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samedi 30 juin 2012

Hommage au Père Jean de Mézillac


Petite biographie du grand Jean Debeix

Il n’y a pas à ma connaissance de rue « Jean Debeix » à Guémené. Sans doute cet oubli dépare peu la modestie du personnage. Et pourtant, voilà encore quelqu’un qui a porté la culture (populaire) de son pays d’origine bien au-delà du cercle étroit (mais déjà suffisant) de son canton, et qui mérite bien de la patrie guémenéenne.

Voici donc ma petite contribution "dans la blogosphère" à la célébration de ce héros. Elle part d'une photo que j'ai achetée récemment, prise en 1980, que je reproduis ci-après.

Elle montre le Père Jean, comme on l'appelait aussi, dans son intérieur, à Mézillac (il est alors âgé de 78 ans).

Il trône au milieu de la pièce de vie, accordéon sur le genou, en sabots et casquette. Sa femme, recroquevillée près de la cheminée à l’ancienne, semble accablée. Des rondins de bois, un soufflet et deux chiens occupent la « piace », à droite. A gauche, on distingue la gazinière, un bol, la télé, une marmite.

Sur une autre photo prise par le même photographe (cf. références, plus bas), on aperçoit, juste au dessus des personnages, un chapelet de saucisses pendu sur un fil au plafond, un moulin à café sur la cheminée, et on distingue mieux l’armoire à fiches qu’on devine sur le cliché ci-dessous, au fond à droite.

Jean Debeix (Jean D’beuil, en guémenéen) y apparaît comme un personnage paisible au milieu des chaos d’une vie paysanne modeste.














En 1980, chez lui avec sa femme, à Mézillac

Jean Debeix était né le 7 novembre 1902 à Guénouvry, et plus précisément au village de Mézillac, où toute sa vie, presque, il exerça son métier d'agriculteur... Presque, car ses talents vont l'emmener aux quatre coins de la Bretagne et même au-delà.

Il était le dernier enfant d’une fratrie de 5, étant précédé de 4 sœurs. Son père, Jean également, est âgé de 59 ans à sa naissance. Cultivateur à Mézillac, il a épousé le 24 avril 1892 Marie Debarre, née au Verger, qui aura 40 ans à la naissance du futur sonneur d’accordéon.

La famille est en fait originaire de la zone comprise entre les bourgs de Guémené, Guénouvry et Conquereuil (le Tahun, le Verger, les Rivières, Mézillac).

Celui qui fut l'un des derniers porteurs de traditions de Loire-Atlantique, disparaîtra en janvier 1995 à l'âge de 92 ans passés.


Formation musicale

Cet accordéoniste réputé ignorait absolument le solfège...Son apprentissage musical ? il l’a raconté dans un entretien à l’Eclaireur de Chateaubriand :

"Sitôt la guerre 14-18, j'ai acheté un accordéon d'occasion, oh pas cher : 25 francs, pour le mariage de ma soeur en 1919. Je savais pas en jouer mais il suffisait que j'entendais chanter et je le rejouais, y'avait pas d'pardon !

En ce temps là, on gardait les vaches. J'emmenais mon accordéon. La jeunesse des environs même du 'Verger', dansait dans les prés : y'en avait-y des patous ; alors comme ça, les vaches étaient bien gardées dans notre champs mais pas dans les autres.

Pendant un an de temps, j'ai joué tous les soirs pour m'y mettre pour de bon. Et puis, tous les 8 jours, le samedi soir, on allait 'aux boudins' dans les villages, c'est comme ça que j'ai appris à jouer. Ils dansaient, ils chantaient et moi je retenais pour mieux jouer aux boudins d'après !"

"En 21, j'ai connu des jeunes qui savaient en jouer : Gadoued, Julien Lanoë et tout ça de Guémené. Après j'ai connu Eli et Marcel Jossot de Conquereuil qui jouaient sur des grandes touches alors que les autres, c'était sur un rang. C'est plus commode sur deux. En 27, j'ai fait venir deux accordéons d'Italie : des 3 rangs de touches, personne n'en avait à Guémené. Y'en a jamais eu d'autres d'ailleurs. A force de rousiner, je rousinais bien tout seul !... Quand j'ai pu attraper le troisième, je l'ai fait."


(Le Père Jean raconte ....extrait d'article de presse "L'Eclaireur" 30/12/1977)




Fête folklorique en 1972

Carrière de musicien


Il acquiert en 1933 son célèbre "chauffe pied" (ainsi nommait-il l'accordéon diatonique) : un Maugein 3 rangs 12 basses.

Son audience et sa carrière vont pendre une autre dimension par sa rencontre avec un groupe culturel de Jans, le Cercle Celtique La Pastourelle, fondé en mai 1966,

Cette rencontre a lieu en 1967. Dès lors, Jean D'beuil devient le Père Jean pour le reste de la Bretagne et il participera pendant les 18 ans à venir à toutes les tournées de La Pastourelle.


Le Père Jean en 1970 à la sortie de l'église à Nozay

Répertoire / discographie


Son répertoire est constitué de danses locales comme les « avants deux » ou les rondes, mais aussi des danses en couple en vogue au début du XXème siècle (valses, mazurkas, scottishs...).

La vague folk des années 70 le poussera sur le devant de la scène grâce aux nombreux festoù-noz qu'il animera. Sa vituosité et son immense répertoire le conduiront à enregistrer quatre disques 33 tours, fait exceptionnel à l’époque.

Un CD retrace désormais pour nous son talent. Il s’agit du troisième volume de la collection Dastum « Grands Interprètes de Bretagne », réalisé en collaboration avec « Dastum 44 ».

Il contient des enregistrements de collecte chez lui, en situation lors de différentes prestations en public, des extraits des disques publiés, mais aussi quelques témoignages chantés. Un livret de 95 pages fournit une biographie, une analyse détaillée de son jeu et ainsi qu’une riche iconographie (CD 44 titres, 73 mn - Livret 95 pages).



Plusieurs des titres font référence et rendent hommage à Marcel Jossot, évoqué plus haut. Celui-ci, né le 26 décembre 1883 à Conquereuil où il mourut le 16 novembre 1961, fut donc l’un de ces mentors. Citons parmi ces titres : Scottish à Marcel Jossot, Sortie de messe à Jossot, Marche à Jossot.


Sites à consulter dont je me suis inspiré

http://nozbreizh.fr/php2/album.php?idalbum=1019 (pour écouter des extraits de 44 titres de Jean D’beuil)

http://www.myspace.com/perejean (pour voir d’autres photos de Jean D’beuil)

http://www.pastourelle-jans.fr/accueil.html (site de La Pastourelle de Jans : témoignage ; photos)

http://www.dastum44.net/ (Centre des traditions orales de Loire-Atlantique)

http://www.leclaireurdechateaubriant.fr/ (L’Eclaireur de Chateaubriand, journal de la Mée)

http://www.cefedem-ouest.org/telechargements/FCD/musique/St%20Brieuc%202009-2011/memoires/Tatard.pdf (un article sur l’accordéon en Bretagne)

dimanche 24 juin 2012

"La chemise", rimiaux en patois de Guémené


Et voici un quatrième petit conte "léger", après "La soupe au choux", " La truie à Nanon" et "Comment Mathurin Sicard ne put entrer au Ciel", que l'on doit aux bons offices de feu l'Abbé Chenet.


Je rappelle que, dans l'entre deux guerre, ce prêtre originaire de Guémené publia quelques contes en patois de Guémené. Il prétendait dans leur préface que c'était ces vieilles bonnes qui les lui avaient narrées dans son enfance, c'est à dire vers 1890.


Celui que j'ai choisi aujourd'hui, "La chemise", raconte une anecdote : une femme très malade envoie son mari chercher le curé . Le conte s'attarde d'abord sur le "mal" et son traitement (vain), décrivant dans le fond la façon paysanne de se soigner "dans le temps". La seconde partie, qui concerne le retour du mari avec le curé, prépare la chute de l'histoire : une chemise blanche sert de balise pour se guider dans la pénombre, mais on découvre que la vue n'est pas forcément celui des cinq sens qui permet ce guidage nocturne...


Bonne lecture à tous !


La chemise

Ça ’tait un saill’ d’hiver min pas d’ l’hiver dernieu
La bonn’ femm’ à Bertin, Bertin d’ la Hunaudière
Sa femm’ qu’est un’ picra et une embarratière,
S’avait piqueu un daill’ en allant qu’ri du bouès
Et 1’ daille avait enfleu comm’ la traill’ à Jean-Pierre
La sienn’ qu’il avait hérité d’ son cousin d’ Mouais.
L’armaïjeur de Nozaille y mit un catapiasse
Ça n’y fit rin du tout : il n’enflit que d’ pus belle.
Il mit d’ la merd’ de oie avec un p’tit d’ filasse
Le frottit d’herbe sainte et de graiss’ de chandelle
Ça ‘tait comm’ s’il chantait et l’ fils d’ bougueur de daille
Continuit à groussi. Et v’là ti pas qu’enfin
Y s’ mit dans tout son corps, et ça ‘tait selon maille
Un mau qu’on n’ connait guèr’ comme un’ espèce de v’lin.
La femme eut pou d’ mourir et dit au gars Bertin :
« Va qu’ri Monsieur l’ Cureu, car je vas terpasseu !
Et il coût’ra terjous ben moins cher que l’ méd’cin ! »
Et v’là donc l’ gars parti et le v’la de s’ presseu !
II faisait naill’ comm’ diab’ et on n’y voyait goutte,
« Monsieur l’ Cureu, qu’il dit, j’ vas vous montreu la route
J’irai dret devant vous comm’ le chantr’ le dimanche
J’ai ouï dire es anciens qu’un’ affair’ qu’était blanche
Se voyait ben la neu, tout aussi ben que l’ jour.
Pour un’ faill’, j’ s’rais l’premier, c’est point souvent mon tour !
J’ m’en vas, si vous v’lez ben, vous attireu d’ ma « haine »
La queue d’ ma ch’mis’ de taill, qu’ j’héritis d’ ma marraine.
Vous vous fix’rez sur ielle, el’ vous dira l’ chemin. »
Dam’ les v’là donc partis. Tout à coup, Bertin dit :
« Monsieur l’ Cureu, Voyez-vous ? » L’ Cureu répondit...
« Ça n’est pas que j’ la vaill, mon pèr... mais j’ la sens bin ! » 

dimanche 17 juin 2012

Une Sainte-Barbe à Guémené


Barbe, bonne fille, vivait au milieu du IIIe siècle à Nicomédie, port de Turquie. Au retour d'un voyage, sa fille lui ayant appris qu'elle s’était convertie au Christianisme, son père, l'affreux Dioscore, mit le feu à la tour où il l'avait enfermée pour la mettre à l'abri des galants. Mais Barbe réussit à s'enfuir. Hélas, averti par un berger probablement éconduit, le père la découvrit. Il la traîna alors devant le gouverneur romain de la province qui la condamna à d'horribles supplices (j'ai regardé : c'est en effet horrible). Comme la jeune fille têtue continuait d'invoquer le Christ, le gouverneur ordonna au père de lui trancher lui-même la tête. Dioscore obéit et fut aussitôt châtié par le Ciel : la foudre le tua sur place.

Ainsi Sainte-Barbe, protectrice de la foudre et de la mort subite, est devenue la patronne des mineurs, des artificiers, des carriers, des artilleurs. Bref, elle s'occupent de sujets explosifs...A quoi il faut ajouter les pompiers, sujets fumeux.

La fête de la Sainte-Barbe tombait le 4 décembre, jadis.

Les pompiers jouent un rôle important dans la vie de tous les jours. Dans les petites communes, ce sont des volontaires. Il est donc important de pouvoir leur rendre hommage et je dois à mon excellent confrère en bloguerie et guémenoiseries, A.P., ainsi qu'à Ouest-Eclair, l'ancêtre bien connu de Ouest-France, de pouvoir le faire en image et en texte. Certes, l'image est antérieure au texte, mais qu'importe.

La photo date probablement de la fin des années 1920. Elle montre, devant la mairie de Guémené, la Compagnie des sapeurs-pompiers : 25 gaillards tous fièrement moustachus. Les gradés sont devant comme il se doit, et le port est souvent altier.


Toutefois, en regardant attentivement, on s'aperçoit que quelques képis sont portés avec nonchalance (le trompette de droite à l'air quelque peu dans le cirage, à moins qu'il ne souffre d'aigreurs d'estomac). Ici, un bouton de veste est défait.  Les vareuses paraissent parfois froissées et les pantalons blancs d'apparat, plutôt tire-bouchonnés.On sent qu'il s'est passé bien des choses avant la photo. On peut imaginer que ce petit monde a fêté la Sainte-Barbe.

Voici comment les pompiers de Guémené honoraient leur sainte patronne en 1937 :


"La fête de la Sainte-Barbe, qui avait été remise par suite du décès du sergent-fourrier Loré, a été célébrée dimanche dernier.

A 9 heures, la Compagnie de sapeurs-pompiers de Guémené, les sections de Guénouvry et de Beslé se rassemblèrent place Simon. Le lieutenant Bréger pris le commandement et un défilé eu lieu à travers les rues de la ville pour se rendre au Monument aux Morts où une gerbe fut déposée.

Après une minute de recueillement, les pompiers se rendirent à la Mairie. Dans la grande salle, M. Geffray, maire, entouré de ses adjoints, MM. Métayer et Gérard, et des membres du Conseil Municipal, les attendaient.

Après une belle allocution, il épingla la médaille d'honneur des sapeurs-pompiers sur les poitrines du lieutenant Gravaud, des sergents Houguet, Briand et Bréger, des caporaux Pinczon et Devilliers et des sapeurs Menuet, Jarnot, Fossé, Gillais et Percevault. Il s'inclina devant le souvenir du sergent-fourrier Loré, décoré à titre posthume, enlevé prématurément à l'affection des siens et à l'amitié de ses camarades.

Un vin d'honneur fut offert à la Compagnie par la Municipalité, et M. le Maire fit l'éloge des sapeurs-pompiers et rendit hommage à leur dévouement.

A 18 heures, tout le monde se retrouva au restaurant Jarnot où eut lieu le banquet traditionnel.

Le menu était parfait et la plus franche gaieté ne cessa de régner pendant tout le repas, au cours duquel un gâteau fut offert par M. Tardif, boulanger.

Ce fut ensuite le tour des chanteurs, puis tout le monde se rendit à la salle des fêtes où eut lieu un bal qui termina cette belle journée."

***

C'est quand même la grosse fête. Ils devaient être frais au bout de tout ça ! Je me demande si on saurait retrouver les chansons chantées et qui étaient les chanteurs...

L'irruption de M. Tardif en bout d'article fait remonter plein de souvenirs gustatifs et ensoleillés de gâteaux achetés l'été, le dimanche après la messe, dans la boutique d'angle donnant sur la place Simon. Que de pâtisseries bigarrées, de compositions laquées de sucre et adornées de pétales de rose en pâte d'amande ! Les guêpes virevoltaient et une jeune dame maquillée, avec un petit tablier blanc fort seyant et à l'air "bourgeois" et sophistiqué, encaissait. Je revois ensuite ma grand-mère endimanchée trottiner le long du boulevard de Courcelles, au retour, tenant son petit paquet de carton ficelé à bout de bras. On ne s'arrêtait alors guère pour muser : le gâteau ne pouvait attendre...

Enfin, si cela vous inspire, n'hésitez pas à me le faire savoir.


dimanche 10 juin 2012

"Annick" Rolland


Voici la reproduction d'une notice bibliographique consacrée à Marie Rolland, institutrice à Guémené-Penfao, héroïne de la Résistance aux Nazis, évoquée dans mes deux posts précédents comme "héroïne" des recherches pétrolières à Guémené.

Cette notice, due semble-t-il à Annie Plumelet, comme plein d'autres sujets, est disponible sur le site :

www.chateaubriant.org

Si l’on évoque la Résistance dans le Pays de Guémené Penfao, il faut d’abord parler de Marie Rolland, connue sous le pseudonyme de « Annick ».

Marie Rolland est née le 15 mars 1873, au Coudray-Plessis, dans une très modeste famille d’agriculteurs. Après avoir obtenu son certificat d’études primaires, elle réussit à passer le Brevet Elémentaire, et le Brevet Primaire Supérieur, tout en travaillant à la ferme, pour devenir institutrice. 

Elle poussera sa sœur dans la même voie. Toutes les deux deviennent institutrices titulaires à Guémené Penfao.

Marie Rolland a 67 ans lorsqu’elle assiste à la débâcle de 1940 et participe alors à la Résistance. Par exemple, elle recueille et cache 47 membres de l’équipage du Lancastria, atteint par une bombe dans ses chaudières. Ces 47 hommes regagnent l’Angleterre par petits groupes, aiguillés par sa main ferme.

« Annick » fait la connaissance de « Alexandre » en 1943, un des responsables du réseau Buckmaster (et qui sera fusillé au Mont Valérien). Elle met sur pied ses propres réseaux de résistance, lesquels sont bientôt rattachés au réseau du maquis de St Marcel (près de Malestroit, dans le Morbihan).

Mais la Gestapo l’a identifiée et la traque. Sa tête est mise à prix, elle doit se cacher. Blain, Châteaubriant, Le Croisic, Redon, Vannes, voient cette femme impotente prêcher la confiance dans les destinées de son pays. Elle veille à tout, organise la réception des parachutistes envoyés en renfort et voit le jour du débarquement : 6 juin 44.

Avec ses FFI, elle oblige les Allemands de la région de Plessé à se rendre, et c’est elle qui reçoit la reddition du général-commandant ce secteur à qui elle dit : »c’est à une vieille femme que vous venez vous rendre ». Elle continue ensuite à se consacrer à la défense de ceux qui lui firent confiance, à faire connaître leurs droits ? La vrai Résistance, pour elle, doit être magnifiée.

Faite « compagnon de la Libération », distinction rarement accordée à une femme, elle reçoit des mains du Général de Gaulle cette suprême décoration pour SERVICES EXCEPTIONNELS rendus à la Résistance. Retirée dans sa maison du bout des ponts à Guémené, elle sera emportée par une crise cardiaque en octobre 1946.

Elle a symbolisé l’idéal de liberté, de Justice et de Paix, n’en déplaise à ses détracteurs d’hier et d’aujourd’hui.



Je ne sais pas qui sont ses détracteurs. Mais s'il s'agit bien de la même personne qui chercha du pétrole à Guémené et fit partie de la Résistance (il n'y a pas de raison d'en douter), alors l'article de Ouest-France de 1991 utilisé dans le post précédent est minable de ne pas souligner ses mérites.

"Guémené-Penfao, Texas" ou "La ruée vers l'Ouest-France"



Grâce à mon excellent voisin de Hyonnais, Y. H., je dispose de la trace d'un article de Ouest-France qui reprend les histoires pétrolifères développées dans le post précédent à partir des éléments trouvés dans Ouest-Eclair.

Plusieurs points sont, à mes yeux intéressants dans cet article.

D'abord, toute la question est centrée sur La Hyonnais, ce qui n'est pas trop pour me déplaire, quoique ce patriotisme de hameau soit bien futile. Il y évoque des "témoins" que j'ai bien connus : cela suscite toujours un regard indulgent.

Bien plus : le ton de l'article est goguenard et moque un peu les protagonistes de la saga. Visiblement, le journaliste de 1991 a lu les archives et mélange un peu tout. Ce qui n'est guère sérieux.

Enfin, des détails "véridiques" viennent pimenter le récit dont on ne sait d'où il sortent. Bref, si les acteurs de l'histoire pétrolifère de Guémené ont rêvé, leurs rêves s'inscrivaient dans un réel et un rationnel ; l'article de Ouest-France semble plus intéressé à écrire la légende.

Voici en tout cas, ce que Ouest-France raconte, sous le titre « Du pétrole à Guémené ».

«  Aujourd’hui, seul vestige des puits pétrolifères de Guémené : un tuyau en fonte dans le jardin de M. et Mme Taillandier. Pas question de le déterrer, pour peu que du pétrole jaillisse : « On serait obligé de déménager ! » se plaint le fils de la maison. Ce tuyau, à l’ombre des sapins et entouré de parterres de fleurs, a donc sa place dans le paysage.

Une reine du pétrole

Quand en 1915 le pétrole fut découvert, aussitôt apparut « la fièvre de l’or noir ». Elle s’empara surtout d’une institutrice, Melle Rolland, et d’un agriculteur, M. Gourdin, puisque c’est dans son jardin (aujourd’hui celui des Taillandier) que le premier puits a été ouvert. Melle Rolland fit profiter l’entreprise des ses talents d’organisatrice. Elle informa le service des Mines et le commissariat général des Essences et Pétroles. Faute de crédits ; peu de travaux furent effectués. Le puits de la Hyonnais atteignit tout de même 45 mètres. Le soir, après la classe, et le dimanche, Melle Rolland surveillait son chantier…

Du cœur à l’ouvrage

Quelques temps plus tard, la Hyonnais prenait alors un air « exotique » : l’imagination allait bon train pour fabriquer des trépans. C’est un ingénieur forgeron de Guémené, Alphonse Cormerais, qui mit au point la machine : roues à pignons, poulies, câbles, le tout actionnant les trépans. La force des chevaux aidant, les trépans pénétraient dans le sol. M. Cormerais n’était pas qu’un peu fier de son invention, unique en son genre ! En fait, il ne perdait aucune occasion de mettre en valeur ses talents d’inventeur : pendant la guerre, il avait déjà conçu un obus fusant chargés de billes qu’il avait présenté au ministère des Armées.
Inutile de vous dire que le quartier n’était pas de tout repos !

Ils cherchent fortune

Quant aux plus incrédules, il suffisait d’enflammer le produit qui avait jailli pour qu’ils retrouvent la foi des convertis. La folie des puits se propagea. S’il y avait du pétrole à la Hyonnais, il y en avait sans doute ailleurs ! Et les environs de Guémené de rivaliser pour avoir le puits le plus profond : à la Taupinière( !) 121 mètres, au Bécot 45 mètres, au Vivier-Noir 110 mètres, à la Hyonnais 45 mètres…

Creuse toujours

Les forages devenaient de véritables lieux de pèlerinage. Comme il n’y avait pas de routes pour relier les villages entre eux, on s’enfonçait jusqu’aux chevilles dans la boue. Qu’importe ! les sourciers étaient formels : la nappe de pétrole était accessible : « Creuse et tu la trouveras ! »
Tu trouveras effectivement…que Guémené est fait de terres arables et non de terres ‘arabes’ »

L’article, qui se veut léger et fin, comme on vient de le constater, donne ensuite sa clé de l’histoire, futée et conspirationniste, pittoresque et fantaisiste :

« La clef de l’histoire ? Vous venez de la lire : pour convaincre ceux qui doutaient de l’authenticité de l’affaire, on faisait brûler le pétrole ici trouvé. Mais depuis quand le pétrole brut brûle-t-il ? La propriétaire du jardinet avait tout simplement acheté à l’épicerie une bouteille de pétrole qu’elle avait déversée !
But de l’opération : mettre son fils à la tête d’une future entreprise de pétrole (hélas non avenue)…

12 après ils remettent ça

Le ministère des essences et Pétroles avait accordé « un permis de recherche exclusif » dans ce sous-sol où l’on savait qu’il n’y avait aucune goutte de pétrole. EN 1927, pourtant, les trépans ressortent (pour la dernière fois ?), mais en vain.

Pertes et profits : le trépan de M. Cormerais se trouve alors abandonné sur un terrain vague et vendu à la ferraille.

Melle Rolland, pour noyer son chagrin, se lance dans la Résistance. M. Gourdin s’installe dans le Bordelais pour ne jamais revenir sur les lieux de sa déception.

Alors, folie des années 20 ou authentique nappe que les moyens de l’époque n’auraient pu atteindre ? »



"Guémené-Penfao, Texas" ou "La ruée vers l'Ouest-Eclair"



S’il est un sujet qui me touche en tant que citoyen et en tant que hyonnaisien, c’est bien le pétrole. En effet, au prix actuel des carburants, ce serait quand même bien sympa de disposer d’un puits bien à soi et puis ce serait bien pour la commune.

Or, il se trouve que Guémené, et plus particulièrement la Hyonnais, ont défrayé la chronique à ce sujet.

C’est même une longue histoire, et célèbre, si tant est que se trouver dans le journal est LE signe de la célébrité. Toujours est-il que l’on relève au cours du XXè siècle (siècle du pétrole s’il en est) de nombreux articles à ce sujet, dans la presse régionale, c’est-à-dire dans Ouest-France et son ancêtre, Ouest-Eclair.

Dans ce premier post, je me concentrerai sur les archives de Ouest-Eclair, édition de Nantes.

Les recherches locales d'hydrocarbures ont débuté à la fin de la guerre de 14. Un article très général, encyclopédique et didactique, intitulé "Le pétrole", à la « une » de Ouest-Eclair du 6 juillet 1920 s’en fait l’écho en passant en revue les territoires français susceptibles de recéler des gisements.

Ainsi, en dehors du versant est des Vosges et l’Atlas Algérien et Marocain ; des versants du Jura, du versant français des Alpes, de l’auvergne ; de diverses localités des Landes, des Pyrénées, de Limagne ; le journal enchaîne sur une autre possibilité de localisation, plus dans son « scope » de préoccupation régionale :

« En Bretagne, tout près de nous, à Guémené-Penfao, où des suintements d’huile minérale furent constatés à la Hyonnais. Des sondages seraient même, dit-on, en préparation dans cette localité. »


Un autre article de ce même périodique en date du 12 juin 1923 revient sur le sujet en évoquant les recherches de techniciens de la prospection pétrolière, dont Monsieur Otlet, à Guémené-Penfao.

Ces braves techniciens sont « ... plus que jamais persuadés de la présence exploitable dans le sous-sol où, chacun….exécute en ce moment-ci des travaux de forage…que les milieux officiels ont accueilli avec scepticisme et par conséquent indifférence. » 

Bref, c’est pas gagné.

Mais c’est en pleine guerre de 40 – et sans doute en pleine période de pénuries de toutes sortes -, que le journal est le plus disert sur la question. Ainsi dans l’édition du 26 mars 1941 peut-on lire :

« Il doit y avoir du pétrole en Loire-Inférieure ». Après avoir passé en revue plusieurs sites où sont menées des recherches plus ou moins heureuses, dont Guémené, on apprend que les prospecteurs, de guerre lasse si j’ose dire, ont décidé de lever le pieds pour se rabattre sur la prospection de l’étain à Piriac…

Toutefois, les articles les plus intéressants sont publiés la veille et l’avant-veille, sous la plume d’un certain Paul Bécavin. Ils racontent de façon circonstanciée et sérieusement toute l’histoire.

« …Pendant plus de dix ans, le Service des Mines a été appelé à suivre les trois expériences les plus intéressantes qui se soient présentées à Arton-en-Retz, à Guémené-Penfao et à Rieux près de Redon. Jamais il n’a pu constater officiellement le moindre phénomène, tout comme jamais il n’a pu assister à la découverte de la plus petite nappe pétrolifère. »

Un peu plus loin, l’article se concentre sur Guémené, dans un paragraphe intitulé savoureusement : « A Guémené-Penfao où l’on découvrait des pommes cuites (sic) dans les pommiers » et qui aurait pu s’intituler « Pétrole contre pourriture » :

« M. Calvez [ingénieur en chef du service des Mines de l’époque] nous a permis de consulter les très volumineux dossiers constitués par ses services…Nous allons tout d’abord passer brièvement en revue ceux qui ont eu pour théâtre la région de Guémené-Penfao.»

Et l’article de poursuivre :

« C’est une institutrice du pays qui, la première, eut l’idée de faire effectuer des sondages et elle y consacra une  partie de sa fortune personnelle. Voilà les phénomènes qu’elle y avait principalement constatés : au cours de l’hiver 1915-1916, au village de la Huguonnais [La Hyonnais !], une nappe d’eau, jaillie du sol, se forma dans la cuisine d’une maison. Or, à la surface de l’eau, on remarque une épaisse couche d’une huile à odeur pétrolifère.

Un prélèvement de la couche d’huile est opéré et ce liquide, mis dans des lampes, brûla avec un léger crépitement, tout en carbonisant la mèche au fur et à mesure. On en déduisit qu’il s’agissait de pétrole à l’état brut. On fit d’autres expériences et l’on remarqua que des brins de jonc ou d’herbe quelconque trempés dans le liquide en question, s’enflammaient au contact d’une allumette.

L’institutrice, témoin de ces faits, procéda à des expériences personnelles. Elle creusa une dizaine de petits puits peu profonds qui, au cours de l’année 1916, puis en particulier pendant l’hiver 1916-1917, se remplirent maintes fois d’eau à la surface de laquelle se formait toujours une couche d’huile à odeur pétrolifère.

En février et mars 1917, aux jours de pluie, de l’eau, avec une couche de "pétrole", apparaissait dans n’importe quel petit trou, au village de Saint-Joseph-du-Frétais.

En août 1920, M. Nail, ancien garde des sceaux, fit forer un puits de 20 mètres de profondeur dans ce village sous la direction d’un géologue notoirement connu, M. de Camas. Celui-ci affirma, à dix mètres de profondeur, avoir traversé une couche de roche dégageant une odeur pétrolifère très caractérisée. M. le sénateur Brard, puis M. le ministre Laurent-Eynac, alors sous secrétaire aux essences, s’intéressèrent à la question d’une exploitation possible de pétrole dans la région de Guémené-Penfao.

Mais c’est en 1922 que le phénomène le plus curieux fut observé par l’institutrice et d’autres témoins : dans un champ où le « pétrole » avait affleuré au cours de l’hiver 1917-1918, on constata que des pommiers après avoir eu beaucoup de fleurs, ce qui permettait d’augurer une étonnante récolte de pommes, avaient eu toutes leurs feuilles brûlées, à tel point qu’elles se réduisaient en poussière au contact des doigts. Quant aux pommes, elles étaient molles et avait l’aspect intérieur comme extérieur de fruits qui auraient été bouillis à l’eau (sic). »


La suite de l’article montre à quel point cette institutrice avait une démarche rationnelle et à quel point aussi « l’avis » d’un technicien a pu l’encourager à persévérer dans sa quête. Le paragraphe de l’article s’intitule : « L’opinion d’un géologue » :

« L’institutrice de Guémené-Penfao n’hésita pas, après avoir remarqué ces phénomènes, à faire appel à un ingénieur géologue : M. Henri Otlet, réputé par ses travaux dans les principaux centres pétrolifères d’Europe. Ce dernier se livra à maintes observations et études qui lui permirent de présenter en août 1922 un très long rapport dont voici les points principaux :

 …j’ai la conviction que Guémené se trouve dans des conditions de premier ordre, comme point d’attaque et que les résultats en doivent être remarquables dès le début.

A Guémené-Penfao, l’existence du pétrole ne peut faire de doutes, et pour causes. En effet, chaque fois que se produisent le moindre plissement, le moindre dérangement, la moindre faille souterraine dans le massif solide et de base silurienne, l’effet s’en répercute par un tassement identique dans le dépôt d’origine pétrolifère qui le recouvre ; des déplacements de terrain se produisent, occasionnant des compressions dans les poches et le liquide ou les gaz déplacés s’y précipitent, arrivant vers un horizon supérieur (migration de pétrole) et allant même jusqu’à la surface du sol (phénomène de Guémené, observés en mai 1914, août  et 1919).

Ces manifestations ne sont pas constantes, elles ne se produisent que par périodes et, le calme revenu, tout rentre dans l’ordre jusqu’à une nouvelle épreuve. Cependant de telles manifestations prouvent l’existence de gisements pétrolifères. Celles de Guémené constituent donc une démonstration évidente. »


Le lendemain 25 mars 1941, l’article se poursuit dans Ouest-Eclair avec une affirmation péremptoire :  « Le pétrole recueilli à Guémené était de très bonne qualité ». Il narre les éléments de preuve rassemblés par un technicien. Ce paragraphe pourrait aussi bien s’intituler « Contes et légendes » :

« Voici les précisions données par l’ingénieur géologue sur la qualité du pétrole recueilli à Guémené en même temps que sur d’autres éléments qui lui permettaient d’affirmer l’existence du pétrole dans la région :

Au point de vue technique, la géologie se base aussi pour affirmer l’existence d’un gisement pétrolifère, sur la nature spéciale des terrains. Or, ce point est absolument acquis à Guémené par les marnes bariolées de toutes couleurs qui toutes appartiennent à l’âge tertiaire. Ces marnes sont les unes perméables, les autres imperméables. C’est entre deux couches imperméables que se trouvera le pétrole.

Je citerai quelques observations faites sur place : les unes vérifiables par elles-mêmes, les autres par indications, mais toutes présentant un véritable intérêt, car elles viennent confirmer mes conclusions :

a)       Le pétrole recueilli à Guémené est de très bonne qualité, puisque employé sans manipulation dans les lampes, il éclaire parfaitement ; c’est un pétrole jaunâtre et léger, du genre des pétroles italiens.

b)       Le Lac de Murin, qui se trouve dans la région, dégage par moment une odeur particulière, due à la présence d’acide sulfurique.

c)       Dans le village de Marsac, qui se trouve à 6 km de Guémené, et dans la direction d’Angers et, par conséquent, sur la ligne de formation pétrolifère, se trouve la fontaine « Du Feu ». On dit dans le pays qu’autrefois, cette fontaine avait émis des gaz qui s’enflammaient. Ceci confirmerait la zone de formation : les gaz seraient venus par des fissures aujourd’hui obstruées.

d)       On raconte qu’un village dénommé Coisniez, qui se trouvait dans la direction d’Angers aurait été englouti. Ceci confirmerait encore mes observations sur les tassements qui se produisent dans les terrains gypso-salins surtout et déterminent des cavités et des effondrements sur la zone.

e)       Les suintements pétrolifères se retrouvent dans toute la région de Frangeuil, à la Hignonnais, à la Vieille-Cour et toujours dans la direction de Guémené-Angers.

f)        Il y a à Massérac, limite probable du bassin, un filon de quartz qui dégage au marteau une odeur fétide indiquant le voisinage d’éléments pétrolifères. Les quartz sont souvent les témoins latéraux de l’existence des gisements.

g)       Il y a dans les eaux minérales de Redon, des sels qui constituent une indication de la zone pétrolifère.

Ces observations concourent à confirmer l’existence du pétrole dans le sous-sol du canton de Guémené. »


L’article revient ensuite sur un autre rapport technique et sur l’histoire de Melle Rolland à qui sa confiance en la science et ses servants allait coûter des sous. On appréciera, au passage, le pittoresque du sondage de 1917, dans une cuisine :

« Des travaux de sondage, en trois endroits, furent opérés en Guémené-Penfao….En 1923, un autre ingénieur des Mines, M. Thibault, présenta un rapport qui permit à l’institutrice de Guémené-penfao, Melle Rolland, d’obtenir du Ministère intéressé, un « permis de recherche exclusif », le seul qui fut d’ailleurs délivré dans le département pour travaux pétrolifères.

Envisagé en 1915, la présence de pétrole fut donc observée par des suintements divers, dans la région, en 1916. Le 25 janvier 1917, le sous-ingénieur des Mines Bolo, dans un trou creusé sous l’évier de la cuisine d’une maison de Guémené, constata des suintements chargés d’huile minérale, après quoi Melle Rolland entreprit des recherches personnelles qui lui permirent de découvrir des traces d’hydrocarbures.

En 1921, le Commissariat général des Essences et Pétroles, averti, avait envisagé des recherches à petite profondeur, effectuées sous la surveillance du Service des Mines, mais faute de crédits suffisants, il avait dû abandonner.

Au cours de sondages effectués au village de la Taupinière, en présence de M. Bourcy, aujourd’hui ingénieur en chef  de la ville de Nantes, après que les « bones » de sondages aient révélé une odeur fétide, nettement caractérisée de pétrole, on avait dû, pour dégager un outil coincé dans la roche, à une profondeur appréciable, employer la cheddite.

La décharge provoqua une explosion avec dégagement de gaz qui s’enflammèrent à la sortie, c’est-à-dire à l’orifice du trou de sonde et qui brûlèrent pendant 20 minutes consécutives. Le même incident se produisit deux jours de suite.

C’est ce qui permit à M. Thibault de conclure :

Les indices observés ne sont pas suffisants pour permettre d’affirmer avec certitude l’existence d’un gisement d’hydrocarbures, mais toutefois, d’après les données géologiques que l’on possède sur la région, il n’est pas impossible qu’un tel gisement existe et l’on peut dire que l’anticlinal de Guémené-penfao est particulièrement désigné pour des recherches. »


S’ensuit l’historique des travaux de sondage, improductifs, qui font l’épilogue triste de ce rêve pétrolier :

« En 1922, les premiers travaux effectués sous le contrôle de M. l’ingénieur en chef Calvez commencèrent au village de la Taupinière, et le sondage atteignit 40 mètres.

En 1923, alors que la sonde était rendue à 65 mètres, on constata des dégagements de gaz à odeur d’hydrogène sulfuré. On atteignit 102 mètres, puis 106 mètres de profondeur, sans aucun résultat.

L’année suivante, les travaux ayant été arrêtés dans le village précité, les sondeurs se mirent à l’ouvrage dans le hameau de Bécot, à proximité de la route de Conquereuil, pour atteindre 45 mètres et stopper là, avant de reprendre le sondage de la Taupinière jusqu’à 121 mètres de profondeur, sans résultat.

En décembre 1925, un 3e sondage fut effectué au village du Vivier-Noir, où l’on atteint 94 mètres 10 en juillet 1926, 97 mètres en octobre, 100 mètres en novembre et 110 mètres 50 en janvier 1927. Quelques mois plus tard, un procès met aux prises les prospecteurs et les sondeurs, si bien qu’au mois de mai, on décida d’aller au village de la Hignonnais creuser un puits d’un mètre sur un mètre. En juin, le puits étant profond de 11 mètres et aucun résultat appréciable n’ayant été enregistré, les travaux en restèrent là. »


Voilà pour le sérieux : celui de Melle Rolland, celui du journalisme. Mais je vais revenir dans le prochain post sur cette histoire pétrolière grâce à d'autres archives....Ne quittez pas l'antenne !

dimanche 3 juin 2012

Coup de tabac et coups de Jarnac à Guémené


Voici un épisode de la vie de Guémené qui se déroule sous Louis-Philippe, Roi des Français. Je le relate parce que j'en apprécie le pittoresque, mais aussi parce que j'aime le style avec lequel sa source - un compte rendu de Conseil Municipal - est écrite. On y sent une passion sincère et l'on voit bien ces graves messieurs (tous des propriétaires terriens et des notables) s'encourager dans leurs résolutions. On sent dans ces lignes les vibrations de l'indignation, la conviction du bien publique, l’honnêteté outragée. L'affaire par sa nature, ses enjeux, a dû d'ailleurs agiter bien des esprits à l'époque.


L'histoire se passe au printemps 1836, lors de la session du 8 mai du Conseil Municipal de Guémené Penfao. Il y a là : Joseph Simon, le Maire ; Laurent Simon, son adjoint ; MM. Frèrejouan du Saint, Dréan, Potiron Boisfleury, Lenoir, Pierre Frèrejouan, Courgeon, François Roué, Jean Baptiste Gaudin, Malard, Bernard, Tessier, Alliot, Jean David et autres, conseillers municipaux.


On vient d'épuiser l'ordre du jour de la séance, des sujets graves :


- désignation d'un membre de Guémené du jury en charge de délivrer des encouragements agricoles ;
- conditions financières des prestations en nature pour la réfection et l'entretien des chemins vicinaux ;
- rémunération de l'instituteur primaire ;
- réception des comptes de M. le Percepteur.


Mais ce n'est rien, non, rien, en regard du sujet suivant (et ultime) sur lequel M. Le Maire est interpellé, à savoir : l'affaire des bureaux de tabac.


Le début de cette affaire assez sombre se situe l'année précédente. Un bruit circule et émeut la ville : les deux bureaux de tabac de Guémené Penfao seraient réunis en un seul. L'un de ces débits est tenu par Melle Pinczon ou sa maman, veuve de militaire ; l'autre vient d'être repris par M. Desgraviers qui y succède à M. Colombat qui a depuis quitté la commune.


Ému également par la perspective d'une réunion des deux bureaux au détriment de Melle Pinczon, le Maire a écrit une première lettre au Directeur des Contributions Indirectes de Savenay pour réclamer contre cette éventualité. Celui-ci a répondu par un courrier en date du 8 octobre 1835 dont la teneur va scandaliser l'assemblée municipale de Guémené Penfao.


Depuis cet échange épistolaire, la réunion des bureaux à semble-t-il eu lieu. Suite à un autre courrier au Directeur des Contributions Indirectes de Nantes, ce dernier a répondu par une lettre en date du 3 mai 1836 - tout récent donc - justifiant, texte de loi à l'appui, la décision de fusion des bureaux de tabac.


Lors de la séance du 8 mai 1836, le Conseil Municipal va donc riposter auprès du Préfet de Loire-Inférieure pour demander la révocation de la décision de réunion des bureaux : la délibération municipale, telle que consignée dans son registre, constitue, en quelque sorte, la trame de cette demande au Préfet.


La délibération comporte trois temps :


1- une dénonciation virulente des propos contenus dans le courrier du Directeur de Savenay  ;
2- un contre argumentaire juridique astucieux à partir du texte de loi transmis par le Directeur de Nantes ;
3- un plaidoyer politique axé sur la défense de l'intérêt public.




1- Réponse au Directeur de Savenay


On ne connait le courrier du Directeur de Savenay qu'en creux, par les réponses fournies par le Conseil Municipal de Guémené. En tout cas, comme il est dit, le Conseil "n'en est pas médiocrement surpris", qu'on en juge.


D'après le Directeur de Savenay,  le sieur Colombat aurait été victime d'une sorte de cabale, d'intrigues, de tracasseries et de manœuvres visant à le faire quitter la commune et à céder son commerce. Son successeur lui-même, M. Desgraviers, "aurait été vu avec répugnance par certaines personnes de cette localité". Et de menacer : si les tracasseries reprennent avec M. Desgraviers, l'Administraton "aurait pour devoir de les faire cesser par la réunion des deux débits qui terminerait une concurrence capable de paralyser les bonnes intentions de son agent principal". En clair, pas de tracasseries pour le successeur, pas de réunion et tout va bien pour tout le monde.


Le Conseil prend la mouche et voit dans cette lettre une accusation à peine voilée à son endroit de complicité active à l'éloignement des préposés. "Ne voulant pas rester sous une imputation aussi injurieuse et calomniatrice", il répond avec vigueur et propose une autre explication, particulièrement "saignante", au départ de M. Colombat :


- M. Colombat n'est pas parti suite à une intrigue mais pour des motifs d'intérêts personnels que connaît sans doute le Directeur de Savenay. En effet, "il est de notoriété publique" que M. Colombat a cédé son titre de buraliste à M. Desgraviers pour 4 à 500 francs ;


- D'ailleurs - et là ça cogne -, M. Desgraviers en achetant cette charge, "n'a-t-il pas déjà spéculé sur la réunion des deux bureaux à son profit qu'il comptait obtenir par de faux rapport ou la promesse de M. le Directeur de Savenay" ?


- En tout cas le Conseil pense vraiment qu'il y a collusion entre Desgraviers et le Directeur de Savenay, vu "l'importunité d'une mesure aussi étrange, prise dans l'intérêt d'un seul au détriment d'une population considérable [Guémené compte 4000 habitants environ à cette époque], mesure qui n'a été obtenue qu'en s'étayant sur des calomnies et des faux rapports mensongers".


- Pour finir comme il se doit, le Conseil dément toute manœuvre et s'insurge contre les propos du Directeur de Savenay.




2- Contre argumentaire juridique


Le Directeur de Nantes a transmis l'arrêté ministériel du 21 mars 1832 sur lequel se fonde la décision de réunion des bureaux. Le Conseil Municipal de Guémené, l'ayant étudié attentivement, tout en reconnaissant l'opposabilité de ce texte, y dégote des éléments permettant de plaider le maintien de deux établissements.


En effet, cet arrêté précise que si un débit de tabac est nécessaire à l'existence du conjoint ou d'un enfant de titulaire de cette charge après le décès de ce dernier, il peut être maintenu à leur profit.


Le Conseil estime que Melle Pinczon se trouve exactement dans cette situation et doit donc conserver son débit de tabac.




3- Défense de l'intérêt public


Le Conseil tente d'élever un peu le débat en le portant sur le terrain de l'intérêt de la localité qu'il y aurait à maintenir les deux débits.


Ainsi commence-t-il par observer qu'il y a plus de 20 ans que l'on dispose de deux buralistes au bourg de Guémené (cela remonte donc à la fin de l'Empire) et qu'il y en a même un troisième à Beslé dont personne ne se plaint et sans qu'il porte ombrage aux deux du bourg de Guémené.


Ensuite, le Conseil relève que les ressources de la commune tendent à se développer. Des développements importants, sources sans doute de population et de besoins en tabac, sont à attendre : perspective d'un marché ainsi que de routes départementales et de grande communication devant traverser le chef-lieu.


Enfin, cerise sur le gâteau, le maintien d'une seul bureau serait une source insupportable d'incommodités pour la population "qui faisant sa provision de la semaine les dimanches à l'issue des messes, ne pourrait approcher du comptoir qu'après une longue attente, qui deviendrait pénible surtout en hiver". On voit la scène. Ainsi, puisque jusqu'à présent deux débitants ont pu vivre de leur commerce, "il n'est pas nécessaire de gêner toute une population pour en enrichir un seul".




La délibération se conclut donc par une demande unanime de révocation auprès du Préfet accompagnée des signatures des conseillers, non sans une ultime péroraison municipale :


"La justice de cette réclamation est un sûr garant de sa réussite".




L'histoire ne dit pas si Melle Pinczon a fini par récupérer son bureau de tabac. Ni ce qu'il advint des sieurs Colombat et Desgraviers. Des Directeurs de Savenay et Nantes, non plus. Si, par quelque recherche personnelle, vous en avez idée, merci de me le faire connaître.

samedi 2 juin 2012

"Les petites femmes de nos mobilisés"


Pour moi, l'Histoire qui m'intéresse est celle que voient et vivent  les gens au quotidien. La guerre de 14, par exemple, est faite de vécus plus ou moins militaires : batailles, tranchées, popotes, intempéries, colis,....

Parfois on est fait prisonnier :  une chance sans doute. Une épreuve aussi car la vie aux camps était difficile : froid, privations, faim, répression, commandos, soucis de l'arrière, de la ferme, de la famille, vie de chambrée, cafard.

Enfin, il y avait quelques divertissements.

Je dispose du cahier qu'a  tenu mon grand-père Julien Legendre, soldat du "8e Chasseur à pied", pendant sa captivité en Allemagne au camp de prisonnier de Chemnitz, en Basse Saxe. Capturé en 1916 dans le secteur de Verdun, il y est resté enfermé de l'été 1916 à la fin de la guerre.


Peu de pages. Peu de sujets notés. C'est sans doute un pense-bête.

Ce petit cahier est couvert comme un cahier d'écolier. Il contient la liste, le contenu et la provenance des 41 colis reçus en captivité d'août  1916 à septembre 1917 (j'en fournirai peut-être ultérieurement une "analyse"). Que s'est-il passé ensuite ? Plus de colis, lassitude...?

Revenu à Guémené avec son possesseur, le petit cahier a servi jusqu'au milieu de 1920, moment de son mariage : à la fin, des "frais de noce" détaillés y figurent (nourriture, boisson, vêtements masculins et féminins).

Je voudrais aujourd'hui m'attacher à l'une des deux chansons que le petit cahier reproduit. L'une est connue, puisqu'il s'agit de "Fleur de misère", de Paul Haldy et Léon Stollé, dont on écoute aujourd'hui encore l'interprétation des années 30 de Berthe Sylva : je ne la reproduis pas puisqu'on en trouve aisément les paroles sur Internet.

Je n'ai en revanche pas retrouvé l’auteur ou l’interprète de la seconde, qui s'intitule "Les petites femmes de nos mobilisés".

Que dit-elle ?














I

Les poilus s'en vont le cafard au front
Trottine parmi les cervelles
A l'arrière l'on voit la gaieté, la joie,
La guerre nul ne s'en aperçoit
Concerts, cinéma, casinos,
Tout plein de badauds qui ont la vie belle
Les femmes raffolent des festins
Elles peuvent s'offrir
Ce qui leur fait plaisir
Elles rient du communiqués,
Les petites femmes de nos mobilisés

1er Refrain

Elles se pomponnent et le mari s'affole
Là-bas dans la triste fournaise
Elles ont des toilettes à fla fla
Elles ne s'occupent pas des misères du soldat
Elles sont jeunes, elles sont jolies,
Elles sont gaies et ne pensent qu'à la vie
La guerre peut bien durer toujours,
Elles charment et ne pensent qu'à l'amour.

II

Le poilu obtient une perme un matin
Chez lui vite il se précipite
Il voit dans le dodo un délicieux tableau
La femme dans les bras d'un sergent
Un autre trouve sa moitié le ventre ballonné
Il s'enfuit bien vite
Un troisième trouve son logis vide on lui apprit
Que sa femme a fui
Le poilu philosophiquement
Dit : "Nos femmes ne s'ennuient pas assurément".

2e Refrain

Mon vieux il ne faut pas s'en faire
Bientôt finiront nos misères
Nos femmes s'offrent de l'agrément
Et nous font cocus c'est évident
Nous souffrons et nos femmes s'amusent
C'est la guerre : elles en abusent
Mais quand viendra notre tour,
Nous les ferons cocues à notre tour.

III

Laissons aux farceurs, les bonimenteurs,
Toutes les beautés de la guerre
Ce que nous voulons, les poilus du front,
C'est la paix et la raison
Le bonheur passé renaîtra. Quand disparaîtra
Cette horrible guerre, des femmes nous pourrons nous venger
Mais pour nous marier, elles pourront se fouiller
Elles se mettront à nos genoux
Nous leur dirons d'un air plus doux :

3e Refrain

Jadis quand parmi la bataille
Le sang, le feu, la mitraille,
Vous preniez, mesdames, des amants
Sans vous soucier du coeur de l'absent
Aujourd'hui que nous sommes les maîtres
Vous serez malheureuses, faut l'admettre,
Car vous avez bien mérité,
Jolies femmes de nos mobilisés














Pas terrible, comme vision des choses : à "l'arrière", les femmes trompent leurs maris au front. A leur retour, les maris règlent leurs comptes. Vae victis...

On trouve une variante de cette même chanson sur un site dédié à la campagne de Cilicie et à l'un des soldats qui y participa :

http://www.eliecilicie.net/chanson_9.htm