'accorde justement cette  permission, cette année...

Dès lors, dit-il, la Marquise saura en profiter. Il ajoute, ce qui permet de se faire une idée du portrait au moral de cette gente personne, que "quand elle veut une chose elle ne comprend pas qu'il puisse y avoir une raison valable pour la lui refuser". On ne devait pas rigoler tous les jours au château du Brossay et dans ses métairies...

Le curé Querrion aura gain de cause et l'évêque ne donnera pas sa permission. C'est que l'évêque sait à qui il a affaire.

En effet, à ses talents de collet monté mal embouché, la Marquise prétend ajouter des talents littéraires propres à satisfaire notre Sainte Mère l'Eglise. Elle a ainsi commis un petit opuscule de piété, il y a quelque temps, pour lequel elle a souhaité obtenir l'approbation de l'évêque de Nantes. Elle lui a donc transmis...

Il faut croire que les grands talents s'exposent à l'injure de l'incompréhension, même de la part d'un évêque.

Car Monseigneur Jacquemet n'a pas vraiment trouvé le livre de piété de la Marquise à son goût. En tout cas pas à des fins de piété. Comme combustible, ça se regarde : "c'est un ouvrage bon à jeter au feu..." s'étrangle le prélat nantais. Et comme souvent, l'envie suscite la bassesse : "il n'est pas écrit en français..." poursuit le colérique mitré.

On peut d'ailleurs se demander si l'évêque avait toute sa tête ce jour-là, avouant lui-même ni rien comprendre : "...beaucoup de choses n'ont pas de sens commun...". Et puis, il confesse également les limites de sa culture et de son expérience, reconnaissant : "...je n'ai jamais vu pareil galimatias...".

Sensible néanmoins à la fatuité marquisale, et donc charitable, il en déconseille la publication car : " l'impression couvrirait son auteur de ridicule...". Et voilà probablement comment un mauvais sens critique épiscopal vous prive d'un chef-d'oeuvre littéraire et catholique.

Evidemment, on peut difficilement considérer que les allégations de l'évêque forment "une raison valable", susceptible de s'opposer à la volonté de la Marquise de faire publier son oeuvre. L'abbé Querrion, le pauvre, a dû se faire sonner les cloches pendant un bon moment...

jeudi 15 août 2013

Histoire du presbytère de Guémené


Le hasard fait parfois bien les choses. Tapant sans réfléchir "penfao" dans le moteur de recherche du site Leboncoin.fr, en restreignant la recherche aux livres, il me remonte deux ouvrages, mis en vente par une libraire probablement tant les annonces étaient professionnelles, avec description détaillée de l'ouvrage. Pas très cher non plus, je l'acquiers et peu après le reçois. Je l'ai.

Le livre s'intitule "Eglise et Société dans l'Ouest atlantique du Moyen Age au XXè siècle". Un chapitre, décrit dans l'annonce, avait excité ma convoitise : "La paroisse de Guémené-Penfao au XIXe siècle" par Marie-Pierre Guérin.

Apparemment, c'est un centre de recherche de l'Université de Nantes qui publie des études dans une revue dont chaque livraison est consacrée à un thème. La revue s'appelle "Enquêtes et documents". C'est le numéro 27 de cette publication qui vient enrichir ma connaissance de l'histoire de Guémené, côté vie religieuse.

Le XIXè siècle religieux à Guémené, comme dans l'Ouest en général, est marqué par la construction ou reconstruction de nombreux édifices confessionnels : églises, écoles, presbytères.


Vers la Reconquista :

Le presbytère de Guémené, originellement, se trouvait bien à l'emplacement de l'actuel, face à l'école publique, à la naissance de la route de Redon. C'était un bâtiment construit au milieux du XVIIe siècle, à l'époque du jeune Louis XIV, par conséquent. 

A la Révolution, ce lieu où tant de sainteté s'était sédimentée au fil du temps, le  presbytère antique de Guémené, est - horreur ! - vendu comme bien national à de vils bourgeois cupides. Pour comble, c'est un curé, qui a juré fidélité à la Révolution (le mécréant !) et qui officiera à Guémené comme curé "constitutionnel" (sans beaucoup de succès à ses messes, paraît-il), c'est un curé dis-je qui, joignant l'ignoble à l'ignominie, se porte acquéreur du saint bâtiment. Sûr que cet Antéchrist doit bien cuire à petit feu d'Enfer, aujourd'hui encore !

Ce brave homme se nommait François Maillard. Il était allié de la famille Corpron alors propriétaire du Château de Tréguel. Tenant les registres d'Etat-Civil de Guémené jusque vers 1800, il en fut en quelque sorte l'un des tous premiers maires. Il méritait bien une demeure à la mesure de son rôle émancipateur...

Toutefois, le souffle décapant de la Révolution s'atténuant progressivement, les esprits s’apaisent peu à peu et la vieille garde ecclésiastique antirévolutionnaire refait progressivement surface. Mais voilà, le presbytère, comme on vient de le voir, ne lui appartient plus. En attendant de le récupérer - car tel est leur dessein - ces bons pères louent le "Grand Logis", près de l'actuelle Place Simon.

L'oeuvre de récupération du presbytère va ainsi commencer en 1810 par des approches de la commune qui ne vont d'ailleurs pas loin, faute d'argent. C'est alors que de bonnes âmes vont jouer les intercesseurs. Il se trouve que ce sont de bonnes âmes riches, ce qui tombe bien vu le problème à résoudre. Elles ont noms Pierre-Michel Frèrejouan du Saint, le comte de Bruc, Poulpiquet du Halgouët.

Ces pieuses personnes vont proposer en 1826 d'acheter l'ancien presbytère en attendant que la commune réunisse les fonds nécessaires. La "fabrique" de Guémené, organisme paroissial qui gère les affaires temporelles et qui tire ses revenus de la location des bancs et chaises à l'église et de différents dons et legs, fort riche, propose d'aider la commune : en 1832, le presbytère est enfin racheté par la commune et la "fabrique".

Comme on le voit, la municipalité a été constante dans sa politique de rachat, probablement sous la pression des paroissiens, ce dont témoigne aussi l'engagement dans ce rachat de la "fabrique".


Vers la reconstruction :

Hélas, ce bonheur est de courte durée. Dès 1855, soit deux siècles après sa construction et un peu plus de vingt ans après sa récupération, le bâtiment apparaît en très mauvais état, incapable d'accueillir correctement le clergé de la paroisse.

L'idée de sa reconstruction germe et s'impose à partir de 1860. Mais le Diable s'en mêle et l'affaire va cafouiller quelques années encore : faute d'argent, faute de dossier complet, projet rejeté par la commission des bâtiments civils...

Pourtant les choses ne s'arrangent pas. Un architecte nommé Gilée établit en 1863 un rapport alarmant, déclarant tout bonnement le presbytère inhabitable tant en raison de son insalubrité que de son insécurité : il estime que la prudence exigerait même une évacuation immédiate des lieux ! Si même Dieu nous abandonne !...

Comme l'affaire traîne maintenant depuis un demi-siècle, un des prêtres de la paroisse, l'abbé Querrion rapporte dans une lettre à un collègue que la population est très mécontente de ces retards et "qu'elle murmure"...Une chouannerie, mon père ?...

Heureusement, en attendant, des dames charitables et solidaires offrent gratuitement le gîte et le couvert aux bons pères évacués, adoucissant ainsi leur exil. Ce faisant, elles gagnent assurément leur Paradis (ainsi d'une madame de La Villeaubry...).


Le Nirvana :

La bénédiction de la première pierre tant attendue se produit le 7 juin 1864. L'évêque de Nantes a fait le déplacement et tout le monde à Guémené, clergé, paroissiens, municipalité, a mis "les petites patènes dans les grandes", si je puis me permettre.

On a transformé les rues du bourg en allées de verdure...la terre est jonchée de fleurs et de feuillages...de distance en distance, s'élèvent de gracieux arcs de triomphe..."qui attestaient la foi et le bon goût de la pieuse population de Guémené".

Bref, la teuf totale. Le bon évêque avance doucement, engoncé dans ses habits épiscopaux qui rutilent au soleil, la crosse à la main (je m'emballe peut-être un peu, là...). Quelques petites bénédictions par ci par là, lancées d'une main onctueuse et accompagnées d'un petit sourire bienveillant figé au milieu d'une petite face parcheminée toute rose...Des prêtres en soutane noire virevoltent autour du bon prélat comme des fourmis autour de leur reine...

Monseigneur (Antoine Jacquemet) fait une allocution où il souligne les efforts du peuple chrétien de Guémené pour son nouveau presbytère, et, mon Dieu, les efforts qu'il devra encore faire d'ailleurs...vu qu'il n'est pas encore construit...

On n'a pas tout bien entendu, mais on est content.

La fête se termine. Le curé Querrion et ses vicaires ne pendront, quant à eux, la crémaillère qu'en septembre 1865.

Ce nouveau presbytère, construit comme une maison de maître dans un style néo-gothique, passe pour le plus beau du diocèse. Les paroisses alentour l'admirent et l'envient (péché capital !). Les paroisses riches le prennent comme modèle...

Il y a bien l’évêché qui trouve l'ardoise un peu salée...(plus de 24 000 francs de l'époque : peut-être 75 000 euros) mais bon, c'est pas tous les jours fête...

Pour finir, je joins à ce petit récit édifiant quelques photos de mon cru prises au printemps dernier (maussade) : enjoy !









samedi 10 août 2013

Il fallait Heuzé !


Tandis que Louis-Napoléon continue de berner les Français et poursuit sa marche vers l'Empire (le second bien sûr) ; tandis que les élus municipaux de Guémené n'en finissent plus, avec la même conviction à chaque fois, de prêter serment au Président, au Prince-Président et bientôt à l'Empereur, l'année 1851 s'annonce égale à elle-même et surtout aux années précédentes, pour les quelques 4.600 guémenois, malades et infirmes compris.

Pourtant, le destin mijote aux habitants des villages et des bourgs de la commune et des communes environnantes un coup bien terrible, sous la forme d'une épidémie dont la nature demeure inconnue.

L'importance du phénomène peut s'appréhender à la lecture du graphique ci-dessous :


J'y ai représenté pour les années 1848 à 1855 le nombre annuel de décès constatés à Guémené, mais aussi dans les communes avoisinantes de Plessé, Avessac, Derval, Pierric, Conquereuil, Marsac et Le Gâvre.

Il n'est pas besoin d'être très fort en statistiques pour s'apercevoir que l'année 1851 présente un pic de décès très marqué, dans toutes ces communes, mais particulièrement à Guémené, Plessé et Avessac.

A Guémené, par exemple, il y a ordinairement moins de 100 décès annuels et les valeurs relevées toutes les années sont toutes très proches les unes des autres : c'est donc la situation normale, pour cette période. Sauf justement en 1851. 

La surmortalité de 1851 représente 140% de morts en plus par rapport à la norme. Et c'est en gros pareil à Plessé, Avessac et le reste des communes étudiées.

Cette surmortalité survient de façon très brutale et se concentre sur 3 mois : août, septembre et octobre 1851.

A Guémené, on compte ordinairement 7 à 8 décès en moyenne par mois. Et c'est d'ailleurs ce qui s'observe encore de janvier à juillet 1851 et de novembre à décembre de cette même année.

Mais les choses se corsent en août : après 10 décès en juillet, on passe en effet à 82 ! Puis septembre en produit encore 66, mais la décélération est en cours puisque octobre n'en compte plus que 23.

Ces trois mois concentrent 70% de la mortalité de 1851 à Guémené.

Pour aller plus loin, j'ai essayé de comprendre quelles étaient les victimes de cette épidémie.

Pour ce faire, j'ai regardé la répartition des décès de 1851 à Guémené, par classe d'âge, en distinguant les 3 mois de l'épidémie des 9 autres mois (normaux) de l'année. Le résultat est présenté sur le second graphique ci-après :



En bleu, le nombre de décès des 9 mois normaux ; en violet, le nombre de décès des 3 mois épidémiques. Chaque paire de bâtons bleus et violets est associée à une classe d'âge : moins de 1 an, de 1 à 3 ans, de 4 à 8 ans, etc...

Lors des 9 mois normaux (bleus), les décès sont soit le fait de jeunes enfants, soit le fait de gens relativement âgés. Ainsi, 13 bébés n'ont pas dépassé 1 an, et 17 personnes d'âge compris entre 66 et 76 ans ont quitté ce monde. Aucun jeune de 9 à 25 ans n'est mort (pas de bâtons bleus).

En revanche, l'examen des bâtons violets indique sans ambages que l'épidémie n'épargne aucune classe d'âge au cours des 3 mois fatidiques de 1851, sauf peut-être les classes d'âge extrêmes, les nourrissons et les gens les plus âgés. Mais surtout, elle frappe spectaculairement les enfants de 1 à 12 ans : 79 morts en 3 mois contre 11 en 9 mois !

On se dit qu'un tel séisme à dû laisser quelques traces. Aussi ai-je ensuite parcouru les délibérations du Conseil municipal de Guémené pour cette période. Mais les comptes-rendus sont muets et rien ne semble donc avoir été entrepris par les pouvoirs publics pour lutter contre le mal ou secourir les familles. Pas même la moindre déploration sur la dureté des temps. Fatalitas !

J'ai cherché aussi, mais en vain, si une épidémie était répertoriée à cette date pour cette région : sans doute ces poussées épidémiques faisaient-elles partie de l'ordre des choses. Des remèdes de bonnes femmes, quelques prières, un peu d'encens, une pelletée de terre...et on passe à autre chose.

Il se trouve que cette année 1851 était une année de recensement. Par on ne sait quelle inspiration, on avait demandé aux agents recenseurs de s’intéresser à l'état de santé de la population. On dispose donc de cette photographie intéressante des "maladies ou infirmités apparentes" de la commune.

La bonne nouvelle, c'est que l'on ne dénombrait alors qu'une soixantaine de malades ou infirmes "apparents". Pour la moitié d'entre eux, la nature du mal n'était toutefois apparemment pas très claire...Ainsi 29 de ces malheureux sont affligés d'un mal non identifié.

En revanche, on dispose des éléments précis pour l'autre moitié : ainsi Guémené compte 5 aveugles et 9 borgnes. Les sourds et muets ne paraissent pas très nombreux, mais le chiffre est illisible. On relève par ailleurs 3 aliénés (dont 2 à domicile) et 1 goitreux. Il n'y a semble-t-il que 7 bossus (je suppose que c'est ce qu'il faut entendre par "affligés d'une déviation de la colonne vertébrale"), 2 manchots et 1 unijambiste. A cela ajoutez 2 pieds bots, et vous aurez votre compte.

On imagine tout à fait les enquêteurs auscultant du regard les paysans de Guémené pour vérifier leur physique...

Ces catastrophes furent peut-être une aubaine pour le corps médical guémenois. Éclopés  et malades avaient le bonheur d'être confiés au bon soin d'un jeune médecin, Jean-Baptiste Heuzé.

Né natif de Guémené en 1825, ce médecin n'a pas laissé de thèse à la postérité : il n'était donc pas docteur mais simple officier de santé. Il avait dû effectuer sa formation médicale dans une "école préparatoire" départementale (celle de Nantes probablement) sous la férule de vrais professeurs d'université. Il n'avait donc pas de diplôme (pas même les deux baccalauréats de l'époque) sinon celui d'officier de santé décerné par un jury départemental, qui l'autorisait à exercer dans la Loire-Inférieure seule.

Sûr que la population de Guémené était entre de bonnes mains...Il faut croire qu'elle lui fit cependant bonne figure et qu'il se fit un bon petit nid, car l'un de ses fils, vrai docteur cette fois, allait prendre sa suite quarante ans plus tard.

dimanche 4 août 2013

Adieu Bougouin !


L'église de Guémené m'a fourni pas mal de matière pour ce blog. A chaque fois, toutefois, on y traite de points particuliers, comme les vitraux ou des sculptures. Mais, plus globalement, on ne trouve rien facilement sur le Net, par exemple sur l'histoire de cet imposant édifice, et très peu sur son concepteur, l'architecte nantais François Bougouin.

Natif de Nantes, il y mourut le 18 avril 1933 à l'âge de 87 ans, en sa demeure du 46 de la rue Bel-Air. Ses obsèques eurent lieu le 21 avril suivant, dans l'église Saint-Similien. Il fut enterré au cimetière de Miséricorde, non loin. Bref, une dernière promenade dans son quartier.

Il semble qu'à part le monde catholique officiel et la profession du bâtiment, peu de gens se soient souvenus alors de cet homme : ainsi, Ouest-Eclair, qui mentionne parmi d'autres annonces son décès, ne lui consacre aucune ligne. Symboliquement, son domicile a été remplacé depuis par un édifice récent : tout concourt à l'effacement de François Bougouin dont je n'ai même pas trouvé la photo.

C'est d'autant plus curieux qu'il a laissé des traces visibles et nombreuses de son activité, très concentrées dans la région de Nantes et le Pays de Retz, sous la forme d'édifices religieux, parfois démesurés et toujours en place.

Peut-être cela vient-il de son accointance avec la hiérarchie catholique dans une période marquée par la lutte des clans laïcs et religieux. On ne sait. Toujours est-il que la reconnaissance lui vint de l'Eglise : il était ainsi Chevalier de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, une breloque accordée par le Vatican qu'on imagine sur un coussin de velours rouge posé sur son cercueil, et c'est dans la gazette du Diocèse de Nantes (la "Semaine religieuse") que vint, à sa mort, l'hommage qui faisait défaut ailleurs et dont je m'inspire ici.


En vérité le petit père François a bien  mérité du Diocèse, notamment en tant que père de plus de vingt églises paroissiales dans la région de Nantes. Citons entre autres : Bouguenais, Bourgneuf-en-Retz, Chéméré, La Limouzinière, Les Sorinières, Saint-Cyr-en-Retz, Saint-Hilaire-de-Chaléons, Saint-Philibert-de-Grand-Lieu (chapelle des Franciscaines), Vertou, Aigrefeuille et bien sûr Guémené.

Son oeuvre a aussi consisté à compléter (ajouts de clochers, par exemple), restaurer, décorer des églises déjà construites. Il a aussi beaucoup oeuvré à doter de chapelles les collèges, les communautés religieuses, les châteaux et cimetières. Et tout cela ne l'a pas empêché de construire aussi des écoles, des presbytères ou des couvents ! Comme le dit son panégyriste : c'était un grand chrétien, un éminent artiste, un travailleur tenace...




La première église de François Bougouin  est celle de Notre-Dame-de-Toutes-Aides, en 1878, à Nantes. Il s'illustre également dans la chapelle de l’Ouvroir Saint- Joseph, rue du Chapeau-Rouge, ou celle de l’école Saint-Stanislas (qui dispose d'un orgue "Cavaillé-Coll" de 13 jeux), à Nantes. Mais on pourrait tout aussi bien signaler la chapelle du petit-séminaire de Notre-Dame-des-Couëts (devenu lycée professionnel) ou celle de Cougou à Guenrouët.

On peut, semble-t-il, parler d'un style "Bougouin". Ce dernier est en effet "hanté" par la Sainte-Chapelle de Paris. Et il n'a de cesse de mettre en pratique ce goût pour des murs percés de grandes baies ajourées comme de la dentelle,  ou pour des colonnes fines qui portent des voûtes à nervures multiples, ou encore pour des contreforts légers munis de pinacles ouvragés.

Si ces traits donnent un air de ressemblance aux églises de l'architecte, les détails les distinguent.

Par exemple, les colonnes intérieures peuvent être complètement lisses (Saillé, Fay-de-Bretagne) ou, inversement, présenter des aspérités, "comme des nœuds de tiges de bambou" (Guémené-Penfao). Ces colonnes peuvent être nombreuses et accompagner toute la nef (Aigrefeuille, La Rouxière) ou se faire rares, quatre d'entre elles, centrales, venant juste soutenir les voûtes en plus des murs (Conquereuil, Le Pin).

La variabilité du style de Bougouin s'observe principalement dans ce qu'on appelle le "remplage" des fenêtres, c'est-à-dire l'ossature de pierre des baies.

De simples lancettes - fenêtres étroites et verticales qui divisent une verrière - peuvent suffire (chœurs de Fay-de-Bretagne et de Notre-Dame-des-Langueurs, chapelles des Sœurs Franciscaines de Saint-Philbert-de Grand-Lieu et des Sœurs Oblates de Chantenay).

Mais ailleurs, une rose à redents surmonte chaque baie jumelée (Saint-Hilaire-de-Chaléons et Orvault) ; parfois des quatrefeuilles terminent chaque fenêtre (Vay). Ailleurs encore, des trèfles se superposent en une dentelle compliquée (Saint-Similien à Nantes, Saint-Cyr-en-Retz). Même le style flamboyant est représenté (Saint-Julien-de-Vouvante).

Les façades non plus ne sont pas d'un même modèle : tantôt le clocher est dans l'axe de la façade et l'amenuise (Aigrefeuillle, La Rouxière) ; tantôt il est posé à côté de celle-ci (Guenrouët, Saint-Hilaire-de-Chaléons). A Guémené, on n'en aura pas.

Bref, Bougouin a essayé toutes les variations possibles et on pourrait disserter à l'infini sur les clochers, les porches, etc..., jusqu'au point de se demander s'il avait vraiment un style...

Comme si cela ne suffisait pas, il ne s'est pas contenté de s'inspirer du gothique. Bien de ses oeuvres, en effet, font clairement référence au style roman : par exemple les églises paroissiales de Saint-Herblon ou N.D.-de-Pompas). Mais la grande œuvre de ce style demeure encore la vaste église de Bouguenais.

Quant aux églises qu'il a "décorées" ou restaurées, mentionnons celles du Gâvre, de Batz, de Pontchâteau ("une frise blanche aux rinceaux plantureux") ou de Nozay. Ajoutons enfin l'église Saint-Nicolas à Nantes où Bougouin dessina le buffet de l'orgue...

Bougouin, au style si plastique et spectaculaire, bien en cours dans l'Eglise de son temps et de sa région, était ainsi l'homme inévitable quand s'est présenté le projet de reconstruction d'une église à Guémené.

Avec lui, on était sûr d'obtenir ce qu'on voulait, quoiqu'on veuille.