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lundi 13 août 2012

Savez-vous tirer les chèvres ?


Je dois à l’amitié d’ A. P., qui m’a déjà fourni tant de renseignements utiles sur Guémené, d’avoir entendu parler d’une vieille tradition.

Il s’agit d’une pratique liée à la célébration de la Saint Jean, et qu’il a vu faire à son grand-père, à Guémené, sans doute encore autour de 1950.

Cette coutume s’appelle « tirer les joncs (ou les chèvres)».

J’ai trouvé en cherchant sur Internet trois témoignages concordants, que je restitue ci-après, qui permettent d’en saisir les modalités et qui montrent également que cette coutume a été, un temps, partagée par toute la Bretagne : la Haute (Pays Gallo) comme la Basse (Pays Bretonnant).

Je transcris également à la fin de l'article un extrait d'un ouvrage de 1886 (Les coutumes populaires de Haute-Bretagne, par Paul Sébillot) qui évoque cette question.

Les témoignages semblent indiquer que cette coutume était en voie d’extinction il y a déjà 60 ans ou plus. Mais j’aimerais bien savoir si quelqu’un d’autre à Guémené en a gardé quelque souvenir ?


Dans le pays de Saint-Pol-de-Léon

Dans le Léon, dans le Nord-Ouest de la Bretagne donc, lors des feux de la Saint-Jean, on faisait chanter les bassines de cuivre à l'aide de brins de joncs.

Au crépuscule, au moment de l'embrasement du tantad (feu de joie), les sonneurs se mettaient en action. 

Une bassine au fond rempli d'eau est posée sur un trépied. Tandis qu'un sonneur tient les brins de jonc contre le bord, l'autre y fait glisser ses doigts humides et le frottement engendre une vibration qui se transmet au chaudron. 

Le son produit est un bourdonnement puissant et continu, qui s'entend de très loin, comme un vacarme qui envahit la nuit.


Dans la région de Rennes

A la Saint-Jean, le feu flambe sur une hauteur pour être vu de tous côtés, et la paesle (bassine) d'airain est posée sur un trépied renversé. 

Une personne prend cinq à six brins de joncs, les confie à une deuxième personne qui s'assoit près de la paesle et les tient fermement. L'autre fait glisser ses doigts sur les joncs en les humectant de temps à autre dans l'eau. Le mouvement rappelle celui de la traite d'où les expressions "tirer les joncs", "tirer la chèvre".

Le grincement des joncs devient un bourdon uniforme, à peine modulé, le volume du son atteint des sommets. Les gens se mettent à chanter autour de la paesle. Le tireur baisse le son et s'accorde au rythme du chant, alors le chant passe dans la paesle sonnante et est amplifié.

Un homme pose son couteau sur le bord de la paesle, qui se met à tressauter en émettant un bruit de martellement, le chant s'arrête. Le tireur redonne du volume en conservant le rythme de la chanson précédente. L'homme enlève son couteau. Le son devient lancinant et une mélodie qu'on dirait aléatoire se met à danser sur la note grave du bourdon. Les ridelles de l'eau s'organisent en un schéma qu'elles ne quitteront plus. Chaque paesle dessine un motif différent.



***

Sur un trépied, raconte un autre témoin, on disposait une bassine en airain souvent appelé pelle, au-dessus de laquelle on tendait une ou plusieurs tiges de joncs qu’une personne maintenait en contact avec la bassine. 

Une autre personne, disposée en face, faisait alors glisser le jonc entre ses doigts pour le faire vibrer. Lorsque la vibration était suffisante celle-ci se propageait à la pelle qui émettait alors un son grave et continu. 

Cette tradition a été connue sur toute la Haute Bretagne, en milieu rural. La pratique était courante jusqu’aux portes de Rennes, même si, dans l’entre-deux-guerres : « c’était déjà des gens qui le faisaient pour refaire comme avant … Pour montrer les traditions des anciens ! »


D'après l'ouvrage de 1886 de Paul Sébillot


Dans la Haute-Bretagne, la Saint Jean est célé­brée par des feux de joie, qu'on appelle rieux ou raviers. Cet usage, pourtant, n'est pas absolument général : en Ille-et-Vilaine, je connais des communes où l'on n'allume pas de feux de joie, bien que le patron de la paroisse soit Saint Jean
Mais dans ces communes, de même que dans nombre de pays d Ille-et-Vilaine et des Côtes­-du-Nord, il est d'usage, la veille de la fête, de "tirer les chieuves », ou de « tirer les joncs ».

Voici comment on s'y prend : on pose sur un trépied un bassin de cuivre dans le fond duquel on met une clé, et qu'on arrose avec du vinaigre ou du cidre aigri. On tend dessus des joncs qu'on fait raidir comme les cordes d'un instrument et on passe les mains sur ces joncs avec un mouvement de va-et-vient analogue à celui d'une per­sonne qui tire (qui trait) les chèvres. C'est de là sans doute que vient l'expression.

Au bout de quelque temps, la vibration se transmet du jonc au bassin et produit un son qui a quelque ana­logie avec celui de la vielle, et qui, bien que doux, s'entend de fort loin. Ailleurs, on «tire les chieuves» quelque temps avant d'allumer le rieu ou feu de joie. Parfois, on « tire les chieuves » en plusieurs endroits différents de la même commune, et l'éloignement produit des différences de son très agréables.

2 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Permettez-moi de vous suggérer d'écrire Saint Pol de Léon et non Saint Paul pour ne pas titiller l'identité bretonne et respecter l'usage en vigueur ... peut-être certains textes donnent-ils "Paul" mais on pourrait penser que c'est une tentative de "récupération" de l'état français sur cette Bretagne toujours crainte de par son particularisme qui tendrait à s'affranchir d'un Etat centralisateur ! (je ne suis ni bretonnante ni même d'origine bretonne mais je pense assez bien connaître le sujet.

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