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mardi 31 octobre 2017

Marie Orieux et Primevère


Me voici de retour. Un revenant, en somme. Ça tombe bien car je vais vous parler de quelqu'un qui a écrit un livre en rapport avec Guémené, mais qui, du côté de Nantes, il y a une centaine d'années, s'est aussi beaucoup intéressé à l'au-delà, les esprits, les tables qui tournent...

Il s'agit d'une femme, Marie Orieux ou encore Madame Alexandre Moreau.

Notre nouvelle héroïne est née le 12 novembre 1854 à Paimboeuf et décédée le 16 septembre 1928 à Die. Mais elle est enterrée à Nantes, cimetière de la Miséricorde le 21 septembre suivant, ville dans laquelle son activité s'est déployée.

C'est la fille à Eugène (Orieux), "Fonctionnaire, poète, historien, journaliste", à vrai dire agent-voyer du département de Loire-Inférieure et correspondant prolixe de la Société Académique de Nantes, celle-là même qui honorera sa fille en 1885, on verra pour quoi ultérieurement.

Sa mère, Louise Méhard, est née à Redon. Elle épousera Alexandre Moreau, agent-voyer d'arrondissement, comme Papa Orieux.

Marie Orieux fut une femme d'influence au tournant des XIXe et XXe siècle, dans la cité nantaise.

En effet, cette ville, comme bien d'autres à cette époque, s'emballe alors pour le spiritisme.

On y publie par exemple le journal L'Anti-matérialiste (de 1882 à 1884), puis La Religion laïque, "organe de régénération sociale, d'études religieuses, philosophiques, psychologiques et sociales". C'est dire.

Une société d'études spiritualistes se fonde en 1902 suite à la causerie du spirite Léon Denis dans la salle des sociétés savantes du quai de la Fosse, rebaptisée "temple" pour l'occasion. 

Et voilà-t-il pas que la vice-présidente de l'Union spiritualiste nantaise est Marie Orieux, Madame Alexandre Moreau à la ville, fille d'Eugène !

Elle se transforme en égérie du mouvement spiritiste local, s'enflamme pour le sujet et publie une oeuvre immortelle - pour sûr : Lumière et vérité du spiritisme.

Cet ouvrage dénonce, dit-on, le matérialisme et, allez savoir pourquoi, le sectarisme ; il évoque en particulier la pluralité des mondes, traite des démons, des fluides invisibles, de "l'extériorisation des âmes au sortir des corps vivants", des esprits frappeurs, des guéridons qui se soulèvent et flottent dans l'espace, du spiritisme selon l'Évangile et les Pères de l'Église. 

Bref, ça fume dur.

Cerise sur le gâteau, rose sur le cercueil, elle confie avoir interrogé l'esprit de son père, un pauvre incrédule, un mécréant qui ne mériterait que le silence.  Mais voilà : l'esprit paternel répond ! 

Et il dit quoi, l'esprit de papa, hein, il dit quoi ?

Eh bien que "les hommes savent rarement ce qui leur convient : la mort leur dévoile la vérité". Tu l'as dit, papa !

Mais avant de vaticiner dans les nuages, de livrer son oeuvre sublime et éthérée sur les esprits aux lecteurs embrumés de son époque, la petite mère a écrit un autre ouvrage et c'est ce qui va nous occuper désormais.


"Primevère" est une nouvelle publiée en 1886 à Nantes, chez Madame Veuve Camille Mélinet, imprimeur 5, Place du Pilori. La nouvelle compte une centaine de pages au format 19 cm x 11,5 cm.


Cet ouvrage, modeste par la taille, est grand puisqu'il parle de Guémené, bien sûr, mais surtout parce qu'il a été honoré d'une médaille d'or au concours de la Société Académique de Nantes le 15 novembre 1885. Cette société "savante" encourage les sciences et les arts. Alors...


"Primevère" raconte l'histoire de Rita Darmor, une jeune orpheline (comme il se doit) italienne (c'est plus piquant), fille d'un peintre breton et d'une beauté transalpine.

Seule, triste, l'héroïne se réfugie en France, chez sa tante paternelle - une bien bonne personne, bien religieuse et tout - qui vit dans le bourg de Guémené-Penfao avec son fils André, jeune médecin, et une servante. La tante a pour ami un vieux médecin du bourg, apparemment seul avec une fille, Marguerite.

Evidemment, André va tomber amoureux de Rita. Mais alors qu'il vient de lui déclarer sa flamme, il apprend de la bouche de sa dulcinée qu'elle a épousé un jeune comte français, en Italie, peu de temps avant la mort de sa mère. Et qu'elle n'est donc pas libre. 

"Pas de pb, dit l'André dont l'amour s'éteint comme chandelle dans un courant d'air, restons ami, la fille".

Mais voilà, la mère du jeune noble mari de Rita, hautaine vilaine qui fait peur à son fils, dont le petit doigt lui a dit que son comte de fils a fait une connerie au pays des macaronis, le rappelle à Paris.

Le fils disparaît donc de la vie de son épousée, le temps d'affronter la douairière et maternelle dragonne.

Tout va mal.

Enfin, à Guémené on essaye de survivre malgré les malheurs... Au passage, on découvre que la jeune Rita a en sa possession un testament d'une amie vieille américaine rencontrée au pays de Dante qui, ayant perdu son fils et unique héritier, lui lègue ses deux millions de dollars. Pas moins.

Encore faut-il qu'elle meure, ce qui finira bien par arriver, rassurez-vous.

Puis, on se promène avec Marguerite dans la vallée de Lizien. Ça vous dit bien sûr quelque chose puisque vous êtes de Guémené ! L'hippodrome, le Don paisible, et tout et tout...

Mais vous allez en apprendre une bien bonne : y a une légende ! Oui, madame, une légende de korrigans et de fées : la légende du Four aux Fées...

De quoi, de qu'est-ce...?

Les vieilles personnes racontent qu'au temps jadis une fée aima un gent seigneur du château voisin de Kergoat (en fait celui de Juzet, bien entendu, mais nous sommes dans une fiction littéraire : c'est pour ça...).

Comme une fée c'est futée, surtout une fée amoureuse, celle-là décide d'aller habiter la vallée de Lizien pour voir plus souvent son damoiseau qui chasse par là sangliers et chevreuils, avec grand équipage.

La nuit, la lutine (féminin de lutin), qui hélas se languit de son doux seigneur, pétrit du pain blanc pour passer le temps. Les korrigans, qui sont des bêtes bien serviables, le font cuire dans une grotte au flanc des coteaux de Lizien - le fameux Four des fées -, et la fée en régale les manants du coin qui n'en demandaient pas tant.

Pas de bol pour la fée : cet antique et preux Kergoat n'aimait que le "cochon" et pas les filles (ni les garçons, d'ailleurs). Et donc la fée en fut pour ses frais et rentra chez elle.

Toutefois, on dit qu'elle revient parfois pour annoncer un grand événement au château. Et ça rate pas, voilà-t-il pas qu'on vient de la revoir toute de blanc vêtue, du côté de la fameuse grotte.

On apprend par ailleurs que cette tête de linotte de Rita a paumé le testament de la vieille amerloque ! Consternation !

Sur ces entrefaites, la bonne marquise de Kergoat invite la famille à une chasse dans la forêt du Gâvre à laquelle des parents et des amis seront conviés.

Cela va sans dire, parmi les invités figure le mari secret de la belle italienne de Guémené. Retrouvailles émues, serments renouvelés,...

Et figure aussi une fille de la marquise, la grosse Gertrude (sous le poids de laquelle ploie le pauvre haquenée avec qui elle suit la chasse) qui ne peut pas piffer la belle Rita et lui envoie piques et vannes.

A la soirée au Château, après la chasse, ça continue. La dondon Gertrude, jalouse du succès mondain de la belle étrangère, allume la Rita. A la fin, le pleutre cousin, mari de la belle, sort de ses gonds et de sa clandestinité maritale et défonce la Gertrude.

Ayant révélé ainsi à l'assistance son amoureux secret, il n'a désormais plus le choix : le fils comtal va affronter sa mère et lui avouer son mariage caché avec Rita, cette pauvre métèque sans quartiers de noblesse et sans fortune.

Pendant que le jeune comte mari part à l'assaut de sa daronne, la fée apparaît encore près de la grotte sur les coteaux de Lizien ! Mince, il s'en passe décidément des choses !

Et puis, bien sûr, on retrouve le testament. Tout s'explique ! la Rita est somnambule ! Et c'est elle qui, sans le savoir, a planqué le testament, puis l'a récupéré dans la grotte de la légende ! D'où les apparitions de la pseudo fée. Énorme !

Et puis la mère du comte pardonne à son grand benêt de fils, qui se met à genou d'émotion et de piété filiale... Embrassons-nous, Folleville !

Et puis la vieille amerloque aux dollars casse sa pipe !

Et puis la pauvre italienne orpheline devient donc une comtesse pleine aux as !

Et puis André épouse Marguerite !

Et puis les deux couples partent en voyage de noces en Italie ! Il va s'en passer des choses !

Ah, c'est beau....arrêtons-nous là....

dimanche 12 mars 2017

Retour des choses à Guénouvry


Comme on sait, Guémené possède ses trois bourgs, ses trois anciennes paroisses et sous-paroisses. Ces dernières étaient dénommées "trèves" et il s'agit bien sûr de Beslé et Guénouvry.

Lors de la Loi de Séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905, on décida que tous les biens contenus dans les églises et ceux possédés par ce qu'on appelait la "fabrique", organisation qui gérait les aspects matériels de la vie paroissiale, devaient faire l'objet d'un inventaire.

L'inventaire portait sur tout objet ou toute valeur appartenant à la paroisse : objets et vêtements de cultes, objets décoratifs, meubles, valeurs (titres ou espèces), instrument, bref tout ce qui était présent dans l'église et qui n'était pas le bâtiment lui-même. Par exemple un bénitier, une cloche ou la chaire pouvait entrer dans le champ de l'inventaire.

Car les "fabriques" étaient vouées à disparaître et il fallait donc connaître l'étendue de leurs possessions pour les transmettre - en principe - à de nouvelles associations cultuelles.

A cet effet, les percepteurs ou de "simples" inspecteurs de l'Enregistrement de nos bourgs - quand ils ne se dérobaient pas par conviction catholique à cette tâche - se devaient d'aller faire ce fameux inventaire. 

Si dans l'ensemble de la France, cela s'est passé sans trop de difficulté, il est arrivé ici et là, particulièrement dans l'Ouest, que les choses soient plus compliquées.

Dans ces cas-là, il pouvait advenir que les curés ne remettent pas les clés des églises ou fassent des protestations verbales, comme à Guémené-même (voir mon article du 30 novembre 2014 relatant cet épisode).

Il arrivait aussi que, rameutant les paysans, comme au bon vieux temps de la Chouannerie, ces braves ensoutanés ne s'opposent physiquement à l'action publique (par exemple, à Dréfféac où demeurait alors Marie Rolland qui, laïque convaincue et future figure de l'enseignement à Guémené, faillit être lynchée par la foule chauffée à blanc par la Calotte). La troupe pouvait devoir être requise.

Quoiqu'il en soit, et à l'évidence, on n'y mettait guère de bonne volonté, dans nos contrée.

A cette époque, 1905 ou 1906, la trève guémenoise de Guénouvry était une paroisse (depuis 1846). A ce titre, elle était dotée de tout l'attirail qui va avec : église, curé et "fabrique".

Le curé était un monsieur Jacques Dugast, né à Vieillevigne (commune de Loire-Atlantique au sud de Nantes) en 1843, en poste depuis 1891 à Guénouvry.

Ordonné prêtre en 1872, il avait roulé sa bosse dans la région  comme vicaire (Sion, Haute-Goulaine, Chapelle-Basse-Mer), puis aumônier des Oblates à Pornichet (1888). Un vieux de la vieille, en quelque sorte, dont on peut donc dire qu'à l'évidence ce n'était pas vraiment un "enfant de cœur".

En face, la commune de Guémené avait un percepteur qui se nommait François Sécher, né à la Bernardière en Vendée le 2 mai 1860, fils de maréchal-ferrant.

Cet agent du Fisc avait l'esprit républicain, et sa conscience ne s'embarrassait pas de scrupules religieux.

Aussi, lassé de relancer le trésorier de la "fabrique" de Guénouvry qui faisait la sourde oreille à ses demandes de recouvrement de l'argent liquide de la paroisse, il décida de passer à l'action.

Voici comment l'Union Bretonne, journal bonapartiste nantais fondé en 1849, nous narre l'anecdote dans un article intitulé "Vol autorisé - Un percepteur facétieux -".

L'article est un peu "centriste" : il ne prend pas vraiment le parti du curé et ne stigmatise pas non plus trop l'agent du Fisc.

Le 29 juillet [1906], après plusieurs sommations faites à l'ancien trésorier de la Fabrique et finalement à Monsieur le Curé, d'avoir à lui livrer l'argent de la Fabrique, le percepteur de Guémené agissant en qualité de séquestre, s'est enfin décidé lui-même à venir chercher cette somme tant convoitée.

Il faut donc imaginer notre bonhomme Sécher, trottinant avec sa charrette sur la route de Guénouvry par un beau dimanche ensoleillé (probablement) de juillet, pendant que le peuple du canton se rue dans les églises. Posée à côté de lui, une valise...

Il s'est présenté, comme ceux qui font les mauvais coups, de bonne heure. Il était à Guénouvry peu de temps après la dernière messe.

Autrement dit, il s'est débrouillé pour trouver le curé à la sacristie, une fois la foule des fidèles rentrées dans ses foyers. Bref, beaucoup de préméditation.

Arrivé en présence du coffre-fort, il en saisit les clés ; il l'avait déjà ouvert et se préparait à en retirer l'argent de la Fabrique, lorsque M. le Curé lui rappela qu'il n'entendait pas le laisser agir sans revendiquer la propriété de ce qu'il s’apprêtait à ravir.

Voilà donc notre percepteur - plutôt poli - forcé d'écouter le prêche du curé de Guénouvry :

"Monsieur, je ne ne puis me dispenser de protester énergiquement contre l'acte que vous venez accomplir. Cet argent dont vous venez, dites-vous, prendre possession, appartient à l'église de la paroisse de Guénouvry et restera toujours sa propriété. 

Je proteste donc de toute la force de mon âme contre cet acte de spoliation. Il sera toujours vrai de dire que la force ne représente pas le droit."

On sent que le curé avait aussi préparé son coup : son petit sermon lui permet de se draper dans le confort moral de son bon droit face à la "force" impie.

La gazette nous apprend ensuite qu'elle était la destination des fonds contenus dans le saint coffre-fort.

Cette somme d'argent, qui a été enlevée, avait été péniblement économisée pour faire à la pauvre église de Guénovry les réparations dont elle a un besoin urgent. Aussi le fit-il remarqué à l'agent du Fisc, au moment où celui-ci terminait sa besogne.

A peine âgée d'une soixantaine d'année, le pauvre temple était donc déjà en mauvais état, à l'instar de sa situation récente que les travaux entrepris par la Municipalité de Guémené, toujours en cours, visent à corriger.

Visiblement l'admonestation du curé Dugast n'eût pas l'air et l'heur d'émouvoir le fonctionnaire des impôts. Mais bon, même impavide, froid et cruel, un agent du fisc n'en est pas moins homme et au bout d'un moment, les jérémiades du prêtre commencent à lui courir sévère sur le haricot. Aussi le cave se rebiffe-t-il :

Surpris sans doute d'entendre encore une protestation, l'agent du Fisc releva la tête et répondit (sans rire) : "Mais M. le Curé, cet argent vous retournera peut-être !!" Et sur ce bon mot, l'agent du fisc disparut, sans oublier sa valise bien entendu.

Les voies du Seigneur sont décidément impénétrables. Aujourd'hui, cent-dix ans après cet épisode, la commune de Guémené retape à grands frais sa vieille église de Guénouvry : la prédiction du percepteur s'est réalisée et l'abbé Dugas, du haut de son petit nuage paradisiaque, peut bien remercier Monsieur le Maire.


















Crédit photos IB

dimanche 26 février 2017

Beaulieu : quatre fidèles


Il m'est déjà arrivé de traiter ce genre de sujet : à Guémené, dans le cimetière, non loin de mes tombes de famille, dans le vieux carré, une autre tombe accueille les restes - comme on dit - d'un ancien membre du personnel de maison du château du Brossay, Marie Stevant, morte en 1860. 

Il y a quelques années, les descendants de ses maîtres ont fait rénover sa tombe : une belle pierre tombale, gravée de lettres d'or, célèbre le dévouement de cette femme.

Mais à Beslé, la fusion familiale entre maîtres et serviteurs atteint un degré encore plus élevé : les serviteurs sont enterrés dans l'enclos des maîtres, à côté de leur tombe, avec un tombeau égal en qualité à celui des Messieurs et des Dames du temps jadis du château de la Garenne.

Il paraît peu probable, bien sûr, que ce soit là l'effet d'une dernière volonté des vieux domestiques. Avec cette initiative, les patrons de la Garenne étaient sans doute persuadés de faire une bonne action et de marquer leur reconnaissance pour des vies qui furent en réalité complètement aspirées par le "château".

On dit parfois que les serviteurs sont comme les meubles : les maîtres peuvent agir sans pudeur devant eux, faire l'amour, se traiter de tous les noms, évoquer des secrets de famille...

Si les meubles mourraient, je suis sûr que l'on trouverait un moyen d'enterrer ceux auxquels on tient. C'est d'ailleurs ce qu'on fait d'une certaine manière quand on les remise, au lieu de les jeter, ou bien quand on garde une vieille horloge dans un coin, même si elle ne fonctionne plus.

J'éprouve le même sentiment mêlé que face aux tombes de prêtres : des vies engagées, sans retour possible bien souvent ; des vies où la part de renoncement est énorme : renoncement à une vie personnelle, renoncement au fondement d'une famille, renoncement à sortir du champ clos de la "maison", celle des maîtres ou celle du Bondieu. 

Les uns et les autres sont d'ailleurs "serviteurs", soit des maîtres, soit dudit Bondieu.

Ce sentiment est qu'apparemment plus un être humain s'implique dans un rôle social, plus il finit par n'exister qu'à travers ce rôle.
  
Mais aussi, il a moins vécu et on a moins tenu compte de ses émotions personnelles, durant son existence : il est plus "personne" et moins "individu". C'est une sorte de dialectique fatale entre l'intensité et le caractère aliénant d'une expérience individuelle. Mais c'est donc aussi le prix à payer pour survivre un peu parfois au naufrage de l'oubli.

J'imagine qu'aucun non plus de ces domestiques n'avait vraiment fait le choix positif de cette implication unique : on entre là, bien content sur le moment, puis le hasard, la nécessité, les avantages et l'habitude font le reste.

















Jacques Fesais était né en Ille-et-Vilaine, à Saint Malo-de-Phily, le 14 février 1811. Il exerçait les fonctions de jardinier. Le château fut comme une serre, pour lui, où vaille que vaille il s'épanouit à l'aune de la conscience qu'il avait de ses espérances. Il s'est éteint le 30 janvier 1872 au château de Beaulieu la Garenne, célibataire.

Françoise Javel vit le jour, pour sa part, au Grand-Fougeray (lieu-dit de Montaudevert) le 4 mai 1817. Elle rendit l'âme au château de Beaulieu la Garenne le 2 octobre 1873. Domestique, célibataire, ses parents étaient des laboureurs.

Renée Jaminet découvrit la vie  également au Grand-Fougeray (lieu-dit La Cour Gautier) le 24 mai 1818. Son parcours terrestre s'acheva le 9 juillet 1899 au château de Beaulieu la Garenne, "après 60 ans des plus fidèles services". Domestique, célibataire, ses géniteurs étaient aussi laboureurs.

Marie Delaunay, veuve Souchet, était native de Nort-sur-Erdre où elle vint au monde le 18 mai 1851 (et non 1855 comme indiqué par erreur sur la pierre tombale). On pointe en ce qui la concerne qu'elle est décédée "pieusement", à Redon le 6 février 1932. Parents laboureurs, comme les autres.

Les maîtres de ces braves gens ont ajouté sur la pierre tombale à leur intention,  un extrait de l'évangile selon Mathieu (XXV 21) :

"C'est bien, serviteur bon et fidèle parce que tu as été fidèle en peu de choses : je t'établirai sur beaucoup, entre dans la joie de ton MAITRE" 

Cette référence, où le Christ s'exprime, situe d'emblée les anciens domestiques défunts dans la classe des bons et des fidèles, avec évidemment la caution morale christique. Ça c'est bien, c'est plutôt sympa de leur part, on peut pas dire.

Ensuite, dans une traduction effroyable, le Christ essaye de dire au serviteur que cette fidélité, limitée à l'exercice du service qu'on lui a confiée sur terre (donc "peu de choses"), aura pour compensation, grâce à lui le bonhomme Christ, quelque chose de bien plus important. Puis il enchaîne par cette exhortation à entrer dans le monde bienheureux de la foi chrétienne, la joie du Maître.

Ce qui est curieux, c'est que comme ce sont les maîtres terrestres qui ont choisi ce passage, on pourrait penser qu'il exprime - par le truchement du Christ - leur sentiment de reconnaissance : du coup, ça paraît un peu gonflé de leur part de se prendre pour le Christ, non ?

dimanche 19 février 2017

Beaulieu : le mini-stre (2ème Partie)


Il suffit d'aller au cimetière de Beslé et de jeter un œil aux tombes de la famille Hervé de Beaulieu. On ne peut pas les manquer : un cyprès à la forme étrange, et qui n'est pas sans évoquer une statue de l'île de Pâques, les domine ; une grille peinte en blanc délimite un vaste quadrilatère où dorment de leur dernier sommeil les ancêtres et leurs serviteurs.

Au dos de l'une des stèles, et sur la pierre tombale avoisinante, il est clairement mentionné que l'un des locataires fut ministre, ministre de Louis XVI.

Bien sûr me direz-vous, il est difficile, même à un personnage potentiellement important, d'être enterrer dans deux tombes, sauf à - si j'ose dire - s'y répartir en divers morceaux. Il est en réalité probable que la stèle ogivale au dos de laquelle est signalé le ministre, ait appartenu à une première tombe du politique et de membres de la famille, vidée puis réemployé pour d'autres occupants.

Il est possible aussi qu'il s'agisse d'un réemploi suite à une erreur : car en effet, le dos de la stèle ogivale évoque "Joseph Louis" H de B alors que le financier de Louis XVI était "Joseph Emile François" H de B, comme gravé sur la pierre tombale située tout à côté.

































Mais ministre, je ne sais pas trop après tout s'il y a de quoi se vanter. Evidemment, tout le monde n'est pas ministre et c'est plutôt la preuve - pourrait-on dire - d'une certaine qualité. Mais "de Louis XVI", vraiment, est-ce que ça vaut ?
 
Depuis le début des temps modernes, il y a un demi millénaire, la France a connu bien des ministres des finances : environ deux cent cinquante individus se sont succédés à ce poste, soit un tous les deux ans. La durée moyenne d'exercice de cette charge est donc assez courte et se compte en quelques centaines de jours, sept plus exactement.
 
On ne peut pas dire que notre héros, Joseph Emile François Hervé de Beaulieu, ministre des Contributions au début de la Révolution quand Louis XVI avait encore toute sa tête, ait fait remonter la moyenne : il est en effet resté quelques petites dizaines de jours au gouvernement de la royauté finissante.
 
Certes, comme dit l'autre, la gloire n'attend pas le nombre des années. Aussi est-ce sans préjugé qu'il faut apprécier cet épisode ministériel, et le meilleur moyen pour ce faire reste d'en examiner l'œuvre.
 
Il faut se rappeler que Jo Emile traînait ses guêtres dans les parages du gouvernement en 1792, étant membre, puis président du Bureau des quinze commissaires de la Comptabilité nationale, depuis la fin de l'année précédente.
 
 
Quand arrive juin 1792, les choses vont mal et la France est en pleine crise politique, militaire et ministérielle : les girondins, faction politique alors dominante, veulent la guerre contre les rois d'Europe et souhaitent imposer certaines mesures auxquelles Louis XVI s'oppose : les ministres girondins sont ainsi renvoyés par le roi le 13 juin 1792.
 
Du coup on cherche un gouvernement et donc un ministre des finances. On ne peut pas dire que ça se bousculait au portillon. Trois pressentis refusèrent avant que Louis XVI, conseillé par Louis Hardouin Tarbé (un modéré ancien collègue de Jo Emile), ne s'adresse à Beaulieu. Bref ce n'était pas vraiment un premier choix.
 
En indiquant le nom de celui-ci au roi, Tarbé précisait que "c'était un homme très instruit et capable, dont les principes étaient excellents". Autrement dit, il était compétent en matière financière et royaliste en matière politique.
 
Et voilà-t-il pas que Jo Emile se met à faire sa mijaurée.
 
Ne valait-il pas mieux pour lui de garder son emploi tranquille au Bureau de la Comptabilité nationale que de courir les risques et les dangers d'un emploi politique aussi aléatoire en juin 1792 ?
 
Tarbé s'activa pour obtenir l'accord de Jo Emile écrivant au roi le 18 juin : "Sire, je m'empresse d'annoncer à Votre Majesté que M. Beaulieu accepte avec respect le Ministère des Contributions publiques. Il désirerait seulement que Votre Majesté voulût bien lui faire une lettre dont j'ai l'honneur de soumettre le projet à Votre Majesté" .
 
Ce dont le Capétien s'acquitta. Beaulieu se couvrait donc en obtenant la preuve qu'en acceptant le ministère, il n'avait fait que céder à la sollicitation du roi.
 
Les temps étaient troublés et à peine nommé, une insurrection secoua Paris le 20 juin. Lors de ce coup de force antimonarchique, Beaulieu donna la preuve de son attachement au roi, en figurant parmi les rares fidèles qui restèrent auprès de lui au cours de l’interminable séance d'insultes qu'il dut subir.
 
Le bref passage estival de Beaulieu au ministère fut toutefois marqué par quatre initiatives.
 
Le 23 juin, il notifia à l'Assemblée la nomination des trois commissaires administrateurs de la fabrication des assignats.
 
Le 29 juin, Beaulieu adressa un mémoire à l'Assemblée pour lui donner un état du recouvrement des trois nouvelles contributions : contribution foncière, contribution mobilière et la patente. C'était pas le pied. Il soulignait les difficultés de la mise en application des lois instaurant les nouvelles contributions publiques et demandait des mesures déjà réclamées en vain par son prédécesseur.

 
Le 5 juillet fut lue à l'Assemblée législative la lettre par laquelle Beaulieu demandait à être autorisé de faire construire au meilleur marché qu'il pourrait, les machines à décapiter qui avaient été adoptées le 20 mars précédent comme mode d'exécution capitale. L'Assemblée l'envoya promener, se retranchant (c'est le mot !) derrière le principe de la séparation des pouvoirs pour éluder la demande.
 
Le 9 juillet, Beaulieu écrivit à l'Assemblée pour lui demander de voter une loi qui fixerait l'ordre des poursuites et les peines à infliger en cas de contravention à la loi qui prohibait l'exportation de numéraire hors du royaume, afin de combattre une hémorragie que la situation politique et militaire aggravait dangereusement. Ce fut le dernier acte personnel de la gestion ministérielle de Beaulieu.


En effet, effrayés par les Brissotins (une faction assez peu modérée) qui menacent les ministres d'un décret d'accusation les déférant en Haute Cour constitutionnelle, ceux-ci remettent collectivement leur démission à Louis XVI le 10 juillet, tout en restant à leur poste.
 
Louis XVI se heurta à la même difficulté qu'en juin : personne ne voulait plus accepter de monter à bord. Comme ses collègues, Beaulieu se borna donc à expédier les affaires courantes, en attendant la relève, qui se fit attendre...
 
Le 21 juillet, on croyait avoir trouvé la perle en la personne de Bon-Joseph Dacier, un savant célèbre pour sa traduction de la Cyropédie de Xénophon, secrétaire perpétuel de l'Académie royale des Belles Lettres... Bref, n'importe quoi.


Mais voilà que ce poussiéreux se débine à son tour, et il faut attendre le 29 juillet pour que Beaulieu soit enfin déchargé de ses fonctions ministérielles par la nomination de Leroux-Delaville.

Ministre de plein gré un peu plus de trois semaines, du 18 juin au 10 juillet, il fut obligé de le rester malgré lui faute de combattants, une vingtaine de jours du 10 juillet au 29 juillet, soit presque autant... 

D'après l'article sur Jo Emile H de B dans :



dimanche 12 février 2017

Beaulieu : le mini-stre (1ère Partie)


Toujours soucieux de mettre en valeur le patrimoine de Guémené, je me dois, après la notice sur le château de Beaulieu, de poursuivre par un article sur le plus notable des membres de cette famille ancienne, notable en tout cas sous l'angle de l'Histoire de France, qui, comme on sait, est pour un patriote la mesure de toute chose.

Celui dont je vais vous parler n'a jamais vécu sur le territoire de notre commune, même si l'un de ses fils, comme je le mentionnais la semaine passée, entreprit la construction de l'actuel château de la Garenne à Beslé.

Toutefois, Joseph Emile François Hervé de Beaulieu est enterré au cimetière de Beslé, auprès des autres membres de sa lignée.

Il y a beaucoup de gens enterrés dans les cimetières de Guémené, Beslé et Guénouvry, et ce seul fait ne suffit donc pas à constituer une circonstance pouvant attirer l'attention des historiens locaux et du public. Ce serait trop facile !

C'est qu'en fait, Joseph Emile fut un personnage historique, de ceux dont le nom vient normalement s'intercaler dans les frises chronologiques dont on fatigue les pauvres enfants.

Vous le dirai-je enfin ? Ne l'avez-vous pas deviné ? Eh bien ce brave Beaulieu fut ministre des Contributions (autant dire du Budget ou des Finances) de Louis XVI, je dis bien XVI, oui Madame, et de surcroît au moment de la Révolution, la grande, la seule, celle qui allait ébranler les trônes, faire frémir les peuples et s'exalter les poètes.

Ce n'est pas rien, et cela mérite bien qu'on s'appesantisse un peu sur la vie de ce personnage, avant de passer en revue son oeuvre politique.

Voici donc aujourd'hui, la vie de Joseph Emile François de Beaulieu.

Jo est né à Rannée en Ille-et-Vilaine le 16 septembre 1752, et fut selon les usages de l'époque, baptisée le 19. Il était le fils de Joseph Luc Hervé, sieur de Beaulieu et de la Budrais  (1711 - 1794) et d'Agathe Emilie Bigot demoiselle de Maubusson.

Il est issue d'une famille qui gravitait autour d'activités juridiques et financières. Un de ses oncles, par exemple, Jean-Baptiste, est qualifié d'avocat au Parlement, receveur des fermes du roi à la Guerche. Dans les années 1750, il était établi à Redon, où il est receveur général des fermes de Bretagne. Receveur : autant dire percepteur.

Son frère Pierre-Marie Aimée dirigea l'exploitation de la mine de charbon de Montrelais (entre Ancenis et Angers). Cette compagnie fournissait des charbons à la verrerie d'Ingrandes qui fabriquait des bouteilles pour des vins des pays de la Loire, ainsi qu'aux arsenaux et fanaux de la côte de Bretagne.

Les activités industrielles de Pierre Marie Aimée touchaient donc à un domaine (la commercialisation des vins) dans lequel son frère cadet Jo, celui qui nous intéresse, exerçait des activités fiscales et commerciales : c'est pas aujourd'hui qu'on verrait un tel mélange des genres...

Jo Emile fit un beau mariage, quoique assez tardif : il épouse en effet en 1800 la jeune Jeanne Perrine Ridouel, sa cadette de 24 ans, fille d'un receveur (percepteur) des Domaines à Acigné. Deux fils naîtront de ce mariage.

Au physique, Jo Emile était assez grand (1 mètre 78) et brun. Bien entendu, il était catholique. Ce qui ne l'empêcha pas d'être reçu frère maçon dans la loge parisienne Saint-Jean d'Ecosse du Contrat Social.

Le Vénérable en était le marquis de la Rochefoucauld-Bayers. Jo Emile y fréquenta une grosse brochette de grands seigneurs, ministres, banquiers, agents de change...

Après des études de droit, Jo Emile suivit la même voie que son père : l’administration des fermes d'impôts en Bretagne. Il devint directeur de "la ferme des devoirs de Bretagne", à Lorient, puis à Paris au début de la Révolution.

Il avait donc une longue expérience dans le domaine de la fiscalité indirecte, lorsque la protection d'amis influents lui procura, en novembre 1791, l'un des quinze emplois de commissaire du Bureau de la Comptabilité nationale dont il devint le président.

Après l'épisode ministériel, sur lequel on reviendra une autre fois, Beaulieu ne put retourner en Bretagne, faute d'avoir reçu quitus de sa gestion à la direction de la régie des devoirs de Bretagne. Au cours de cette résidence forcée à Paris, il essaya d'intervenir pour obtenir la libération des enfants du roi.

Au milieu des violences de la fin de l'été 1792 à Paris, il fut blessé à une jambe, blessure qui resta douloureuse et finit par entraîner l'amputation de la jambe à Nantes le 23 mai 1805.

Après plusieurs demandes à la Convention, celle-ci l'autorisa enfin le 21 mars 1793 à regagner le district de Redon. Il fut ensuite nommé le 10 décembre 1793 receveur du district de Blain, mais il démissionna le 20 novembre 1794 en invoquant des raisons de santé, et jusqu'à la fin de la Révolution il s'abstint de toute participation à la vie publique locale (La Terreur avait été fatale à plusieurs de ses amis...).

Beaulieu fut ensuite nommé conseiller de l'arrondissement communal de Redon par arrêté consulaire du 1er prairial an VIII (21 mai 1800). En 1803 il était conseiller général d'Ille-et-Vilaine (élu par 118 voies sur 139).

Ce n'est que peu de temps avant sa mort (à Redon le 24 septembre 1807), qu'une délibération des commissaires de la Comptabilité nationale du 3 pluviôse an XII (24 janvier 1804) lui donna quitus définitif pour sa gestion comme "ancien directeur des ferme et régie des devoirs de la ci-devant province de Bretagne à Lorient"...

Jo Emile n'était pas pauvre. Il reçut en héritage de ses parents le manoir ancestral de Beaulieu la Garenne à Beslé. Son mariage lui apporta quelques métairies en Ile-et-Vilaine. Ce qui est touchant c'est que Jo de Beaulieu se lança entre 1800 et 1805 dans la reconstitution systématique du patrimoine parental, rachetant les parts des autres héritiers.

Sa maison de Redon était meublée de façon cossue et élégante. On sait aussi, par l'inventaire après décès, qu'il faisait négoce des céréales issues de ses métairies, qu'il écoulait par la Vilaine et l'océan vers Bordeaux.

En tenant compte des biens de sa femme, on peut estimer la fortune du ménage de Jo de Beaulieu entre 100 000 et 150 000 francs avec un revenu annuel correspondant de 5 000 francs environ, ce qui doit être pas mal. Difficile en effet de donner un équivalent en euros (peut-être 10 à 20 fois plus).

Guy Antonetti (dir.), Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire. Dictionnaire biographique 1790-1814, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2007, t. I, 369 p.

dimanche 5 février 2017

Beaulieu : le château


Guémené possède un nombre important de châteaux et manoirs sur son territoire : Juzet, Bruc, Boisfleury, Tréguel, Friguel, Gré-Bréhaut, Brossay, La Vieilleville, Trenon.

On pourrait même à la rigueur adjoindre à cette liste le "manoir" de Tregroaz, près du bourg.

Aucune des communes limitrophes de Guémené ne me semble posséder un tel patrimoine.

Et j'ai omis à dessein un dernier édifice, qui est celui que je veux évoquer aujourd'hui : le château de Beaulieu-la Garenne qui se situe sur une hauteur surplombant la Vilaine, à Beslé, section de Guémené.

Ce château est en réalité situé sur le domaine de la Garenne, ancienne possession de la famille Hervé dont les ancêtres étaient sieurs de Beaulieu.

Cette famille ancienne est originaire de l'Anjou et s'est installée en Bretagne au XVIIè siècle, dans la région de Plessé, à quelques kilomètres au sud de Guémené. Un aïeul est ainsi procureur fiscal puis sénéchal de la vicomté de Carheil au début du XVIIIè siècle.

Les armes de cette famille figurent à l'armorial de 1698 parmi les 125 807 blasons que contient cette recension : "de sable aux liens de Saint Pierre, accompagnés de deux étoiles d'or en flanc et d'un croissant de gueules en pointe."

Faute de mieux, voici les armes de la famille Hervé de Beaulieu telles que reproduites dans les Annales de Nantes (1966, N°166). La ressemblance n'est pas frappante avec la description ci-dessus...


Sur la terre de la Garenne à Beslé, que la famille Hervé possédait depuis 1628, un manoir des XIVè XVè siècles s'étiolait. A tel point qu'en 1794, il fut jugé inhabitable par les héritiers.

C'est Edouard Jean Hervé de Beaulieu, né en 1804, fils d'un personnage sur lequel je reviendrai dans un futur article, qui fit construire, en 1828 - 1829, l'actuel château de Beaulieu.

L'ancien manoir croulant fut quant à lui démoli en 1867 pour y faire passer la ligne de chemin de fer de Rennes à Redon, qui court au pied de la colline de la Garenne.

Je joins deux reproductions de cartes postales anciennes qui montrent le paysage vu du château et le château, perché sur la colline.
















Ci-après une vue de l'entrée du manoir.























Comme on peut le voir, il s'agit d'une grosse maison de maître plus qu'un château comme ceux du Brossay, de Boisfleury ou Juzet.

samedi 4 février 2017

Besnier de la Grée-Bréhaut


Je crois avoir dit déjà que je m'intéressais aux objets d'occasion que je pouvais trouver dans la région de Guémené, et si je ne manque jamais de faire un tour le samedi matin à la "recyclerie" de Conquereuil, quand j'ai la chance d'être dans les parages, je regarde tous les jours les remontées de filet que j'obtiens sur le site Leboncoin.fr.

Voilà quelques semaines, ainsi, j'ai eu la grande surprise d'y découvrir une horloge comtoise assez peu chère, qui présentait le double avantage de sembler assez ancienne et assez caractéristique de celles qui peuplaient les maisons de la région, tout en présentant l'immense particularité, à mes yeux, d'être de Guémené.

Qu'est-ce donc à dire, de Guémené ?

C'est que c'était écrit sur le cadran : Besnier à Guéméné-Penfao (je dis bien Guéméné, avec trois accents graves, car c'est ainsi que cela est marqué).

Je l'ai donc achetée. Les vicissitudes de sa vie d'horloge l'avait amenée à Saint-Marc-sur-Mer, près de Saint-Nazaire par conséquent, endroit immortalisée par le film de Jacques Tati, "Les vacances de Monsieur Hulot".









































































Je me suis enquis tout de suite de savoir qui pouvait bien être ce Besnier, avant de découvrir que cette horloge était finalement assez jolie et en tout cas assez bien conservée.

Jean-Marie Besnier vivait à Guémené dans la seconde moitié du XIXè siècle.

Il était né à Vay le 16 juillet 1833 et lui-même et ses parents étaient venus s'installer à Guémené au milieu du siècle.

Son père fabriquait du tissu, étant serger, d'abord à Vay puis à Guémené, et sa mère était cultivatrice.

Après la guerre de 70, Jean-Marie Besnier vit avec sa sœur Désirée dans le bourg de Guémené, avant de se marier sur le tard.

Il épouse en effet une jeune femme de Beslé, "fille naturelle" et domestique, Marie Coignard, le 25 octobre 1879 : il a alors quarante-six ans et elle, tout juste vingt.

Le couple aura trois enfants, un garçon et deux petites filles. Hélas, le jeune Jean-Marie décède à l'âge de huit ans, le 7 octobre 1888, suivi dans la tombe par son père, le 12 octobre.

Ainsi finit l'histoire de l'horloger de la Grée-Bréhaut, puisqu'aussi bien c'est en cette partie de Guémené, à flanc de Butte, dominant le bourg, que s'éteignit le brave homme.

En tant qu'horloger, il aura donc exercer une dizaine d'années et la comtoise de Saint-Marc-sur-Mer date donc de cette époque.

Mais regardons-la de près.

Elle a le profil des anciennes horloges qui n'avaient qu'un pendule maigrichon, dotées d'une simple lentille de laiton. En revanche, elle dispose d'une balancier lyre dont la grosse lentille, assez ouvragée, comporte une décoration géométrique.

La caisse est légère et ornée de motifs plus ou moins floraux. Ses pieds sont intacts, ce qui laisse à penser qu'elle n'a pas été posée sur un sol humide en terre battue.

La partie la plus intéressante est constituée par l'entourage estampé du cadran.

Comme toujours, la scène principale est au-dessus du cadran émaillé.

Dans un ciel où l'on distingue les rayons du soleil, une Sainte Vierge auréolée émergeant des nuages joint les mains. Elle semble assise ou posée sur une ancre de marine - ce qui n'est guère confortable il faut bien le dire - dont les deux pointes apparaissent à ses côtés.

A droite un infâme serpent à écailles serpente, venant lécher de sa langue fourchue une tiare pontificale, reconnaissable à ses trois niveaux de couronnes, dont on ne comprend guère la présence.

Antidote à ce animal maléfique, probablement, une sorte d'apôtre agenouillé, vêtu d'un grand manteau, regarde la Vierge en s'appuyant sur un grand livre ouvert qui paraît reposer sur un lutrin dont on aperçoit les deux pieds.

Le livre présente un texte en latin écrit en capitales qui dit peut-être :"IPSA CONTERET CAPUT TUUM" d'un côté, et de l'autre, "PORTAE INFERNI NON PRAEVALEBUNT".

Difficile de traduire : il est question de portes de l'enfer, de renommée,...et encore, ce n'est pas sûr...

Heureusement, un lecteur attentionné, Cyrille, et une latiniste distinguée et bien serviable surtout, Ingrid, m'ont donné la clé : 

"Ipsa..." : "Elle t'écrasera la tête", parole de Dieu au serpent tentateur du Paradis perdu. 

"Portae..." : "Les portes de l'enfer ne tiendront pas". Il s'agit d'un fragment de phrase tiré de l’Évangile (Mathieu, versets 18 et 19, chapitre 16) où il est question de Saint Pierre, fondateur de l'Eglise ("Tu es Pierre et sur cette pierre, etc..."). Bref, le bonhomme à gauche est Saint Pierre (d'où aussi le bibi papal, au milieu)

Dans les coins inférieurs de la tôle de laiton de la façade, deux angelots joufflus sont à genou dans les fleurs. L'un à droite, ferme les yeux tandis que celui de gauche regarde vers le ciel mains jointes.















































En jetant un coup d’œil à l’intérieur du réceptacle du mécanisme d'horlogerie, on découvre une inscription au crayon : "Thle Jehanne 27 juin 1918".
























Théophile Jehanne est un horloger dont j'ai déjà parlé pour avoir déjà récupérer une horloge issue de son magasin, portant sa marque et la mention de Guémené-Penfao. 

Il exerça dans l'entre deux-guerres et mourut (peut-être de pneumonie) en août 1932. Il avait donc dû procéder à la révision de cette horloge, une trentaine d'années après son achat chez son prédécesseur.